Arguments pour la lutte sociale
aplutsoc
Jan 22
La nomination d’Amélie-Castera comme ministre de l’Éducation Nationale génère une situation qui devient explosive chez les personnels de l’Éducation Nationale contre le gouvernement Macron. Il y a un moment où le quantitatif, 40 ans de contre-réformes dans l’école publique, se change en qualitatif.
La scolarisation des trois enfants de la ministre dans un établissement catholique intégriste, le lycée Stanislas qui scolarisa en son temps un certain Charles De Gaulle, père fondateur de la Vème République, vient de mettre le feu aux poudres. Cet établissement, au nom de la morale catholique, met en cause la mixité scolaire, condamne l’homosexualité et l’avortement, rejette la contraception, préconise la chasteté avant le mariage…
La question du financement public de l’enseignement privé, aujourd’hui à 97% catholique, est à nouveau sous la lumière des projecteurs. Dans cette même séquence Macron vient de rejouer son petit Pétain de service – il l’avait fait deux fois il y a quelques mois en rendant hommage au « grand soldat » – aujourd’hui pour nous imposer l’uniforme aux élèves, le SNU (Service National Universel) d’embrigadement de la jeunesse de 15 à 17 ans, au son de la Marseillaise… et pourquoi pas, comme sous le célèbre maréchal, manque plus que le lever des couleurs tous les matins dans la cour du lycée : et on chantera « Emmanuel, nous voilà ! »
Il faut poser le problème dans sa vraie dimension, la question de l’aide à l’enseignement privé catholique, n’est que l’application d’une politique générale imposée par la Vème République bonapartiste. La vague néo-libérale qui prend son essor après les années 1970, accentue l’entrée du religieux dans la sphère publique des États, et pas seulement dans l’hexagone. La constitution de 1958 lui donne un terrain fertile. Macron, après Sarkozy, a posé à plusieurs reprises la question de la nécessité du religieux, lui l’apôtre de Paul Ricoeur, ce philosophe proche de la revue Esprit fondée en 1932 par Emmanuel Mounier. Lors de sa nomination comme chanoine du Latran, il a proclamé qu’il veut réparer le lien entre l’Église de France et l’État, abîmé par la loi de séparation de 1905.
Aujourd’hui le lycée privé musulman Averroès est en rupture de contrat d’association sur décision du préfet du Nord, tandis qu’un établissement comme Stanislas fait l’objet de toutes les sollicitudes de la part du pouvoir. A ce titre nous sommes à nouveau rendus au cœur des thèses de l’extrême droite américaine de Samuel Huttington fondées sur la notion de « choc des civilisations ». Malgré le scandale, Valérie Pécresse maintient l’aide publique de la région à Stanislas, soit cette année 1,3 millions d’euros, tandis que la mairie de Paris l’a provisoirement suspendue. Pourquoi provisoirement ?
Le fondateur de la Vème république, Charles De Gaulle, membre de la haute hiérarchie militaire inspiré par le nationalisme intégral de Charles Maurras, pose d’emblée en 1959, à travers la loi Debré, les bases du « principe monarchique » (1) ; le financement public de l’école confessionnelle, c’est le rétablissement des liens entre le trône et l’autel, un nouveau concordat. Le financement du religieux remet en cause le principe de « sécularisation » de l’État, pour reprendre la caractérisation de Marx dans « la question juive », que nos ancêtres des Lumières, puis le mouvement ouvrier ont mis des siècles à imposer.
Aujourd’hui, les vierges effarouchées de la « gauche » officielle, y compris celles de la France Insoumise et du député Vannier, s’offusquent de ce retournement de valeurs : nous allons donc dire des choses désagréables à entendre par ces consciences oublieuses.
Quelques mois avant la campagne électorale de 1981, François Mitterrand publie un livre « Ici et maintenant », à l’écart des 121 propositions programmatiques du candidat, sous forme de dialogue dans lequel il développe l’ensemble de ses positions. Laissons-lui la parole sur la question de l’école et de la laïcité. Il vient d’expliquer quelles sont ses racines spirituelles :
« Du fond de l’Église et du monde chrétien ressurgit l’appel initial. Le personnalisme d’Emmanuel Mounier acheva d’apporter au socialisme chrétien ses lettres de noblesse. Un oncle, frère cadet de ma mère et mort à vingt ans, avait appartenu aux équipes de Sangnier. On m’avait élevé dans la piété de sa mémoire. J’entendais mes parents catholiques, et catholiques pratiquants, parler avec tristesse de cette Église si loin des humbles et pourtant qu’ils aimaient. La Bible a nourri mon enfance. Huit ans d’internat dans une école libre[à remarquer que Mitterrand utilise l’adjectif libre et non pas confessionnel ou catholique] , à Saint Paul d’Angoulême, m’ont formé aux disciplines de l’esprit. Je ne m’en suis pas dépris. J’ai gardé mes attaches, mes goûts, et le souvenir de mes maîtres bienveillants et paisibles. Nul ne m’a lavé le cerveau. J’en suis sorti assez libre pour user de ma liberté. »
Lorsque s’est trouvée posée la question laïque après 1982, qu’en pensait Jean Luc Mélenchon ? Construisant un courant au sein du PS qui comptait à l’époque beaucoup de militants laïques qu’il rassurait côté cour, côté jardin il se soumettait à son maître adulé Mitterrand. Paul Gourdot qui fut Grand Maître adjoint (1978-79) puis Grand Maître (1981-84) du Grand Orient de France, mènera dans les années 1982-1984 un travail de terrain dans les loges maçonniques pour convaincre les membres du Grand Orient de s’opposer au service d’unification laïque de la loi Savary, marquant sa fidélité au mot d’ordre fondateur du CNAL sur le financement des écoles privées : « Fonds publics à l’école publique ! Fonds privés à l’école privée ! ». Mélenchon reprochait au Grand Orient de ne pas s’engager sur le grand service unifié de Mitterrand-Savary. Il y eut une engueulade homérique entre les deux hommes. Paul Gourdot, à juste titre, remonta les bretelles au petit jeune et envoya une lettre à tous les parlementaires francs-maçons pour leur dire que ceux qui votaient la loi Savary trahissaient leur serment. Mais le rouleau compresseur du « coup d’État permanent » l’emporta.
Le député socialiste Arthur Delaporte explique à propos de la situation actuelle: « La guerre scolaire, c’est le terme employé quand la gauche sous l’égide d’Alain Savary a fait de la lutte contre le financement public des établissements privés d’enseignement son cheval de bataille ». Explication totalement fausse.
Le journaliste de Médiapart qui la reprend pour argent comptant, fait allusion aux manifestations monstres contre la loi Savary, en omettant d’écrire comment les différents courants laïques ont réagi face à cette loi, anti-laïque dans son essence, présentant selon une formule « concordataire » dont le ministre Guizot ou le vicomte de Falloux n’aurait pas rougi, que « la religion concourt au service public », le financement public étant justifié de ce fait.(2) Le projet Savary qui tentait de définir un accord avec la hiérarchie catholique, proposait l’entrée des écoles confessionnelles dans le service public avec reconnaissance de leur caractère propre. Pour les établissements relevant du service public, liberté leur était donnée de se définir comme établissements autonomes régis par un projet d’établissement particulariste. Cet abandon des principes aboutira à la défaite laïque de 1984. Le CNAL disparaîtra et la FEN éclatera en 1990. Ajoutons au passage que les petits enfants d’Alain Savary étaient scolarisés en 1981 dans une école confessionnelle. Attaqué par la droite au parlement, le ministre répondra : « Je vous fais remarquer que nous avions le pouvoir d’abroger les lois anti-laïques en une nuit mais que nous ne l’avons pas fait ». Le rapport de force établi par la victoire socialiste du 10 mai 1981 le permettait effectivement.
Tous les gouvernements qui ont suivi depuis, qu’ils soient de gauche ou de droite, se sont situés dans le cadre aggravé de la loi Debré de 1959 de financement public des écoles confessionnelles sous contrat d’association. Dans les faits, il a considérablement augmenté alors que les moyens accordés à l’école de la République n’ont cessé de décroître. On en arrive à la situation actuelle d’effondrement de l’école publique. Que les rênes du ministère de l’Éducation Nationale soient confiées à une catholique intégriste, que les liens entre les collectivités et les établissements soient totalement opaques, sont le produit d’une politique qui a été décidée et imposée au pays, dans le droit fil du positionnement de François Mitterrand de 1980 et de la continuité des institutions gaullistes, entraînant la défaite du puissant mouvement laïque de notre pays en 1984. Rappelons que le chef de l’État d’alors participera au millénaire des Capétiens, entre autres…
L’enquête de Médiapart révèle une autre question : les régions peuvent consentir des subventions d’investissement facultatives que la loi toutefois limite à 10% du budget propre d’un établissement privé. Dans certains cas elles ont flambé. En Île-de-France, collectivité présidée par Valérie Pécresse du parti Les Républicains, les subventions au privé ont bondi de 450 % entre 2016 et aujourd’hui, pour atteindre 10 millions d’euros programmés en 2024, le lycée Stanislas en bénéficiant bien entendu. Il faut rappeler d’où vient cette limitation des 10%. Cette disposition faisait partie d’un texte jamais abrogé après les lois laïques de 1880-1885 et celle de la séparation de l’Église et de l’État de 1905, il s’agissait de la loi du vicomte de Falloux de 1851 faisant passer le corps des instituteurs sous la botte du clergé, sous la surveillance des conseils paroissiaux. On se souvient du discours éblouissant de Victor Hugo contre cette offensive contre la pensée libre, alors que se préparait le coup d’État bonapartiste de Louis Napoléon Bonaparte. Toutefois, c’est la loi Falloux elle-même qui mettait une limitation à 10%. Le personnel actuel de la macronie et de ses alliés fait mieux et plus fort. C’est une insulte à la conscience laïque et à ce million de manifestants qui, ce jour glacial du 16 janvier 1994, ont défilé dans les rues de la capitale contre la loi Bourg-Broc qui abrogeait un article de la loi Falloux. Le démocrate-chrétien François Bayrou était aux commandes. En bon catholique, il proposait de déplafonner l’aide des régions pour les dépenses d’investissement de l’enseignement privé au-delà de 10%. Aujourd’hui certaines collectivités violent la loi. Un régime plus à droite que la loi Falloux ?
Que demande la France Insoumise à travers l’action du député Vannier, membre d’une commission parlementaire travaillant sur ces questions : les relations entre les régions et les établissements privés sont devenues opaques, il faut rétablir une certaine transparence par une pratique « démocratique ». Des critères peuvent être avancés, par exemple la mixité scolaire, pour éventuellement remettre en cause le contrat d’association de tel ou tel établissement privé. Le PS et le PCF ne demandent pas autre chose. Autrement dit, il s’agit de rester dans le cadre de la loi Debré de 1959. Il déclare :
« …Il ne s’agit pas de couper le financement du jour au lendemain – nous ne demandons pas l’abrogation immédiate de la loi Debré, car l’état de l’école publique ne permettrait pas de faire face. Mais il faut, selon moi, un mécanisme de modulation financière qui permette d’œuvrer en faveur de la mixité sociale et scolaire. Nous préciserons nos propositions à l’issue de nos travaux. »(3)
S’il y a une chose que l’actuel scandale met à l’ordre du jour, c’est à nouveau la question laïque trahie en 1984, inversant l’ordre des priorités : vaches maigres pour le public, vaches grasses pour le privé ! Les petits accommodements de Paul Vannier dans le cadre de la loi Debré laissent en place cette constitution du « coup d’État permanent ».
Dehors le gouvernement Macron-Castera ! Dire aujourd’hui « Fonds publics à l’école publique ! Fonds privés à l’école privée ! », c’est combattre pour une nouvelle République sociale, démocratique et laïque. Être laïque aujourd’hui, c’est s’engager pour la chute de ce régime.
RD, le 21 janvier 2024.
Notes :
la formule est utilisée par De Gaulle dans son dialogue avec Alain Peyrefitte.
Relire le préambule de la loi Savary, c’est du Guizot à l’état pur !
Cité par Médiapart, voir le dossier entièrement consacré au lycée Stanislas scolarisant les enfants de l’actuelle ministre de l’enseignement privé !
Notes complémentaires de l’éditeur
1) Marc Sangnier (1873 – 1950) : journaliste et homme politique, promoteur de la démocratie chrétienne sous la 3ème puis la 4ème République, fondateur du Sillon.
2) Emmanuel Mounier (1905 – 1950) : philosophe catholique, fondateur de la revue Esprit et à l’origine du courant personnaliste en France.
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