Remaniement : Macron et Attal se perdent dans les affaires

En 2017, Emmanuel Macron avait promis qu’un ministre mis en examen devrait démissionner du gouvernement. Désormais, une personne mise en examen pour « corruption » et « trafic d’influence », comme Rachida Dati, entre au gouvernement. Revue de détail du remaniement au prisme des affaires.

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Fabrice Arfi

11 janvier 2024

La composition du gouvernement de Gabriel Attal résonne déjà du bruit des casseroles. Surprise parmi les surprises du remaniement annoncé jeudi 11 janvier, Rachida Dati a été nommée ministre de la culture en remplacement de Rima Abdul Malak. Or, l’actuelle maire Les Républicains (LR) du VIIarrondissement de Paris, qui fut aussi ministre de la justice sous la présidence de Nicolas Sarkozy, est mise en examen depuis 2021 pour « corruption » et « trafic d’influence passif par personne investie d’un mandat électif public ».

Les soupçons judiciaires portent sur le paiement de 900 000 euros en 2010 et 2012 par une filiale néerlandaise du groupe Renault-Nissan quand elle était députée européenne. Les juges d’instruction suspectent une rémunération déguisée pour des activités de lobbying au Parlement européen sous couvert du versement d’honoraires en tant qu’avocate, profession qu’elle a rejointe en 2010.

Rachida Dati à Paris en juin 2023. © Photo Thomas Padilla / MaxPPP

La nomination de Rachida Dati, qui conteste toute malversation et bénéficie de la présomption d’innocence comme toute personne mise en cause, intervient dans un calendrier judiciaire particulièrement serré. Les juges ont annoncé en septembre dernier la clôture de leurs investigations visant la nouvelle ministre.

Il revient désormais au Parquet national financier (PNF), statutairement placé sous l’autorité hiérarchique du pouvoir exécutif, de livrer son analyse du dossier et de réclamer – ou non – le renvoi de Rachida Dati devant un tribunal pour y être jugée. Une position que les juges ne sont pas tenus de suivre.

D’après une source informée du dossier, le PNF espère pouvoir rendre ses réquisitions dans le courant du premier trimestre 2024, mais la situation judiciaire de Rachida Dati dépend notamment de recours formés par ses avocats devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris concernant une éventuelle prescription des faits mis au jour.

La promotion de Rachida Dati montre, quoi qu’il advienne du dossier, le peu de cas que le président Macron fait du candidat qu’il a été en 2017. Élu à la présidence de la République, en pleine affaire Fillon, sur une promesse de moralisation de la vie publique – ce fut d’ailleurs la première grande loi de son premier quinquennat –, Emmanuel Macron avait juré qu’un ministre mis en examen ne pourrait rester au gouvernement, ainsi que la pratique politique le voulait en France depuis les années 1990 avec les gouvernements Bérégovoy (à gauche) et Balladur (à droite).

Emmanuel Macron avait même affirmé en mai 2017 à Mediapart, une semaine avant son intronisation à l’Élysée, que la moralisation de la vie publique était « une priorité ». Pour lui, les affaires constituaient « une lèpre qui corrompt le rapport à la politique ».

Les temps ont bien changé. Désormais, une personne mise en examen peut entrer au gouvernement, en connaissance de cause.

L’incompréhensible doctrine Macron

Il est peu de dire que la doctrine Macron face aux affaires est devenue totalement illisible aujourd’hui. Dans le même temps que la nomination de Rachida Dati à la culture, plusieurs ministres mis en cause devant la justice ont en effet été exfiltrés de la première mouture du gouvernement annoncé ce 11 janvier, sans qu’il soit possible de savoir à cette heure si leur éviction est liée aux soupçons qui les visent.

Cela concerne d’abord le ministre du travail Olivier Dussopt, qui a perdu son portefeuille. Il saura le 17 janvier prochain s’il est condamné ou relaxé dans une affaire de favoritisme révélée par Mediapart. Il est soupçonné d’avoir truqué, quand il était maire de la commune d’Annonay (Ardèche), un marché de gestion de l’eau avec l’entreprise la Saur, le n3 français du secteur.

Le PNF a réclamé, à l’issue du procès qui s’est tenu devant le tribunal de Paris, la reconnaissance de la culpabilité d’Olivier Dussopt et une peine de 10 mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende à son encontre. Les procureurs ont dénoncé dans leur réquisitoire « des manquements qui ne peuvent que fragiliser le pacte républicain et dégrader la confiance des citoyens envers leurs institutions ».

Une autre ministre dans le viseur de la justice a également perdu son maroquin. Il s’agit d’Agnès Firmin Le Bodo, qui occupait le portefeuille de la santé. Une enquête de Mediapart a révélé que cette pharmacienne de profession avait perçu, entre 2016 et 2020, pour plus de 20 000 euros de cadeaux des laboratoires Urgo sans les avoir déclarés, comme la loi l’impose. Agnès Firmin Le Bodo a été entendue comme suspecte, pas plus tard que le 9 janvier, dans le cadre d’une procédure pénale ouverte par le parquet du Havre.

Deux poids lourds du gouvernement qui ont eu (pour l’un) ou qui pourrait (pour l’autre) avoir maille à partir avec les juges ont pour leur part été maintenus en fonction. Le premier est le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, qui a été relaxé fin 2023 du délit de prise illégale d’intérêts qui lui était reproché pour avoir utilisé les moyens disciplinaires de son ministère afin de régler des comptes avec des magistrats anticorruption avec lesquels il était en conflit quand il était avocat.

Éric Dupond-Moretti, le premier ministre de la justice française jugé alors qu’il était en fonction, a été relaxé par un tribunal d’exception, la Cour de justice de la République (CJR), majoritairement composée de parlementaires, c’est-à-dire de… politiques. Dans son arrêt, la CJR a estimé que le délit reproché au ministre était matériellement constitué mais que celui-ci n’avait pas conscience de le commettre. Les raisons de la relaxe avancées par la CJR sont allées à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la prise illégale d’intérêts, à la surprise de nombreux juristes.

Le procureur général de la Cour de cassation, Rémy Heitz, nommé à son poste par le pouvoir politique, aurait pu faire appel de la décision de la CJR pour clarifier juridiquement le dossier, mais il a préféré s’abstenir, souhaitant, selon ses mots, « aller à l’apaisement » avec le ministre contre lequel il avait pourtant lui-même réclamé une condamnation pendant le procès…

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a, lui aussi, été maintenu à son poste. Comme Mediapart l’a révélé, il a interféré en tant que ministre du budget, en 2017, dans le transfert de Neymar, le joueur star du PSG, pour permettre au club parisien d’économiser des dizaines de millions d’euros d’impôts. Un ancien directeur de la communication du PSG, Jean-Martial Ribes, a été mis en examen pour « corruption et trafic d’influence » pour avoir sollicité une intervention de l’ex-vice-président de l’Assemblée nationale, Hugues Renson, auprès de Gérald Darmanin dans ce dossier.

L’eurodéputée La France insoumise (LFI) Manon Aubry a annoncé avoir saisi la justice du cas de Gérald Darmanin pour ses intrigues fiscales au profit du PSG.

La nouvelle composition du gouvernement a été annoncée, comme le veut la règle, par le secrétaire général de la présidence de la République, Alexis Kohler. Ce dernier est pour sa part mis en examen pour prise illégale d’intérêts au sujet de ses liens cachés avec le géant du transport maritime MSC.

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