En marge d’un gros dossier de contrefaçon, l’IGPN a découvert une conversation entre une policière et ses parents. Après enquête, le parquet de Pontoise a considéré que l’infraction n’était pas suffisamment caractérisée et a classé sans suite.
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8 février 2024
Àl’été 2022, Sephora O., 30 ans, est dans la sauce. Cette policière adjointe du commissariat d’Ermont (Val-d’Oise) vient d’être mise en examen pour « corruption », « participation à une association de malfaiteurs » et « violation du secret professionnel ».
Soupçonnée d’avoir vendu des informations tirées des fichiers de police, elle se retrouve sous contrôle judiciaire, avec l’interdiction d’exercer. La préfecture de police met un terme à son contrat. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a saisi son téléphone.
Début août, un brigadier de l’IGPN en exploite le contenu. À la lecture, il tombe des nues. Un mois avant son arrestation, dans un échange de messages avec ses parents, la policière adjointe raconte par le menu comment ses collègues vont mentir pour la « couvrir » après un accident avec un scooter, dans lequel elle serait « fautive ».
Dans l’après-midi du 22 mai 2022, la voiture sérigraphiée des policiers et un scooter entrent en collision à Sannois, une commune limitrophe d’Ermont.
À 15 h 31, Sephora O. supplie son père de l’appeler. « Papa appelle stp. Je suis en patrouille j’ai cartonné un scooter en refus d’obtempérer j’ai peur stp. Il est pas mort. On a interpellé 5 mecs pour stupéfiants à cause de ça je dois rendre compte par écrit. Stp. Appelle. » Son père lui fait la leçon, rappelant à sa fille que « quand une personne fait un refus d’obtempérer il s’expose à des risques de mort ou de blessure » et qu’elle n’aurait pas dû poursuivre un scooter qui cherchait à « fuir tout simplement ». « Tu en as rien à foutre qu’il refuse de s’arrêter !!! Laisse-le faire sa life. »
Quelques minutes plus tard, Sephora O. échange avec sa mère, « probablement suite à un appel », note l’IGPN. « Je dois rendre des comptes là », s’inquiète la policière, qui demande à sa mère de « refai[re] de la sauge dans [sa] chambre » (un remède contre le mauvais sort). À 16 h 02, elle ajoute que ses collègues « sont au téléphone avec les caméras de la ville [le centre de supervision urbain – ndlr] pour supprimer le passage où [elle] fonce sur lui ». Elle confirme à sa mère qu’elle conduisait la voiture et écrit : « Je suis fautive. C’est moi, j’ai foncé sur lui. Alors qu’à la radio [la station directrice – ndlr] ils nous ont interdit de faire le refus d’obtempérer. »
« Ils ont menti sur le rapport »
Au passage, Sephora O. traite le conducteur du scooter de « sale noir de sale race de mort ». Plus arrangeante que son père, sa mère répond : « C’est bien fait pour lui t’as fait ton taf. » « Dégoûtée » à l’idée d’avoir « des problèmes », Sephora O. ajoute : « Mes collègues me couvrent ils vont tous mentir sur le rapport en disant c’est lui il m’a foncé dedans j’espère ça va pas finir en procédure au tribunal pour tentative d’homicide maman un truc comme ça je meurs je te dis la vérité. » Sa mère la rassure : « Il va rien t’arriver tu verras. »
Peu avant 19 heures, la mère de Sephora O. vient aux nouvelles et demande à sa fille si « ça va ». « Oui très bien mes collègues ont pris ma défense ils ont tous menti sur le rapport en disant que c’est lui qui a foncé sur moi, répond la policière. J’ai demandé à faire que de l’accueil maintenant parce que on part à Dubaï j’ai pas envie de finir en prison ou garde à vue à cause des racailles on sait jamais. »
S’ils confirment l’existence d’un accident entre la voiture et le scooter, deux coéquipiers de Sephora O. ne la positionnent pas au volant, mais sur le siège arrière droit, à côté d’un autre policier adjoint. Le gardien de la paix Sébastien M. se désigne comme le chauffeur, Jérôme M. comme chef de bord (passager avant droit).
Requis pour contrôler « un groupe de perturbateurs qui consommeraient des produits stupéfiants » sur une esplanade, peu avant 15 heures, les policiers auraient essuyé un refus. Ils racontent avoir vu le conducteur d’un scooter « prendre la fuite », puis faire mine de s’arrêter, avant d’accélérer et « percuter » la portière arrière droite de leur voiture, alors que Sephora O. était en train de l’ouvrir pour mettre pied à terre.
Placée en garde à vue
L’équipage n’aurait pas réussi à voir l’immatriculation du scooter, conduit par « un individu de type nord-africain » sans casque, ni à le poursuivre dans une allée piétonne. Les policiers d’un autre équipage, qui se trouvaient derrière leurs collègues, confirment le déroulement des faits. Les policiers d’Ermont ont bien fait une requête au centre de supervision urbain, mais hors délai : les images avaient déjà été écrasées. L’auteur du refus d’obtempérer n’a jamais été retrouvé.
Sur la foi de ces éléments, l’IGPN soupçonne que les policiers se sont concertés pour mettre au point une version commune, comme l’affirmait Sephora O. dans les messages adressés à ses parents. Cette hypothèse est prise suffisamment au sérieux pour que le parquet de Paris transmette le rapport de l’IGPN au parquet de Pontoise, territorialement compétent.
En octobre 2022, celui-ci ouvre une enquête pour « faux en écriture publique », un crime passible de la cour d’assises, confiée à la cellule déontologie de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Val-d’Oise. Au cours de l’hiver qui suit, Sephora O. est placée en garde à vue, les autres policiers présents entendus en audition libre.
Mi-août 2023, le parquet de Pontoise a finalement classé sans suite cette enquête, estimant que l’infraction était « insuffisamment caractérisée ». Selon Nicolas Brillatz, l’avocat de la policière adjointe, « l’enquête a établi que [sa] cliente avait menti à ses parents, en se présentant auprès d’eux comme la conductrice du véhicule, et non pas dans le procès-verbal litigieux ». Au mois de mars prochain, Sephora O. ne sera jugée que pour le dossier principal, instruit à Paris.
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