LR: La misère, Brigitte Macron va dire quelque-chose?
Le 02/02/2024
Lily a été retrouvée pendue dans une chambre d’hôtel à Aubière, dans la banlieue de Clermont-Ferrand, dimanche 28 janvier. © Thierry LINDAUER
Lily avait 15 ans. Elle a été retrouvée pendue dans une chambre d’hôtel à Aubière, dans la banlieue de Clermont-Ferrand, jeudi 25 janvier. Placée dès sa plus jeune enfance et confiée à l’aide sociale à l’enfance (ASE), l’adolescente laisse derrière elle une vie cabossée. Son histoire illustre, aussi, les défaillances de la protection de l’enfance. « C’est un drame pour elle, sa famille, ses amis et les professionnels qui ont tout donné », déplore Pascal Bertocchi, directeur général de l’association Alteris, mandatée pour suivre Lily.
Plusieurs tentatives de suicide et un contexte de violence
Des épisodes de violence ont déjà été notifiés par le passé, alors ils lui conseillent de déposer une plainte. Selon nos informations, une procédure relative à des violences était en cours. L’adolescente aurait tenté de mettre fin à ses jours après un conflit avec son petit ami, suspecté de lui avoir porté des coups. Après avoir été transportée au CHU de Clermont-Ferrand, elle s’est finalement désistée, refusant d’être entendue par la police et de déposer une plainte.
Dirigée vers une structure hôtelière à la fin du mois d’août 2023, l’adolescente présente pourtant un profil difficilement compatible avec ce mode de placement. Lily a quitté très jeune un contexte familial violent. Ses multiples fugues rendaient son maintien en foyer impossible, défend le directeur général d’Alteris. « Elle était dans une errance dangereuse pour elle-même. » D’où la décision du Département d’orienter l’adolescente « psychologiquement complexe », « en rupture de lien social » et en proie à une addiction aux stupéfiants à l’hôtel.
« On a essayé de la récupérer plein de fois, on a tenté de mettre en place plusieurs accompagnements, mais elle était seule, et elle a fait de mauvaises rencontres, souffle Julien (*), l’un des éducateurs qui l’a accompagné ces dernières années. On n’a pas réussi à casser ce schéma. Son suicide est terrible, on se pose tous plein de questions, on se demande ce qu’on aurait dû faire autrement… Mais on est limité par nos moyens, aussi. »
L’interdiction des placements en hôtel votée… mais inappliquée
Si la mort de la jeune fille est un drame, elle relance le débat sur le placement des ados dans des hôtels, et plus largement sur les moyens alloués à la protection de l’enfance en France. Une loi, dite Taquet, avait été adoptée en 2022 et visait notamment à interdire les placements dans ce type d’hébergement. Sauf que le décret d’application n’est jamais paru. Coïncidence terrible : cette interdiction aurait dû être mise en œuvre le 1er février, quatre jours après le suicide la Clermontoise.
Le nombre d’enfants placés augmente dans le Puy-de-Dôme
Car toute la profession le reconnaît : « L’hôtel est une voie de garage parce qu’on n’a pas de place ailleurs, déplore Pierre-Alain Sarthou, directeur de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape). On ne peut pas imaginer un accueil de la même qualité que dans une structure dédiée, où tout est construit pour accompagner ces jeunes, avec la présence H24 de personnels formés. Et ce sont des établissements souvent en périphérie, parfois malfamés et identifiés par des personnes malveillantes qui vont entraîner les jeunes dans la drogue et la prostitution. C’est un accueil indigne. »
10.000 Combien d’enfants sont placés dans les hôtels ? Difficile à dire précisément. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), publié en janvier 2021, estimait qu’entre 7.500 et 10.000 mineurs de l’Aide sociale à l’enfance étaient hébergés à l’hôtel. 95 % d’entre eux étaient des mineurs non accompagnés.
À Clermont-Ferrand, ces placements en hôtel ont commencé il y a moins d’une dizaine d’années. D’abord avec les mineurs non accompagnés (MNA), puis avec les cas les plus complexes de l’ASE, ces enfants qui ont écumé en vain toutes les structures existantes, comme ce fut le cas pour Lily. « Quelque part, c’est encore de la maltraitance vis-à-vis de ces jeunes : ils ont un toit, ce que d’autres n’ont certes pas, mais on se contente de ça », soupire Fabien, un éducateur qui suit les jeunes placés en hôtel dans la capitale auvergnate.
« On n’est pas tranquille quand on les laisse à l’hôtel le soir. C’est explosif, on met des jeunes aux parcours compliqués, aux problématiques les plus lourdes, ensemble et sans encadrement ! On va les voir trois, quatre fois par semaine mais on ne peut pas faire plus. Ils sont livrés à eux-mêmes. Ça fait des années qu’on demande d’arrêter ces placements. »
Près de 10.000 jeunes placés en hôtel dans toute la France
Le constat est impitoyable, il n’existe aucune autre solution. Le manque de places en foyer ou en familles d’accueil, dénoncé par les professionnels depuis des années, rend inévitable l’hébergement hôtelier, livrant souvent les ados les plus abîmés à eux-mêmes. Ils ont beau être suivis par des éducateurs, personne n’est là la nuit pour intervenir en cas de bagarre ou de détresse, comme dans le cas de Lily. La mise en application à la lettre de la loi Taquet, en l’état, n’y changera rien : où iront ces jeunes hébergés à l’hôtel s’il n’y a de la place nulle part ailleurs ?
Le Puy-de-Dôme, selon nos informations, compterait près de 150 jeunes placés en hôtel. Ils seraient près de 10.000 dans le pays. Et aucun département n’est épargné. « Avant, il y avait quelques zones tendues comme le nord, Lyon, les départements franciliens. Maintenant, c’est généralisé. Dans chaque département, il y a une liste d’attente. Encore plus terrible, des mesures de placement ne sont pas exécutées faute de place, s’émeut Pierre-Alain Sarthou. Il y a aujourd’hui 380.000 mesures prononcées, c’était deux fois moins il y a 20 ans. »
Le secteur est au bord de l’implosion. D’autant que si les enfants accompagnés sont de plus en plus nombreux, leur profil a aussi changé. « Les jeunes n’étaient pas les mêmes il y a dix ans, c’était surtout de la délinquance, analyse Fabien, un ancien éducateur de Lily. Maintenant, la moitié de nos effectifs ont des troubles d’ordre psychiatrique. On n’est pas formé à vivre avec le suicide, le mal-être de ces jeunes. » « J’avais des gamins qui avalaient des lames de rasoir, raconte, encore marquée, Marie (*), plusieurs années à l’ASE au compteur. Mais il n’y a pas de place pour eux, ni en hôpital psychiatrique, ni en Instituts médico-éducatifs (IME). On a une vague face à nous et aucun service ne fonctionne. On s’habitue à des situations anormales, dramatiques. »
« Le système ploie et il va casser »
La mort de Lily a profondément marqué les équipes de l’ASE dans le Puy-de-Dôme, où le suicide de jeunes placés, « la hantise de tout éducateur », reste rare. « Je ne voyais aucun sens à retourner au travail lundi, et puis on se dit qu’il y a d’autres jeunes à aider », souffle Fabien. « On en sauve des gamins, mais on ne fait que du cache-misère, abonde Julien. On pourrait en sauver davantage, mais il faut des moyens. Des budgets, des structures, une reconnaissance de notre métier. En attendant, on tient les choses du mieux qu’on peut. »
Alors même qu’Emmanuel Macron avait fait de la protection de l’enfance une cause majeure de son second quinquennat, les difficultés s’accumulent ces dernières années. Dopées aussi par les confinements du Covid, qui ont à la fois aggravé et multiplié les cas de maltraitance chez les enfants. « On a de plus en plus d’enfants fracassés, on est démunis », déplore Manuel Pelenc, éducateur au Centre de l’enfance et de la famille du Puy-de-Dôme et responsable syndical SUD.
Pour y répondre, l’encadrement fait défaut, aussi, et de nombreux éducateurs s’inquiètent des manques dans la formation des nouveaux diplômés.
« Parcours Sup a aggravé la situation. On fait de l’humain et on recrute aujourd’hui sur dossier, ça ne peut pas marcher. Mais comme ce ne sont les enfants de personne, ça n’intéresse pas beaucoup de monde… »
MARIE (éducatrice)
Deux ans après son vote, la loi Taquet reste inappliquée et inapplicable, même si ces dernières heures, à la suite au drame d’Aubière, le gouvernement accélérait la rédaction du décret d’application. Quant au Plan de lutte contre les violences faites aux enfants, sorti en novembre 2023 ? « Aucun calendrier et aucun financement, critique Pierre-Alain Sarthou. On est à la limite de l’effondrement. Le système ploie et à un moment donné il va casser et on aura de plus en plus de situations de violences ou de drames. » La mort de Lily en est l’illustration.
Arthur Cesbron et Malik Kebour
(*) Les prénoms ont été modifiés.
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