Dans les Alpes-de-Haute-Provence, la tension est à son comble entre l’État, la société Boralex et une partie de la population qui accuse les deux premiers de collusion. En jeu, la centrale photovoltaïque que l’entreprise canadienne construit sur les contreforts de la montagne de Lure, sur un site naturel classé réserve de la biosphère par l’UNESCO. Une énième version de la lutte du pot de terre contre le pot de fer.
Dimanche 19 novembre 2023, 11 h. Dans la salle de la culture et des loisirs de Montlaux, un village de 200 âmes situé à l’est du département des Alpes-de-Haute-Provence, l’article 2 de la Charte de l’environnement, intégrée à la Constitution française en 2005, s’affiche en grand : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. »
Cette injonction, les 300 personnes réunies ce matin-là à l’appel du collectif citoyen Elzéard, Lure en résistance entendent bien la respecter et lui donner corps. L’environnement qu’ils veulent préserver, c’est la montagne de Lure : un massif forestier des Préalpes de Haute-Provence dont le sommet désertique culmine à 1 825 mètres d’altitude. Au siècle dernier, cette montagne vallonnée a été la muse de Jean Giono. L’écrivain en a fait le théâtre d’une de ses nouvelles : dans L’homme qui plantait des arbres, un berger solitaire, Elzéard Bouffier, se lance dans la plantation de milliers de chênes et de hêtres.
Une réserve de biosphère
Le groupe qui a adopté le prénom du héros gionesque revendique quelque 700 sympathisants. L’histoire imaginaire du berger Elzéard est devenue l’allégorie de leur lutte. Le noyau dur – une quinzaine de personnes – s’oppose depuis quatre ans aux différents projets de parcs photovoltaïques industriels qui pullulent sur ce massif, constitué à 70 % de forêts et 20 % de terres agricoles et de pâturages. En 2010, le massif avait été intégré à la réserve de biosphère du Luberon classée par l’UNESCO, comme Blast l’a déjà raconté dans une enquête consacrée au développement du photovoltaïque en forêt.
Selon les calculs des amis d’Elzéard, 144 hectares d’étendues boisées ont déjà été rasés sur la montagne de Lure pour accueillir 12 centrales photovoltaïques. Et 523 hectares supplémentaires pourraient l’être prochainement au profit des multinationales de l’énergie, qui lorgnent sur ces terres pour y poser leurs panneaux solaires à moindre coût.
Depuis plusieurs mois, le collectif se mobilise ainsi contre un parc solaire en construction à Cruis, commune de 700 habitants en amont de Montlaux. De blocages récurrents du chantier en recours judiciaires et administratifs, il tente par tous les moyens d’empêcher l’entreprise canadienne Boralex d’installer 20 000 panneaux photovoltaïques sur deux parcelles d’une superficie totale de 17 hectares. Pour les dégager, il a fallu raser 30 hectares de forêt et de végétation sur les contreforts de la montagne.
C’est totalement absurde
« C’est un projet contre nature : couper des arbres qui sont des puits de carbone pour planter à la place des panneaux solaires au nom de la nécessaire décarbonation de notre mix électrique, c’est totalement absurde », résume Pierrot Pantel. Cet ingénieur écologue est chargé de mission à l’Association nationale pour la biodiversité (ANB), qui coordonne la lutte du collectif sur les plans juridique et médiatique.
Victorieux de l’appel d’offres lancé en 2009 par le conseil municipal de Cruis, Boralex défend au contraire un projet qui va « revaloriser des parcelles » détruites par un incendie en 2004, en leur donnant une seconde vie. En s’appuyant sur une photo tirée d’une brochure de la municipalité sur sa forêt communale – une vue aérienne du site avant défrichement -, le directeur général délégué de ce groupe côté en bourse à Toronto, Christophe Paupe, assure lors d’un entretien avec Blast que « c’est complètement exagéré de dire qu’on a coupé une forêt » : « Suite à l’incendie ravageur de 2004, l’ONF (l’Office national des forêts, ndlr) et la commune ont essayé de reboiser, mais ça n’a pas fonctionné. Il ne restait que quelques résineux, alors on ne peut pas parler d’une forêt. » Et le dirigeant de Boralex de dénoncer la campagne de « désinformation » menée par Elzéard, Lure en résistance.
Si une partie du site était constitué de garrigue, les travaux de défrichement et de débardage des parcelles, réalisés en septembre 2022, ont toutefois duré cinq semaines pour transformer le bois coupé en plaquettes. Des photos publiées sur le site web de l’association Amilure, opposée au projet, montrent également que les cèdres de l’Atlas plantés en 2008 par l’ONF se portaient plutôt bien. « En septembre, quand les tronçonneuses ont débarqué, les arbres avaient 5 ou 6 mètres (de hauteur, ndlr). On peut difficilement imaginer une forêt plus vivante », affirment-ils en citant à l’appui le procès-verbal de reconnaissance de bois à défricher émis six ans auparavant par la direction départementale des territoires (la DDT) des Alpes-de-Haute-Provence, à l’époque de l’étude du projet en 2016. La DDT y souligne que « la bonne vigueur des peuplements de cèdres de l’Atlas observés lors de la reconnaissance du terrain démontre l’intérêt sylvicole des secteurs examinés. (…) Cette zone constitue une station très favorable à la production de bois d’œuvre. »
Cette administration, chargée de veiller à l’équilibre des territoires, signale par ailleurs dans son PV que les deux parcelles concernées « font partie d’une zone de transition entre milieux ouverts à vocation agricole et écosystèmes forestiers. Cette configuration est propice à l’expression de la biodiversité. Un rôle de corridor écologique et potentiellement de refuge peut être attribué aux deux secteurs. » Pourtant, la DDT a donné un « avis favorable » au parc solaire de Boralex.
Un cynisme monumental
Le dimanche 19 novembre 2023, à Montlaux, ils étaient plusieurs parmi les opposants au parc solaire de Cruis à s’étonner que les services de l’État, de la préfecture à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (la DREAL) en passant par l’ONF, aient donné leur feu vert au projet de la multinationale. Officiellement, le ministère de la Transition écologique recommande en effet de privilégier « les sites déjà dégradés ou artificialisés », soulignant à gros trait que « les zones et secteurs agricoles, forestiers et naturels ne sont en principe pas ouverts à l’installation de centrales solaires au sol ». A moins de démontrer leur « compatibilité avec ce caractère agricole, forestier ou naturel ».
« C’est d’un cynisme monumental, peste Éliane, 73 ans, une retraitée qui vit dans le village voisin de Banon. On est dans une zone naturelle classée par l’UNESCO. Ça veut dire quelque chose tout de même ! »
Permis de construire, autorisation de défrichement, dérogation à la protection des espèces végétales et animales protégées… Les trois ont été délivrés par le préfet des Alpes-de-Haute-Provence, Marc Chappuis, le dernier en dépit l’avis défavorable du Conseil National de la protection de la Nature. Ce qui permet à Boralex de rester droit dans ses bottes et d’assurer devant Blast de « disposer de toutes les autorisations nécessaires » : « Notre projet se fait dans le respect des lois ».
L’avis oublié du CNPN
Rattaché au ministère de la Transition écologique, le Conseil national de la protection de la nature (le CNPN) est sollicité dans les dossiers de demande de dérogation à la protection des espèces. S’ils sont consultatifs, ses avis font généralement autorité. S’agissant du parc solaire de Cruis, le CNPN souligne que le projet se situe « en zone naturelle remarquable » et se demande « pourquoi ne pas l’avoir placé à proximité de l’agglomération, de façon à réduire l’incidence sur les espèces protégées et le mitage des espaces ». En raison de son implantation dans la montagne de Lure, il avait émis le 24 octobre 2019 un « avis défavorable » en notant que les mesures compensatoires prévues par Boralex étaient sont « insuffisantes » et que les impacts cumulés sur les espèces protégées avaient été « sous-estimés ».
Formulées par le collectif Élzeard, Lure en résistance, avec le concours d’une dizaine d’associations environnementales, deux plaintes ont été déposées. La première, transmise au parquet de Digne-les-Bains le 10 juillet 2023, dénonce plusieurs atteintes au Code de l’environnement. Les plaignants reprochent à l’opérateur d’avoir défriché près d’un hectare en trop (0,9 hectare, exactement), sans autorisation. Et surtout d’avoir « détruit, dégradé ou altéré les habitats » de 59 espèces d’oiseaux protégées alors que la dérogation à la protection des espèces végétales et animales protégées, délivrée par arrêté préfectoral le 17 janvier 2020, ne permettait que « le dérangement des individus » concernés. Enfin, ils accusent l’entreprise d’avoir « fait preuve de négligence » puisque d’autres espèces protégées ne sont pas visées dans le cadre de sa demande de dérogation. Fin juin, début juillet 2023, des expertises naturalistes réalisées par le bureau d’étude Asellia-Ecologie et les entomologistes du Conservatoire d’espaces naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur (le CEN PACA), mandatés par les associations plaignantes, ont révélé qu’au moins sept espèces protégées ont été oubliés par Boralex. Parmi elles figurent notamment le lézard ocellé, un reptile faisant l’objet d’un plan national d’action pour assurer sa conservation, et l’alexanor, un papillon rare en danger critique d’extinction, ainsi que sa plante hôte, la ptychotis saxifraga.
Un pas en arrière, deux pas en avant
Informée de ces nouveaux recensements d’espèces sur le site, Boralex explique d’abord, dans un communiqué du 18 août 2023, que « les informations transmises par les opposants ne remettent pas en cause les autorisations obtenues auprès de la DREAL, les mesures déjà prévues – et mises en œuvre par Boralex – permettant d’éviter tout impact sur les espèces mentionnées. » Puis l’entreprise se ravise : dans un nouveau communiqué, elle indique le 18 septembre qu’elle « reporte les travaux sur le chantier ».
La direction déclare également qu’à la suite d’analyses environnementales effectuées par des écologues indépendants, un porter à connaissance a été déposé auprès des services de l’État afin de permettre « l’adoption de prescriptions complémentaires destinées à garantir la préservation des espèces protégées ».
Pour les opposants, ce « porter à connaissance » constitue un aveu à même de mettre le préfet et la DREAL devant le fait accompli : Boralex a contrevenu à ses obligations. L’entreprise répond qu’il s’agit plutôt d’une « actualisation (afin) de mettre à jour la dérogation espèces protégées » qu’elle a « obtenue en bonne et due forme ». « C’est une procédure très courante, observe Christophe Paupe. Le lézard ocellé et la ptychotis saxifraga sont des espèces qui aiment les milieux ouverts. C’est normal d’en voir après qu’un site ait été défriché », explique le directeur général délégué à Blast.
Déposé en préfecture et à la DREAL le 29 août 2023, le fameux « porter à connaissance » vise neuf nouvelles espèces de reptiles, dont le lézard ocellé, pour lesquelles des mesures compensatoires sont détaillées. En revanche, pour les insectes et les oiseaux « aucun n’impact n’est prévu » – donc aucune mesure. Dans la foulée, une concertation publique est organisée à la va-vite du 6 au 20 septembre. Elle aboutit le 29 septembre 2023 à un arrêté préfectoral complémentaire.
Celui-ci mentionne que la dérogation aux espèces protégées accordée trois ans plus tôt doit être complétée « en raison d’une erreur matérielle n’ayant pas permis d’inscrire certains impacts résiduels du projet concernant les oiseaux ». Boralex est ainsi autorisée, a posteriori, à détruire l’habitat de dix espèces de volatiles… L’arrêté valide aussi l’altération de l’habitat de l’alexanor ainsi que les mesures compensatoires permettant l’altération ou la destruction des habitats des reptiles.
Ni menace, ni violence : deux années de prison requises
Le 2 octobre 2023, le nouvel arrêté du préfet tombé, Boralex annonce la reprise des travaux sur le chantier, qui s’accompagne par la reprise immédiate des blocages. Ils vont rapidement être découragés par la force publique : le 4 octobre, deux opposantes sont arrêtées par la gendarmerie pour s’être allongées en travers du chemin des pelleteuses. Placées en garde à vue pendant 28 heures, elles sont déférées le lendemain en comparution immédiate, devant le tribunal de Digne.
Le 5 octobre, les deux femmes âgées de 60 et 72 ans comparaissent pour entrave à la circulation et interdiction de pénétrer dans une propriété privée. Le procureur Rémy Avon a la main lourde. Il demande une peine de deux ans d’emprisonnement. « Il n’y a pas de démocratie lorsque les convictions de certains empêchent la liberté d’entreprendre d’une majorité, cingle-t-il. Ces dames sans violence et sans menace empêchaient les engins de travailler. Elles peuvent contester, mais en utilisant les voies de droit. » Le ministère public réclame également leur placement sous contrôle judiciaire, avec interdiction de manifester sur la voie publique. Pour faire bonne mesure, le procureur Avon sollicite encore des cautionnements – 400 à 740 euros par semaine pour chacune d’elles.
L’entreprise Boralex réclamait pour sa part la réparation d’un préjudice évalué à 38 000 euros.
Face à ces demandes qualifiées « d’exagérées », les avocates des opposantes obtiennent le renvoi du dossier au 5 décembre 2023. Le jugement a été mis en délibéré au 25 janvier dans un premier temps. Et la décision, depuis repoussée, est imminente désormais.
Deux dynamiques pénales
Les comparutions immédiates sont habituellement réservées à la délinquance de droit commun. Selon Pierrot Pantel, ce recours dans ce cadre particulier a clairement pour objectif « [d’]intimider les opposants au parc solaire ». De fait, les blocages vont s’atténuer. L’écologue de l’ANB constate par ailleurs l’existence de « deux dynamiques pénales » : « Le procureur est très réactif pour empêcher les blocages, mais il l’est beaucoup moins pour instruire notre plainte, qui est restée lettre morte malgré nos nombreuses relances par mail. »
Qu’à cela ne tienne, le 25 octobre 2023, le collectif Elzéard, Lure en résistance et les associations environnementales qui le soutiennent déposent une nouvelle plainte pénale pour « dégradation, altération et destruction d’habitat d’espèces protégées » et « perturbation intentionnelle » de ces dernières. Elle relève notamment l’atteinte à l’habitat de 59 espèces d’oiseaux protégées, alors que Boralex n’est autorisé à détruire les habitats de seulement dix d’entre elles. Les plaignants accusent aussi l’entreprise de « négligence fautive » pour sa « non prise en considération intentionnelle des données naturalistes pourtant à (sa) disposition qui auraient pu et dû (la) conduire à considérer l’ensemble des nouvelles espèces protégées constatées sur le site comme présentes, et donc à stopper tout travaux par application du principe de précaution ».
Préfet à la rescousse
Trois jours plus tard, tandis que les blocages du chantier repartent de plus belle, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence monte au créneau. Dans une interview à La Provence, soulignant que « le projet de Cruis a été lancé il y a plus de 15 ans », Marc Chappuis affirme qu’« il y a une adhésion massive de la population » : « Il y a eu de multiples recours. Des gens qui sont contre, ils ont le droit de le dire, mais ce projet se fait dans des conditions strictement légales. » Le représentant de l’État en profite pour préciser son rôle : « c’est de lever les freins pour que les projets se concrétisent. (…) Il faut savoir ce que l’on veut : on ne peut pas vouloir une économie décarbonée et ne pas vouloir de panneaux solaires ou d’éoliennes. (…) Chez nous, il y a beaucoup de soleil, de l’espace, c’est rentable de mettre des panneaux solaires. »
La lecture de l’entretien du préfet Chappuis fait littéralement bondir les écologistes. Ils y voient une opération téléguidée par Boralex, Pierrot Pantel n’excluant pas de déposer une nouvelle plainte contre le préfet et la DREAL cette fois, pour complicité de destruction de l’environnement. « Quand des personnes censées faire appliquer la loi la violent, il y a des questions à se poser », balance l’écologue. Ce sentiment de collusion entre l’entreprise et les services de l’État est renforcé par le fait que, dans le cadre de l’examen de son porter à connaissance, l’entreprise a déposé un rapport additionnel le 21 septembre, soit le lendemain de la clôture de l’enquête publique. Cette « note d’information complémentaire » détaille notamment des mesures compensatoires supplémentaires pour le lézard ocellé.
Le 5 octobre, soit six jours après la signature de l’arrêté préfectoral qui étend sa dérogation aux espèces protégées, Boralex soumet « un complément d’étude sur le ptychotis saxifraga », la plante hôte du papillon alexanor. On peut y lire qu’une « quarantaine d’individus a été recensée » dans la zone située à l’extérieur du chantier correspondant à l’obligation légale de débroussaillement et que sur le site à proprement parler du chantier, « la présence d’habitat favorable à l’espèce » a été constatée. Conclusion : « Le préfet a tout mis en œuvre pour que Boralex reprenne ses travaux, sans même attendre ces deux rapports », déplore Pierrot Pantel.
Un procureur avocat
Le 19 novembre dernier, dans les rangs des opposants qui participaient à la marche carnavalesque organisée entre Montlaux et le parc solaire en construction à Cruis, certains avaient du mal a masquer leur pessimisme. « C’est le fameux pot de terre contre le pot de fer, constate Olivier, un habitant de la région désabusé. Notre lutte est un peu sur la fin car je ne les vois pas reculer maintenant alors que le chantier est bien avancé. Ce serait un camouflet pour le préfet. » Pour le quinquagénaire, « à coup de décisions opaques, il a permis à une multinationale de défoncer une forêt. Ça fait peur pour l’avenir. »
Évidemment, le procès des deux militantes arrêtées le 4 octobre allongées en travers du chemin des pelleteuses apporte encore de l’eau au moulin de ceux qui dénoncent la connivence entre les services de l’État et Boralex. Lors de l’audience-fleuve du 5 décembre dernier, qui a duré plus de cinq heures, le procureur de la République Rémy Avon a requis des amendes de 1 200 euros contre les deux femmes, après avoir répété à cinq reprises que l’entreprise canadienne œuvre dans la légalité… Cité comme témoin devant le tribunal de Digne, Pierrot Pantel a soigneusement noté ces adoubements du parquetier : « Alors qu’il est censé enquêter sur la responsabilité pénale de Boralex, il affirme qu’elle respecte scrupuleusement la loi ! Pourtant, nos deux plaintes n’ont pas été classées sans suite. Elles sont toujours pendantes ».
Une situation judiciaire rarissime
En conséquence, dans un courriel adressé à Rémy Avon le 7 décembre, l’écologue demande son dessaisissement au profit du pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement (PRE) du tribunal judiciaire de Marseille. « Soit l’enquête pénale dont vous disiez le 23/11 qu’elle était encore en cours (information que le procureur a confirmé à Blast le lendemain, par courriel, ndlr) s’est achevée, soit la question de votre impartialité dans le cadre de ces investigations doit se poser. Au regard d’une situation judiciaire rarissime où un magistrat sensé enquêter sur la culpabilité d’un mis en cause affirme haut et fort pendant un réquisitoire et en pleine enquête préliminaire, que ce dernier est pénalement irréprochable, nous sollicitons du PRE de Marseille qui nous lit en copie, que vous soyez dessaisi de ce dossier Boralex », écrit-il au nom des 13 associations et collectifs qu’il représente.
Face à cette résistance qui refuse de lâcher, la multinationale déplore cette opposition à tout crin. « Ils disent qu’ils veulent faire un exemple pour montrer que ce sera coûteux de mener à bien ce genre de chantier, critique Christophe Paupe. Leur tactique est de décourager d’autres porteurs de projet similaire au nôtre. » Les intéressés ne s’en cachent pas : « On mène un combat d’avant-garde », confirme une des deux opposantes jugées le 5 décembre à Digne.
Cheville ouvrière d’Elzéard, Lure en résistance, Sylvie Bitterlin explique que la loi sur l’accélération de la production des énergies renouvelables (AER), adoptée en mars dernier, encourage la multiplication des centrales photovoltaïques au sol. En vertu de son article 19, un projet d’énergie renouvelable peut être « réputé répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur », une brèche dans laquelle les industriels vont pouvoir s’engouffrer pour obtenir plus facilement des dérogations à la protection des espèces protégées. « Le parc solaire de Cruis n’est que le début d’une déferlante de projets similaires sur la montagne de Lure et partout ailleurs en France », redoute la sexagénaire.
Gros sous
Selon le député La France insoumise Léo Walter, présent lui aussi le 19 novembre 2023 à Montlaux, la loi AER met la charrue avant les bœufs. « On doit certes décarboner nos sources d’énergie mais on doit avant tout réduire nos besoins. En multipliant les potentialités, on encourage la consommation d’électricité ». S’il convient qu’il faut « plus de photovoltaïque », l’élu de la circonscription estime « toutefois, [qu’]il faut privilégier les endroits déjà artificialisés pour installer des panneaux. Et ils doivent avant tout servir à produire de l’électricité pour un usage local. » Partant de là, « le projet de Cruis ne coche aucune de ces cases. On a là une multinationale qui vient faire du profit en appâtant une petite commune avec des sommes d’argent qui correspondent à une part non négligeable de son budget de fonctionnement. »
Pendant 30 ans, Boralex versera à la commune de Cruis un loyer annuel de quelque 170 000 euros, l’équivalent de 20 % de son budget de fonctionnement en 2023. « Une somme très très importante (…) dans une période où l’État assèche les rentrées d’argent des collectivités », défend son maire divers-gauche, Félix Moroso auprès de l’AFP. Pour leur part, les opposants au projet ont calculé qu’à 60 euros le mégawattheure l’entreprise canadienne allait générer grâce à cette centrale gagnée sur la montagne un chiffre d’affaires annuel de 1 560 000 euros, hors subventions publiques.
Dans une interview donnée à TF1, son directeur général délégué reconnaissait les avantages d’une centrale au sol comme celle de Cruis : elle lui permet de produire une électricité « moins chère. Quand je dis moins cher, c’est quasiment du simple au double » comparé à des panneaux installés sur les ombrières d’un parking ou le toit d’un entrepôt. A ce prix-là, c’est vite vu pour optimiser les bénéfices de son entreprise : et tant pis si, au passage, il détruit un espace forestier, le meilleur outil de lutte contre le changement climatique…
Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret
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