Des vidéos que révèle Mediapart montrent qu’une femme de 67 ans, juive orthodoxe, a été privée de sa perruque alors qu’elle venait d’être arrêtée pour un refus d’obtempérer au commissariat de Créteil. Son avocat dénonce des violences policières « sexistes et antisémites ».
4 février 2024 à 16h24
4 février 2024
Sur les images, une femme est allongée sur le sol carrelé blanc, un bras menotté au pied d’un banc métallique, maintenue par deux policiers. On l’entend crier : « Je suis juive, je veux ma perruque. Ma perruque… » En vain. Sa tête est nue, ses cheveux apparents. La scène dure de longues minutes.
Elle est issue d’une vidéo filmée par un policier du commissariat de Créteil (Val-de-Marne) le 8 juin 2023, et que Mediapart s’est procurée. Elle raconte l’histoire de Sarah*, 67 ans, retraitée, mère de six enfants et grand-mère de 30 petits-enfants, interpellée après un contrôle routier et accusée de « refus d’obtempérer » et de « dégradation de bien ».
Juive orthodoxe au sein d’une communauté Loubavitch, Sarah porte des perruques depuis ses 18 ans, l’année de son mariage, conformément à sa pratique religieuse. « M’arracher ma perruque est une des pires choses que l’on puisse me faire. À la maison, j’ai la tête couverte. Même la nuit », explique Sarah dans un entretien à Mediapart. Ce jour-là, dit-elle : « J’ai été humiliée, brisée… »
Son avocat, Arié Alimi, a déposé plainte pour « atteinte à la liberté individuelle » via une arrestation arbitraire, des « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique » et des « violences commises en raison d’une appartenance religieuse et du sexe ». « On est à l’intersection de plusieurs violences : des violences sexistes, à caractère antisémite et une violence policière », estime Arié Alimi.
De son côté, Sarah est visée par une plainte de la police pour « mise en danger de la vie d’autrui avec risque immédiat de mort » et « dégradation de bien public ».
Contactée à de multiples reprises, la préfecture de police de Paris n’a pas donné suite à nos demandes.
Un contrôle routier
Ce jeudi après-midi de juin 2023, Sarah rentre d’une boucherie de Créteil où elle a l’habitude de faire ses courses. Devant elle se trouvent trois motards qu’elle n’identifie pas comme des policiers immédiatement. Elle les klaxonne et poursuit sa route. Les agents de la patrouille motorisée de la compagnie de sécurisation et d’intervention de la circonscription de Créteil, eux, décrivent un véhicule roulant « à une vitesse excessive ». Ils encerclent Sarah, procèdent à un contrôle d’identité. Au milieu de la procédure, elle recule et heurte une moto garée juste derrière sa voiture. Les policiers braquent leurs armes de service sur elle.
Les images, consultées par Mediapart, racontent la suite de la scène. Sarah assure qu’elle n’avait pas vu la moto. Et que si elle l’a heurtée, c’est « sans le faire exprès ». Elle dit aux policiers qu’elle a eu peur et a été choquée de voir leur « flingue ». Sur procès-verbal, un policier justifie la sortie d’arme par un « danger immédiat ». Allant jusqu’à dire : « La conductrice étant sur le point de nous percuter de plein fouet sans possibilité de nous protéger. »
Sur place, le ton monte. Les agents emmènent Sarah au commissariat. Elle refuse d’être menottée. « J’ai expliqué que j’étais claustrophobe […] Ils ont accepté de ne pas m’entraver », a raconté la retraitée dans sa plainte à l’IGPN.
« Un coup de genou dans le dos »
Un policier serait alors arrivé « en colère », selon sa plainte, affirmant que « ça ne se passerait pas comme ça ». Il l’aurait alors empoignée pour la lever, Sarah serait « tombée dans les pommes ». Pour la redresser, il lui aurait donné « des coups », notamment « un coup de genou dans le dos ». Sa tête aurait heurté le banc de garde à vue et le mur ; sa perruque aurait alors légèrement glissé.
Les policiers la lui enlèvent. Un des motards le justifie dans son compte rendu écrit : « Sa perruque l’empêchant de respirer correctement, un effectif lui retire […] lorsque l’interpellée devient complètement hystérique et se met à hurler qu’elle veut récupérer sa perruque ».
Ce que l’agent qualifie de comportement « hystérique » – un terme « sexiste », souligne l’avocat de Sarah – figure sur les images filmées par un des policiers présents, et versées à la procédure. On y voit Sarah finalement à terre, se démener, hurler, sembler à demi consciente, voire inconsciente. D’après son avocat, elle a fait plusieurs malaises. Sa fille, jointe par le commissariat, avait prévenu qu’elle était sujette à « des crises de tétanie ». Sur les images, on la voit plusieurs minutes, sans réaction, la tête ballante, le corps raide. Elle parle difficilement, convulse…
Les policiers, eux, jurent qu’elle a « feint » les pertes de conscience.
« Ces policiers ne sont pas médecins…, rétorque Arié Alimi. Quand on voit quelqu’un au sol, qui a l’air d’avoir perdu connaissance, leur appréciation ou leur abstention à agir peut constituer une mise en danger de la vie d’autrui. » Ils finiront d’ailleurs par appeler les pompiers, qui vont conduire Sarah aux urgences de l’hôpital. Elle y restera une heure sans être examinée. Elle ira consulter son médecin traitant le lendemain.
Le certificat médical qu’il établit, en date du 9 juin, « constate des contusions et hématomes aux poignets, à la face interne des bras, sur les genoux, à la fosse lombaire droite, à la cuisse droite, au niveau des fesses et un état de choc psychologique ».
« Un acte antisémite par des représentants de l’État »
Fait surprenant : nulle part dans les 57 pages du dossier de poursuites à l’égard de Sarah n’est mentionnée la raison pour laquelle elle réclame sa perruque. Jamais sa confession, pourtant si importante pour elle, n’est indiquée.
Néanmoins, les policiers le savent. Elle leur crie qu’elle est « juive » sur une des vidéos versées au dossier. On y entend aussi distinctement l’un des agents dire qu’elle est « feuj ». Sarah est la cible de railleries. Les images le montrent. Alors qu’un policier lui demande son adresse, une collègue répond : « Rue de la perruque ! » C’est elle, entre autres, qui refusera de la lui rendre.
« C’est une scène ignominieuse, s’émeut Me Alimi. Il faut qu’on sache comment a été traitée une femme juive dans un commissariat de la République française. » L’avocat a consulté Jonas Pardo, du collectif Golem qui lutte contre l’antisémitisme : « Arracher la perruque d’une femme juive est un acte antisémite, une atteinte à sa dignité, à sa pudeur, de la même manière qu’arracher le foulard d’une femme musulmane serait un acte islamophobe. »
Sarah regrette ce qu’elle juge être « un acte antisémite par des représentants de l’État », visée « parce que juive » : « Parce que j’étais une femme aussi. » Entravée, malmenée et humiliée, sur le sol d’un commissariat, elle explique même avoir pensé « aux nazis » et dit s’être sentie « de manière symbolique » plongée dans « une partie de l’histoire » des juifs et juives d’Europe.
Contusions, hématomes et « choc psychologique »
Le 13 juin, Sarah dépose plainte auprès de l’IGPN pour « violences volontaires ». « J’avais saisi l’ampleur de ma douleur, et surtout de mon traumatisme. Dès que je commençais à parler, je pleurais. J’avais des bleus sur le corps. »
« Rien que d’en parler elle se mettait à trembler, à bégayer », souligne une de ses filles. Son mari, médecin, dit aussi avoir été « très perturbé par l’état de [sa] femme ». « Même si elle sait être courageuse et résistante, elle est plus fragile depuis. C’est très révoltant. »
Mais sa plainte est classée sans suite, le 28 septembre, au motif que « l’infraction n’est pas caractérisée », selon le parquet de Créteil. Selon nos informations, Sarah a déposé une nouvelle plainte avec constitution de partie civile le 1er février.
Parallèlement, l’enquête sur les faits qui se sont produits lors du contrôle routier s’est poursuivie. Le 20 juin, Sarah est placée en garde à vue pendant six heures. Le devis de réparation de la moto qu’elle a renversée lui est présenté : 2 390,15 euros – elle devra s’en acquitter. Sur procès-verbal, elle indique : « Je déplore l’inhumanité des gens […] J’ai été menottée de force, je suis tombée par terre, des fonctionnaires de police […] étaient là pour me brutaliser […] je ne reconnais pas les faits reprochés. »
Le parquet de Créteil lui a proposé une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, une forme de plaider-coupable. Sont reprochés à Sarah une « mise en danger de la vie d’autrui » et l’acte d’« avoir dégradé la moto d’un fonctionnaire de police ». La sexagénaire a refusé. Elle est renvoyée devant le tribunal le 4 mars prochain.
Aujourd’hui, Sarah explique être dans une « révolte permanente » au sujet des violences policières. Elle témoigne pour qu’aucune autre femme ne subisse le même traitement : « Que ce soit une femme juive, arabe ou toute femme qui tient à un vêtement ou a une attitude liée à sa religion. Tout le monde a droit au respect. »
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