Prisons prises d’assaut, aéroport international assiégé, le premier ministre Ariel Henry bloqué à Puerto Rico : la tendance à la décomposition de l’État Haïtien et la vague de violence qui touche le pays continuent et s’intensifient.
7 mars
La crise latente et les guerre de gangs qui durent depuis des années en Haïti ont connu un nouvel embrasement ces derniers jours. Samedi 2 mars, des gangs armés ont pris d’assaut le pénitencier national de Port-au-Prince, principale prison de l’Île et permis l’évasion de milliers de prisonniers, parmi lesquels figurent « d’importants membres de gangs très puissants » comme le rapport la Gazette d’Haïti. Affirmant vouloir renverser le Premier ministre Ariel Henry, les gangs armés mènent depuis plusieurs jours des attaques coordonnées sur les principaux sites stratégiques de la capitale, visant plusieurs prisons et bâtiments de la police.
Au lendemain des assauts, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence pour une période de 72 heures renouvelable et instauré un couvre-feu de 18 heures à 5 heures. Ces mesures purement répressives n’ont rien arrangé à la situation, et ce mardi matin a été marqué par un nouvel assaut coordonné, cette fois sur l’aéroport international Toussaint Louverture. Aéroport où aurait dû atterrir dans l’après-midi Ariel Henry, de retour d’une visite diplomatique au Kenya. Il est actuellement bloqué à Puerto Rico et dans l’impossibilité de rentrer sur l’île.
Nouvel embrasement dans la guerre des gangs en Haïti
Les événements des derniers jours ont déjà fait au moins 10 morts, qui s’ajoutent aux 2400 victimes de la guerre des gangs depuis le début de l’année 2024. Ce n’est pas un hasard du calendrier si ce saut dans le niveau de violence intervient quelques semaines après que le Premier ministre ait refusé de quitter son poste à l’issue de son mandat, et pendant qu’il se trouve en visite diplomatique à Nairobi pour négocier l’envoi de troupes policières étrangères sur le sol haïtien. En effet, après avoir assumé le rôle de gouvernement intérim d’Haïti à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, Ariel Henry a vu le mandat de l’ancien président et donc le sien arriver à échéance le 7 février 2024.
Pour celui qui gouverne depuis presque trois ans sans avoir été élu, ce n’est pas forcément surprenant. Alors que Haïti s’enfonce chaque semaine un peu plus dans la crise depuis l’assassinat de J. Moïse, l’annonce de son maintien au pouvoir a une nouvelle fois embrasé les colères et notamment celles des gangs armés. Si l’annonce d’Ariel Henry puis sa visite au Kenya ont certainement servi d’étincelle, le principal carburant de cet embrasement de violence reste la situation économique et sociale catastrophique du pays.
La décomposition du régime haïtien inquiète les puissances impérialistes, premières responsables du sous-développement du pays
Alors que Haïti paye encore aujourd’hui le prix de sa colonisation et des dettes colossales contractées auprès des pays impérialistes au moment de son indépendance, la situation économique a connu une nouvelle dégradation depuis 2021 et l’assassinat de Jovenel Moïse – toujours non élucidé à ce jour. Le pays caribéen souffre d’une augmentation constante de la violence et du ganstérisme de la part des mafias, qui se nourrissent de l’instabilité économique et de l’immense pauvreté de la population. Les enlèvements et kidnappings, une des principales sources de revenus des gangs, ont explosé ces derniers mois : ils ont augmenté de 49 % entre 2022 et 2023. On estime aujourd’hui à près de 5,2 millions le nombre d’habitants ayant besoin d’une aide alimentaire d’urgence, et les différents plans humanitaires internationaux notamment liés aux catastrophes écologiques n’ont aucunement permis de sortir la population de la misère. Surtout, la politique poursuivie par le gouvernement illégitime d’Henry a encore accentué les difficultés de la population.
A l’automne 2022, son gouvernement a par exemple supprimé les subventions publiques au carburant.Le prix fixé par le gouvernement pour un gallon (3,79 litres) d’essence est passé de 2 à 4,78 dollars ; celui du diesel de 3 à 5,60 dollars et celui du kérosène de 3 à 5,57 dollars. Une politique criminelle dans un pays où 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 2 dollars par jours. Cette mesure faisait notamment suite à un accord entre Henry et le FMI passé en juin 2022, conditionnant l’accès à un programme de crédit international à une crue d’austérité. La situation s’est donc aggravée et avec elle la crise sociale et la pauvreté se sont creusées, avec des conséquences qui affectent directement la classe ouvrière, les secteurs populaires et les grandes communautés des peuples d’origine. Cette situation a conduit au développement de gangs armés, liés à la détérioration des conditions économiques, qui profitent du manque d’opportunités d’études et d’emploi, en particulier chez les jeunes précaires.
L’ensemble des politiques d’austérité poursuivies avaient donné lieu à d’importantes manifestations de la part de la population haïtienne, qui se mobilisaient contre une caste politique au service des impérialismes étrangers et contre l’extrême pauvreté. Face à cette colère légitime, le gouvernement n’avait répondu que par la répression, en demandant l’envoi de contingents policiers étrangers pour l’aider à réprimer sa population.
En 2022, suite à ces importantes mobilisations des travailleurs et classes populaires haïtiens, la déclaration de la Fraction-Trotkiste de la Quatrième Internationale résumait ainsi la situation : « Il est indiscutable que les groupes paramilitaires armés ont gagné du terrain dans le pays depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement fantoche d’Ariel Henry, conjuguée à l’aggravation de la misère accentuée par les pénuries alimentaires et la hausse des prix du carburant. Cependant, ce que les États-Unis, l’ONU et le gouvernement haïtien dissimulent cyniquement, c’est qu’ils ont eux-mêmes entretenu des liens historiques avec le crime organisé, encourageant la création de gangs par le biais des forces répressives de l’État lorsqu’elles ont travaillé pour eux. » En effet, « Les bandes armées que le gouvernement et la bourgeoisie haïtienne ont utilisé contre le mouvement de masse existaient déjà avant. Ces gangs se sont développés parallèlement aux forces du capital et de l’État, différentes factions du régime soutenant à leur guise le ou les gangs de leur choix. Aujourd’hui, ils en ont apparemment perdu le « contrôle » dans le cadre de la grande décomposition étatique et gouvernementale. » Ces mêmes bandes armées semblent défendre leur propre agenda politique, à l’instar de celle de Jimmy Chérizier, ancien policier surnommé « Barbecue », qui menaçait récemment le pays de « guerre civile » en cas de refus de démissionner de la part de Ariel Henry.
Le gouvernement actuel vient de signer un accord avec le Kenya pour l’implication de 1000 policiers étrangers sur son territoire en prétendant lutter contre les gangs. En réalité, il tente désespérément de se maintenir au pouvoir, d’où il sert essentiellement les intérêts américains et européens, alors que ces derniers ont hésité à plusieurs reprises à le pousser ouvertement à sa démission de peur d’une déstabilisation totale du pays. Longtemps, le maintien au pouvoir de cette caste politique au service des États impérialistes est justement passé par la collaboration et les liens profonds avec les gangs armés haïtiens. Ce sont plusieurs décennies de liens historiques des politiques et des grands groupes privés avec le crime organisé qui ont permis son développement tentaculaire, et désormais menaçant.
Ces gangs se sont développés parallèlement et grâce aux forces du capital et de l’État. D’après Ida Sawyer, directrice de la division Crise et conflits d’Human Rights Watchles hommes politiques haïtiens auraient pendant des décennies « utilisé des groupes criminels pour consolider leurs positions et leurs activités, pour contrôler des zones urbaines clés pendant les élections, pour réprimer la dissidence politique ou sociale et aussi pour s’assurer un contrôle sur les monopoles économiques. » Aujourd’hui, cela se retourne contre eux, dans le cadre de la grande décomposition étatique et gouvernementale dont les principaux responsables sont les puissances impérialistes qui ont maintenu Haïti dans la dépendance, le sous-développement et la dette externe odieuse.
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