Sénégal : vers le changement ?

aplutsoc – 2 avril

Finalement le régime de Malick Sall aura mordu la poussière dans les urnes, obligé avant même la proclamation officielle des résultats électoraux de concéder sa défaite dès le 1er tour du 24 mars.

Malgré une campagne réduite en durée, et en dépit du fait que le principal candidat de l’opposition, Diomaye Faye soit sorti de prison à peine dix jours avant le scrutin, le candidat du PASTEF, parti dissous depuis plus d’un an par le pouvoir, a réalisé un score de 54, 28 % loin devant Amadou Ba, dauphin de Macky Sall, réduit à 35,79 %.

On notera que le troisième candidat arrive très loin derrière avec le score de 2,8 % et les miettes restantes des suffrages se répartissant entre 16 autres candidats. On soulignera aussi un taux de participation de 61,30 % qui, outre les obstacles et chicanes administratives mises en place par le régime sortant pour tenter de minorer la vague Sonko-Diomaye Faye, témoigne d’une insatisfaction parmi les électeurs en face de l’offre en présence en dépit de la forte polarisation de la société contre les tentatives du sortant de se maintenir avec un troisième mandat.

Face aux mouvements de contestation depuis 2019, le pouvoir a eu recours à la répression aveugle avec des dizaines de morts dans les manifestations, des milliers d’arrestations de présumés manifestants ou des militants connus, la dissolution du PASTEF, l’invalidation de la candidature de Sonko. La tentative finale de manipulation du scrutin présidentiel par le décret du 3 février de Malick Sall tentant de repousser le plus loin possible la tenue des élections présidentielles a fait pschitt.

Pour le nouveau pouvoir comme pour le peuple travailleur dans son ensemble, la prise de fonction du nouvel élu ce 2 avril constitue le démarrage d’un nouveau chapitre.

Sonko, Diomaye Faye et le PASTEF se réclament d’un souverainisme anti-impérialiste et panafricaniste. La mesure phare de ce programme porte sur la rupture avec le Franc CFA, cette monnaie créée par l’impérialisme français pour maintenir sous tutelle économique et politique les ex colonies. Cette mesure ne peut avoir de réelle portée que si elle s’appuie par un plan régional associant tous les pays soumis à cette contrainte économique depuis les indépendances. Passer dans un seul pays ou avec tous les pays de la zone CFA à une nouvelle monnaie, voila un premier terme de l’équation à poser.

Ensuite, la question de la monnaie pose la question du régime politique et social qui instaure celle-ci. Elle concentre la question du « qui décide » : les classes possédantes ou le peuples travailleur ?

On verra ce qu’il en sera aussi des ambitions de renégociation des accords économiques. Au premier plan, il y a la question de la reconquête de souveraineté sur les eaux territoriales de façon à rendre leur travail aux pêcheurs. Ces derniers mis au chômage par les accords livrant les eaux sénégalaises aux firmes étrangères, russes et chinoises en tête, avec leurs armadas de navires-usines, doivent pouvoir sortir de l’alternative tout abandonner ou se faire passeur vers les Canaries. Outre l’aspect social, il y a aussi un enjeu écologique avec la possibilité de reconstitution des ressources halieutiques après des années de siphonnage des fonds marins.

Le deuxième grand chantier qui fait tourner bien des têtes est celui de l’exploitation des ressources pétro-gazières au large de la côte. En mettant de côté l’aspect écologique en relation avec la nécessité de la décarbonation, il reste la faiblesse capitalistique et technique du pays qui sera inévitablement dépendant des capacités extérieures. Le petit Sénégal en tête à tête avec les grands trusts mondiaux, concentré s’il en est de la puissance du capital, à moins d’un changement d’échelle (régionale) et d’un changement politique mettant l’expropriation du capital à l’ordre du jour, on ne peut que douter du résultat. Ou plutôt si, on peut entrevoir le spectre de la corruption et de la mise au rencart des projets de souveraineté.

Enfin, la renégociation des contrats et des modalités de présence des grands groupes étrangers, France en tête, sera un chantier plus directement accessible au nouveau pouvoir. Là encore, sans une mobilisation politique des masses, le résultat ne pourra pas se concrétiser.

Concernant les accords de défense, pilier du dispositif de la Françafrique, la fermeture des bases françaises peut se réaliser, avec des grincements de dents du côté de l’État-major français. Mais là encore, il ne faut pas mésestimer les capacités de freinage et d’embûches que la France peut mobiliser pour faire échouer cette volonté. Si nécessaire en coordination avec les « forces du passé » liées aux 65 dernières années de la première indépendance…

L’équipe du PASTEF concentre sur elle une énorme attente. Pour des militants se plaçant dans une perspective de mobilisation indépendante des masses travailleuses, il serait idiot d’aborder les choses d’une façon sectaire. Dans un premier temps, il convient d’appuyer toutes les mesures allant dans le sens du solde des attaques anti-démocratiques non seulement du pouvoir de Macky Sall mais aussi celles des équipes antérieures. Toutes les victimes de la répression doivent être lavées des accusations infondées, indemnisées des conséquences de l’emprisonnement ou des blessures. Tous les responsables des violences policières doivent être jugés.

Dans la foulée de ce solde, il faudra aborder la question des avantages indus, celle des bonnes affaires liant copains et coquins via les canaux de la classe capitaliste bureaucratique prospérant sur ses positions dans l’appareil d’État.

Mais pour mener cela à fonds, il faut des organisations de masse et une presse indépendantes du pouvoir. La priorité du moment est celle du renforcement de toutes les organisations permettant la mobilisation consciente des masses pour leurs intérêts matériels. A l’heure où la gauche a disparu comme force indépendante et de masse, il est primordial de renforcer syndicats et comités pour préserver les intérêts des travailleurs des villes et des campagnes, du secteur informel comme des services publics.

Certains soulignent les côtés sombres des leaders du nouveau pouvoir. Les positions anti-gays ne sont pas seulement un gadget pour critiques occidentaux, elles mettent en cause les droits fondamentaux d’un groupe humain jeté en pâture en raison de son orientation sexuelle. Elles constituent aussi un mécanisme de soupape pour se délester à bon compte des frustrations sociales. Sous ces deux aspects, elles sont profondément rétrogrades, elles doivent être combattues fermement.

Les journaux en France font les gorges chaudes des deux épouses du nouveau président. Cette situation matrimoniale reflète la norme sociale dans le pays. Pour autant, cette norme n’est pas un facteur de progrès. Elle constitue une entrave à la liberté et à l’égalité des femmes dans les affaires familiales, et au-delà, mais aussi un obstacle aux soins à apporter aux enfants. Le mouvement des femmes doit être soutenu dans le combat de longue haleine pour le renversement de cette norme sociale.

Les caciques du pouvoir sortant, comme leur pairs des équipes précédentes semblent avoir adopté une attitude de repli tactique et fredonnent l’air du « laissons faire, la réalité du pouvoir les usera ». Ce camp joue clairement la carte du pourrissement et de la déception. Si le peuple sénégalais ne veut pas passer par ces cases pré-ordonnées de l’ordre ancien, il ne doit pas se contenter d’un chèque en blanc au nouveau pouvoir. Il doit aller de l’avant par lui-même.

Rubens, le 02/04/2024.

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