Nouvelle-Calédonie : deux morts lors d’une nouvelle nuit d’émeutes

Nouvelle-Calédonie : deux morts lors d’une nouvelle nuit d’émeutes, les députés votent la révision constitutionnelle

Deux personnes ont été tuées dans la nuit de mardi à mercredi à Nouméa, lors d’une deuxième nuit consécutive d’émeutes. Dans le même temps, les députés adoptaient à Paris la révision constitutionnelle visant à élargir le corps électoral à l’origine de la colère des indépendantistes.

La rédaction de Mediapart (avec AFP)

Deux personnes sont mortes dans la nuit de mardi à mercredi lors d’une deuxième nuit consécutive d’émeutes en Nouvelle-Calédonie, alors que les député·es adoptaient à Paris la révision constitutionnelle visant à élargir le corps électoral à l’origine de la colère des indépendantistes.

Lors d’une conférence de presse, le haut-commissaire de la République Louis Le Franc a précisé que la première victime avait été tuée par balle, non pas « d’un tir de la police ou de la gendarmerie, mais de quelqu’un qui a certainement voulu se défendre ». Elle est morte des suites de ses blessures à l’hôpital de Nouméa. Le haut-commissaire a ensuite annoncé un deuxième mort.

Dans un entretien accordé mercredi matin sur RTL, le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, a quant à lui fait état de « centaines » de blessés, parmi lesquels « une centaine » de policiers et de gendarmes. Les « circonstances » dans lesquelles la première victime a été tuée par balle restent « à préciser », a-t-il ajouté.

Malgré le couvre-feu mis en place dans la principale ville de l’archipel dès 18 heures mardi, les graves violences qui ont débuté la veille ont repris dès la nuit tombée, marquée par de nombreux incendies, pillages et échanges de tirs, y compris contre les forces de l’ordre.

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Près d’un supermarché pillé dans le quartier N’Gea de Nouméa, le 14 mai 2024. © Photo Delphine Mayeur / AFP

Plusieurs bâtiments publics de Nouméa ont brûlé dans la nuit, a constaté un correspondant de l’AFP. Des voitures accidentées ou calcinées étaient également visibles un peu partout dans les rues, alors que des camions transportant des gendarmes mobiles, entre autres forces de l’ordre, sillonnaient la ville.

Le haut-commissaire de la République a également fait état de plusieurs « échanges de tirs de chevrotine entre les émeutiers et les groupes de défense civile à Nouméa et Païta » et d’une « tentative d’intrusion à la brigade [de gendarmerie] de Saint-Michel ». Selon un nouveau bilan dressé par ses soins, les forces de l’ordre ont procédé à un total de cent quarante interpellations dans la seule agglomération de Nouméa.

« On est dans une situation que je qualifierais d’insurrectionnelle, a déploré Louis Le Franc. L’heure doit être à l’apaisement […] l’appel au calme est impératif. Je vous laisse imaginer ce qui va se passer si des milices se mettaient à tirer sur des gens armés. »

L’Assemblée adopte la loi à l’origine de la colère

Pendant ce temps, à l’Assemblée nationale, les député·es ont adopté dans la nuit – par 351 voix contre 153 – le projet de loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral dans la perspective des élections provinciales qui doivent se tenir avant le 15 décembre. La texte, qui risque de « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak » selon les indépendantistes, devra encore réunir les trois cinquièmes des voix des parlementaires réunis en congrès à Versailles.

Dans un courrier adressé mercredi aux forces politiques calédonienne, dans lequel il condamne des violences « indignes » et appelle au « calme », Emmanuel Macron a précisé que le congrès se réunirait « avant la fin juin », à moins qu’indépendantistes et loyalistes ne se mettent d’accord d’ici là sur un accord global.

Face à la presse, le président indépendantiste du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, a « pris acte » mercredi de la réforme votée à Paris, tout en déplorant une « démarche qui impacte lourdement notre capacité à mener les affaires » dans l’archipel. « Nous lançons un appel au calme », a-t-il répété. « Les mobilisations doivent se passer dans un cadre, a enchaîné le président du sénat coutumier, Victor Gogny. Depuis deux jours on est sortis de ce cadre et le pays est en feu. Il faut revenir dans ce cadre et que tout se calme. »

De son côté, l’ex-secrétaire d’État Sonia Backès, figure de proue de la droite de l’archipel et présidente de la province Sud, a demandé à Emmanuel Macron de déclarer l’état d’urgence, « notamment en engageant l’armée aux côtés des forces de police et de gendarmerie »« Nous sommes en état de guerre civile », a-t-elle déploré dans un courrier adressé au président de la République. Une demande également formulée par Éric Ciotti, le patron du parti Les Républicains (LR), dont Sonia Backès est issue.

La responsabilité de l’État français est immense.

Mélanie Vogel, sénatrice écologiste

En métropole, plusieurs responsables politiques de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), dont toutes les composantes sont farouchement opposées au projet gouvernemental, ont réagi au drame de la nuit passée. C’est notamment le cas du député La France insoumise (LFI) Éric Coquerel « Les premiers responsables de ces événements dramatiques sont ceux qui ont décidé du passage en force que constitue le projet de loi constitutionnelle, véritable rupture avec le processus ouvert par les accords de Nouméa. L’exécutif doit retirer en urgence ce texte et réouvrir le dialogue. »

« Un premier mort kanak en Nouvelle-Calédonie après une nuit d’émeutes. La responsabilité de l’État français est immense. Il sera bientôt trop tard pour revenir à la raison, retirer le projet de loi constitutionnelle et créer les conditions d’un dialogue. Chaque heure compte », a également écrit la sénatrice écologiste Mélanie Vogel sur le réseau social X« Le pire était à craindre. Il est arrivé. […] Emmanuel Macron et son gouvernement ont soufflé sur les braises de la colère en maintenant ce texte de loi rejeté par l’assemblée kanake », a commenté le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel.

Des milices de quartier s’organisent

Mercredi matin, faute d’approvisionnement des commerces, les pénuries alimentaires ont provoqué de très longues files d’attente devant les magasins. Certains à Nouméa étaient pris d’assaut, d’autres étaient quasiment vides, n’ayant plus de pain ni de riz à vendre.

Dans les quartiers, la débrouille s’organise. « Nous nous sommes organisés spontanément », a expliqué à l’AFP David, un habitant du quartier de Ouema souhaitant garder l’anonymat. « Hier en fin de journée, des gens ont essayé de faire entrer quatre barils d’essence. Nous filtrons la circulation la journée », a-t-il indiqué, alors que certains habitants se sont « armés » de clubs de golf ou de cannes de croquet.

À Tuband, un autre quartier de Nouméa, des habitants patrouillaient armés de bâtons ou de battes de base-ball, encagoulés ou casqués. « Nous sommes là depuis hier pour protéger la ville, a affirmé à l’AFP Sébastien, 42 ans, qui habite la Vallée-des-Colons, près de Tuband. Les flics sont débordés alors on essaye de se protéger et dès que ça chauffe, nous prévenons les policiers pour qu’ils viennent nous aider. On essaye de faire en sorte que chaque quartier ait sa milice. »

Les premières altercations entre manifestants et forces de l’ordre ont commencé dans la journée de lundi, en marge d’une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle.

Des gendarmes du GIGN, des policiers du RAID, quatre escadrons de gendarmes mobiles, deux sections de la CRS 8 et une unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines ont été mobilisés. D’autres renforts étaient en cours d’acheminement dans l’archipel, selon Gérald Darmanin.

Cinquante membres du GIGN vont être envoyés en Nouvelle-Calédonie d’ici la fin de la semaine, a précisé une source proche du dossier à l’AFP, ce qui portera à une centaine les effectifs de l’unité d’élite de la gendarmerie sur le territoire. L’aéroport de Nouméa est fermé depuis lundi jusqu’à nouvel ordre. Le haut-commissaire a indiqué mercredi qu’il avait demandé le renfort de l’armée pour le protéger.

La rédaction de Mediapart (avec AFP)

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