01 Mai 2019
L’histoire débute en Australie, avec des travailleurs qui en avaient marre de bosser dix, quatorze heures par jour. Alors, pour obtenir leurs huit heures, ils décidèrent de chômer une journée entière. C’était en 1856, et l’évènement eut un effet boeuf à l’international puisque plusieurs pays les imitèrent. Les Etats-Unis en premier. Parallèlement au phénoménal essor industriel, les ouvriers se regroupaient pour conquérir leurs droits, et avec près de 500 grèves annuelles entre 1881 et 1885, l’ambiance était à la rue !
L’idée des huit heures séduisait le peuple, et en 1886, l’American Federation of Labor appela à la grève générale, partout où elles n’étaient pas pratiquées.
Mais à Chicago, l’histoire vira au cauchemar : le 3 mai, quatre manifestants furent tués. Le lendemain, lors d’un rassemblement de soutien, une bombe explose en pleine foule, meurtrissant plusieurs dizaines de personnes. En réaction, les policiers tirent à vue, résultat : près de 200 blessés et plusieurs morts.
L’émoi est général. A cette époque où les ouvriers du monde occidental se serraient les coudes, des manifestations de soutien contre la féroce répression jaillirent en France, Italie, Espagne, Russie, Hollande, Londres…
Et puis, en 1890 se déroula le premier Premier Mai français, organisé par le Congrès International Ouvrier et Socialiste de Paris. Eux aussi convoitaient les huit heures ! Pour ce faire, les ouvriers se mirent en grève, abandonnèrent leur salaire, bravèrent les risques de licenciements, et affrontèrent les balles des gardes armés.
L’année suivante, dans la ville de Fourmies, ces derniers tirèrent sur le défilé : dix morts.
Certains historiens affirment que ce sinistre épisode ancra définitivement le Premier Mai dans les us et coutumes ouvriers .
En 1919, les huit heures sont enfin accordées par le gouvernement, mais le Premier Mai perdure, car il y a d’autres revendications, et puis, on finit par s’habituer…
Après une baisse d’intensité, le mouvement reprend de la vigueur en 1936. On dénombre 10 000 manifestants à Strasbourg, puis 50000 en 1937.
Mais en 1937 quelque chose a changé, et pour reprendre les mots d’ Alain Touraine : « le Premier Mai exprime désormais une conscience d’identité et non d’opposition ».
Il se transforme en une Journée des Travailleurs, au même titre que le 14 Juillet, jour des républicains de la Troisième République. Déjà, en 36, on y avait chanté la Marseillaise, inconcevable auparavant !
Et c’est le régime de Vichy (qui haïssait les communistes) qui instaura la journée, chômée, comme « Fête du Travail et de la Concorde sociale », en 1941. (Notons que Hitler institua le Premier Mai : journée chômée et payée en 1933)
Finalement, la journée fériée sera payée en France en 1947.
Mais pourquoi avoir choisi cette date ?
Les sources avancent deux raisons :
- 1- c’était le jour du début de l’année comptable dans beaucoup d’entreprises Etats-Uniennes,
- 2- ce choix découlerait d’une ancestrale célébration de la fécondité et du renouveau printanier, remontant à l’Europe païenne.
Muguet ou coquelicot ?
En France, en 1890, les gens défilaient un triangle rouge accroché au veston, en référence aux trois huit : huit heures de sommeil, huit heures de loisir, huit heures de travail.
Plus tard ils arborèrent l’églantine rouge, ou le coquelicot en souvenir de la sanglante Commune.
Puis, au début du XXe, le blanc muguet pointa son nez, pour prendre le pas sur le rouge à la fin des années 30. Une manière symbolique de blanchir la journée, de lui ôter, ainsi que l’écrit M. Rodriguez « tout caractère révolutionnaire et d’effacer sa portée politique ».
Et maintenant ?
Le Premier Mai est célébré dans de nombreux pays.
En France, la fête s’est transformée en une espèce de petit rituel, genre « un p’tit tour et puis s’en va », sans autre motif que la routine, Et dans les cortèges, rares sont ceux qui se souviennent des morts, condamnés, et licenciés qui jonchent leur histoire sociale.
Toutefois la marche peut, soudainement, se teinter de revendications politiques, et s’enflammer, comme en 2002 lorsqu’un million et demi de personnes ont investi les rues en réaction à la présence de JM Le Pen au second tour des présidentielles.
Rien ne reste identique, tout se transforme proclame le vieux sage Chinois.
Ps : Idée lecture : si vous avez envie de vous plonger dans l’univers ouvrier américain, ou français dévorez Jack London (Avant Adam) ou Zola !
Katia
Sources :
– « Le premier mai 1936 entre deux tours et deux époques » ,Miguel Rodriguez, dans : Vingtième Siècle. Revue d’histoire Année 1990 27 pp. 55-60
– Antoine Prost Vingtième Siècle. Revue d’histoire Année 1990 27 pp. 61-76).
https://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=18860501&ID_dossier=128
– « Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours », H. Zinn, Agone.
– Danielle Tartakowsky, « Quand la rue fait l’histoire », Pouvoirs 2006/1 (n° 116), p. 19-29.
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