30 mai 2024
Michel Forst est rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement aux Nations unies. – © NnoMan Cadoret/Reporterre
Depuis 2022, Michel Forst est rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement aux Nations unies. Depuis ce poste, il observe et protège les militants écologistes face à une répression grandissante.
En 2022, face aux menaces pesant sur les militants écologistes, les Nations unies ont créé le poste de rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement. Ancien directeur d’Amnesty International France, Michel Forst a hérité de ce mandat inédit. Son objectif : les protéger contre toute forme de harcèlement, persécution ou pénalisation.
Dans cet entretien à Reporterre, il assure que la répression législative, policière et judiciaire de la désobéissance civile environnementale constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits humains. Michel Forst note par ailleurs que « la France est le pire pays d’Europe » concernant le maintien de l’ordre.
Reporterre – Frappé par les témoignages recueillis aux quatre coins du continent, vous avez établi un panorama européen de la répression des militants écologistes. Considérez-vous que les droits humains soient aujourd’hui menacés ?
Michel Forst – Oui. À l’exception de la Norvège, véritable particularité dans ce paysage, les mêmes phénomènes s’observent partout. Les personnalités politiques commencent par marteler un discours très discriminant, voire diffamatoire, en utilisant des termes comme « écoterroristes » ou « talibans verts ».
Les médias mainstream relaient ces propos et encouragent involontairement les usagers à assimiler les militants à des terroristes ou des criminels. Preuve de l’impact de cette rhétorique : en Allemagne, des automobilistes ont traîné par les cheveux, frappé et roulé sur des manifestants alors qu’ils bloquaient simplement une route.
Par ailleurs, les autorités publiques s’en servent pour justifier le recours à des méthodes jusqu’à présent réservées à la lutte antiterroriste. En Italie, de nouvelles lois anti-mafia voient le jour et se durcissent. En Allemagne, les lois destinées à lutter contre la fraction armée rouge dans les années 1970 sont remises au goût du jour.
Des cellules spécialisées sont créées, comme Déméter en France [qui surveille les « atteintes au monde agricole »]. Et dans les documents officiels de quelques pays, des mouvements écologistes sont clairement désignés comme « à tendance terroriste », voire parfois terroristes. Cette assimilation me fait peur.
Comment se positionne la France dans ce panorama ?
La France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux. La violence des forces de l’ordre est hors catégorie. Leurs homologues à l’étranger ne comprennent pas la manière dont les Français répondent aux manifestations, ne comprennent pas qu’on puisse user d’une telle violence.
« Si la France est la pire sur le maintien de l’ordre, la Grande-Bretagne est la pire en termes de répression judiciaire »
En Allemagne, les arrestations sont assez « musclées ». L’utilisation de prises très douloureuses, appelées « pain grip » et consistant à tordre le poignet, s’apparente à de la torture. Pour autant, cela n’a rien à voir avec l’actuelle répression policière que subissent de plein fouet les militants français. Ici, les grenades lacrymogènes et de désencerclement sont lancées sans aucune distinction. Le phénomène de nasses, pourtant interdit, est encore appliqué. Autant de dérives que l’on n’observe pas à l’étranger.
Y compris en Grande-Bretagne, où la répression des écologistes semble pourtant se durcir de mois en mois ?
Celle-ci est différente. Si la France est le pire pays européen en termes de maintien de l’ordre, la Grande-Bretagne est le pire en termes de répression judiciaire. Des peines allant jusqu’à 30 mois de prison ferme ont été prononcées pour un blocage de pont ou d’autoroute.
Par ailleurs, les entreprises autoroutières peuvent réclamer aux militants climat des sommes faramineuses, sous prétexte que l’interruption du trafic a entraîné une perte financière de plusieurs centaines de milliers de pounds. Là où, en France, 1 euro symbolique aurait vraisemblablement été demandé.
Et ce n’est pas tout ! Des tribunaux interdisent aux avocats de présenter des défenses fondées sur la « nécessité ». Les militants n’ont pas le droit d’expliquer pourquoi ils ont agi. Le moindre fait de prononcer les mots « climat » ou « changement climatique » entraîne une condamnation pour outrage à la Cour.
Condamner des militants pacifistes à de telles peines est-il conforme au droit international ?
Pas du tout, et c’est bien là tout le paradoxe. Le droit international relatif aux droits humains considère que la désobéissance civile est protégée. Les États ont l’obligation de respecter et de protéger le droit d’avoir recours à cette forme d’expression. Les militants n’ont pas à être punis pour avoir occupé des arbres sur le chantier de l’A69, aspergé de peinture un ministère ou interrompu une compétition sportive. Le droit les protège.
J’accepte que le juge condamne, puisqu’il y a bien une infraction à la loi. Toutefois, la condamnation doit être symbolique, ou être prononcée mais non appliquée.
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Dans plusieurs pays, comme l’Allemagne, la Suisse ou même la France, certains magistrats commencent à reconnaître la légitimité de la désobéissance civile. En avril, à La Rochelle, neuf militants d’Extinction Rebellion ont été relaxés par le tribunal correctionnel en raison de « l’état de nécessité ». Malheureusement, de nombreux magistrats en Europe ne suivent pas encore ce chemin.
Qu’entend-on précisément par « désobéissance civile » ?
Aujourd’hui, il n’existe aucune définition universellement reconnue. Le Rapport Spécial utilise toutefois quatre critères cumulatifs pour décider s’il saisit ou non un dossier : il doit s’agir d’actes de violation délibérée de la loi, dans le but d’attirer l’attention sur une question d’intérêt public, menés publiquement et non au fond de son jardin, et ce, sans avoir recours à la violence contre les personnes. Si ces critères sont réunis, alors la personne est protégée par le droit international.
Vous parlez uniquement de « violence contre les personnes ». Alors incendier des engins de chantier sur le tracé de l’A69 ou saboter une usine de l’entreprise Lafarge est-il aussi protégé ?
Une distinction très claire doit être établie entre les personnes et les biens. S’en prendre à quelqu’un est totalement prohibé. Dès lors que des militants commencent à lancer des pierres ou des cocktails Molotov, même en réponse à une violence policière, on entre dans la violence, et celle-ci est interdite par les Nations unies.
Pour les biens, c’est un peu différent. Moi, je n’utilise pas le mot de sabotage. Je me limite à l’observation. Encore une fois, la désobéissance civile se veut symbolique. Démonter la vanne d’une mégabassine pour la déposer devant une préfecture accompagné d’un message politique, ce n’est pas du sabotage violent et c’est donc autorisé par le droit international.
Même chose s’il s’agit de lacérer avec un cutter un mètre de plastique sur ces installations ou de casser un cadenas pour pénétrer dans une serre et arracher dix mètres carrés de plantes transgéniques… Il y a bien une entrave à la loi, mais c’est autorisé par le droit international. En revanche, saccager des serres entières de 100 m de long ne relève plus du symbole. Saboter une usine ou brûler des engins non plus. Là, on quitte le cadre de la désobéissance civile pacifiste.
Les journalistes aussi peuvent être victimes de cette répression.
Oui. La simple habitude prise par les journalistes de couvrir les manifestations avec des protections de la tête aux pieds est un mauvais signe. Les journalistes, dont le travail remarquable révèle au grand jour les connexions entre les intérêts privés et des décisions néfastes pour l’écologie prises par les États, sont des défenseurs de l’environnement. Ainsi, ils sont éligibles à une protection.
« La répression s’abat avec beaucoup de violence sur tous les mouvements de libertés »
Lorsque votre collègue de Reporterre, Elsa Souchay s’est adressée à moi [elle était accusée d’avoir participé à une action illégale des Faucheurs volontaires d’OGM], j’ai immédiatement décidé de me saisir du dossier. Dans de nombreux pays, les journalistes sont de plus en plus souvent assimilés aux militants. Ils ont beau porter un brassard de presse ou toutes sortes de signes distinctifs, ils sont parfois maltraités par les policiers, voire arrêtés.
J’ai d’ailleurs moi-même été témoin de ces dérives sur le chantier de l’A69, entre Toulouse et Castres. Venu observer le traitement réservé aux « écureuils » (le nom des militants perchés dans les arbres), j’ai découvert que les journalistes étaient bloqués par un cordon de gendarmes dans un ravin au-delà de la route. Le préfet avait demandé à ce qu’on les empêche d’approcher et de filmer mon intervention. J’ai donc été obligé de descendre vers eux pour leur détailler les raisons de ma venue.
Avec désormais un peu de recul, avez-vous le sentiment d’être entendu par les dirigeants à qui vous avez affaire ? Les Nations unies ont-elles encore un impact à ce niveau-là ?
Malheureusement, il est aujourd’hui indéniable que l’on vit dans une Europe et un monde très dangereux, dans lequel la répression s’abat avec beaucoup de violence sur tous les mouvements de libertés. Pour autant, nous parvenons à résoudre de nombreux dossiers. Souvent, le simple fait d’alerter dissuade les États ou les entreprises à poursuivre les démarches engagées contre un militant.
Quant aux nombreux parlementaires menant de front une contestation à l’encontre des Nations unies et de la Cour pénale internationale, sachez que ce sont des discours de campagne. Très clairement. Dans la pratique, les relations entre les États et l’ONU fonctionnent efficacement.
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