Saut répressif à la Sorbonne : il faut un front en défense des étudiant·e·s mobilisés pour la Palestine !
Ce mardi soir, 86 étudiants ont été interpellés par la police et placés en garde-à-vue. Face à ce saut répressif, militant·e·s ouvriers, antiracistes, féministes, écolos, intellectuel·le·s doivent construire une réponse en se tenant aux côtés de la mobilisation étudiante pour la Palestine.
9 mai
Crédit photo : Tiphaine Blot
Ce mercredi matin, l’attention des journalistes semblait dirigée vers Marseille, où la flamme olympique s’apprêtait à arriver en France à bord du Belem. Un événement qui a suffi à éclipser la répression brutale qui s’est déroulée la veille à Paris. Après plusieurs arrestations devant Sciences Po Paris dans la matinée, ce sont 86 étudiant·e·s occupant un amphithéâtre de la Sorbonne en soutien à la Palestine qui ont été interpellés et placés en garde-à-vue.
Saut répressif : le gouvernement durcit l’offensive contre le mouvement étudiant
Cette vague d’interpellations constitue un saut répressif, inscrit dans la continuité du changement de ton du gouvernement ces derniers jours. Ce week-end, Gabriel Attal expliquait « il n’y aura jamais de droit au blocage, jamais de tolérance avec l’action d’une minorité agissante et dangereuse qui cherche à imposer ses règles à nos étudiants et nos enseignants », tandis qu’Emmanuel Macron se déclarait « favorable » à l’intervention de la police dans les universités. Des discours qui se sont matérialisés brutalement mardi.
Ces deux dernières semaines, la police avait déjà été envoyée dans une vingtaine d’universités et IEP quelques heures après la mise en place d’occupations, dans une banalisation inédite des interventions policières dans les universités. Avec les 86 interpellations, le gouvernement a décidé d’accentuer encore un peu plus la pression contre les soutiens de la Palestine avec une vague d’arrestations visant les soutiens de la Palestine inédite depuis le 7 octobre.
La répression des soutiens de la Palestine se durcit ainsi à nouveau en visant l’épicentre de la contestation que constitue actuellement le mouvement étudiant. L’offensive tient en partie de l’intimidation : à l’issue de la journée de mercredi, la quasi-totalité des étudiant·e·s avaient été libérés sans poursuite après une nuit en garde-à-vue [1]. Cependant, la garde-à-vue d’un des étudiant·e·s de la Sorbonne a été prolongée, de même que celle d’un étudiant de Sciences Po Paris, arrêté mardi matin, qui a finalement été déféré au tribunal. En outre, dans le sillage des arrestations massives, la ministre de l’enseignement supérieur a annoncé sur les réseaux sociaux mercredi que le rectorat allait « porter plainte sans délais » après que « plusieurs agents publics [aie]nt été violemment bousculés et pris à partie » à la Sorbonne.
Dans ce cadre, le durcissement de la répression contre les facs est loin d’être terminé et les interpellations pourraient devenir la règle. Fragilisé, et effrayé par la perspective d’une défaite aux européennes qui pourrait approfondir ses contradictions politiques, le gouvernement veut en effet à tout prix étouffer dans l’œuf les tendances à l’extension de la mobilisation étudiante pour la Palestine. Une politique particulièrement répressive, qui place la France une nouvelle fois à la pointe de l’offensive contre le soutien à Gaza dans le monde, au moment où la question revient au centre de la situation internationale et nationale.
Un début de repolarisation autour du mouvement pour la Palestine
Après avoir connu une dynamique d’extension aux Etats-Unis à partir du 18 avril dernier, après la tentative de mettre un coup d’arrêt à la mobilisation à Columbia en procédant à plus de 100 interpellations, les campements étudiants pour la Palestine ont commencé à s’étendre sur toute la planète ces dernières semaines. Les mobilisations en France, dont Sciences Po Paris a été l’épicentre, s’inscrivent dans une dynamique plus large, qui touche, en Europe, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande ou les Pays-Bas., mais également le Moyen-Orient ou l’Amérique latine.
Ce phénomène, qui conduit de nombreux observateurs à convoquer l’expérience des années 1960 et l’internationalisation de la mobilisation contre la guerre au Vietnam initiée sur les campus américains, et notamment à Columbia, est en train de changer la situation en France. Comme le souligne Ariane Anemoyannis, on assiste à une extension mais aussi un changement de contenu du mouvement : « alors que jusqu’ici la mobilisation de solidarité en France s’était développée sur un terrain « humaniste » autour d’une stratégie d’interpellation de la diplomatie française, le bras de fer de la jeunesse américaine avec « Genocide Joe » inspire la mobilisation et les revendications se tournent davantage vers la complicité de la France avec les massacres, en exigeant la fin des partenariats avec les grands groupes de l’armement français et les universités israéliennes. »
Une dynamique qui explique le sursaut répressif, mais aussi le début de polarisation politique contre les campements. Alors que ces dernières semaines les candidats aux européennes avaient plutôt ignoré la mobilisation étudiante, se contentant de faire le procès de LFI pour sa campagne tournée vers Gaza, François-Xavier Bellamy s’est rendu devant Sciences Po Paris mardi. « J’en peux plus que nos instituts, que nos universités, que nos amphis soient pris en otages par ceux qui les utilisent pour faire avancer leur agenda politique » a notamment expliqué le candidat LR, exigeant plus de répression pour tenter un coup d’éclat qui pourrait en appeler d’autres.
Ce d’autant plus que l’invasion de Rafah pourrait attiser la mobilisation de solidarité avec Gaza. D’ores et déjà, la tension entre le début de l’opération meurtrière et le dynamisme des mobilisations étudiantes aux Etats-Unis a conduit Biden à changer de discours mais surtout à conditionner la livraison d’armes offensives. Une annonce qui ne remet pas en cause son soutien structurel à Israël, mais témoigne de l’aiguisement des contradictions internes au pays avant les élections. En France, alors que le mouvement pour la Palestine a commencé à reprendre la rue ce mardi à Paris et dans plusieurs villes de France et que les européennes pourraient mettre Macron en déroute, les tensions aussi pourraient s’accentuer. Dans ce contexte, le risque est qu’en l’absence d’une réaction à la répression en cours, la fuite en avant autoritaire et répressive du gouvernement finisse par primer.
L’urgence d’une riposte à la hauteur de l’offensive
Aussi, le saut répressif de mardi rend plus urgent que jamais la nécessité d’une réponse face à l’offensive autoritaire, alors que les convocations pour « apologie du terrorisme » se sont poursuivies ce lundi après une courte interruption, avec l’annonce de la convocation de Raphaël Arnault, porte-parole de la Jeune garde. Or, le constat est clair : les appels à un front en défense des droits démocratiques et pour défendre le droit à soutenir la Palestine, qui s’étaient multipliés au moment des convocations policières pour « apologie du terrorisme » de Anasse Kazib, Sihame Assbague, Rima Hassan ou Mathilde Panot, sont loin de s’être traduits jusqu’ici dans une réponse à la hauteur des attaques.
Sur ce plan, la responsabilité des organisations du mouvement ouvrier, et en particulier de la CGT, restée l’arme au pied ces dernières semaines, est écrasante. Au-delà des prises de positions symboliques, le 1er mai a ainsi été en décalage avec la colère et les dangers de la situation, ne traçant aucune perspective pour commencer à rompre avec une logique institutionnelle, centrée autour du « dialogue social », qui laisse le champ libre aux offensives de Macron. Malgré les offensives autoritaires qui frappent des militants et des dirigeants syndicaux comme Jean-Paul Delescaut et limitent le droit de manifester, les menaces contre le droit de grève mais aussi les attaques du gouvernement après l’accord sur les fins de carrière négocié à la SNCF, la direction de la CGT reste largement passive.
Ce mercredi matin, plusieurs centaines de personnes se sont réunies devant l’hôtel de ville pour exiger la libération des étudiant·e·s interpellé·es. La mobilisation a rassemblé un front large d’organisations, telles que RP, LFI, Les Ecologistes, Solidaires, la FSE, l’UNEF, Urgence Palestine, le NPA-L’Anticapitaliste et le NPA-Révolutionnaires ou Tsedek, partageant l’objectif de faire front face à la répression. Cet objectif reste ainsi dans la tête de nombreux acteurs politiques et du mouvement social. Pourtant, Sophie Binet et la confédération CGT sont restées silencieuses sur la répression à la Sorbonne, privant la réponse unitaire d’une force implantée nationalement et capable de se faire entendre largement. Dans un contexte où la radicalisation du pouvoir contre les étudiant·e·s solidaire de la Palestine menace directement le mouvement ouvrier et l’ensemble des forces d’opposition, il y a urgence à exiger un changement de pied.
Dans un communiqué, SUD Education appelle ce jeudi à « étendre la mobilisation et la solidarité » contre « la répression et les atteintes aux libertés d’expression en soutien aux Palestinien-nes dans l’ESR », reprenant de nombreuses revendications étudiantes. Plus que jamais, les directions du mouvement ouvrier, les organisations solidaires de la Palestine, qu’elles soient féministes, antiracistes, écologistes, mais aussi les intellectuels progressistes du pays doivent faire front en ce sens aux côtés des étudiant·e·s.
Face à la répression inédite ces derniers mois qui s’est abattue à la Sorbonne, il faut faire entendre une dénonciation ferme et exiger l’abandon des poursuites et la libération de tous les interpellés, la fin des interventions policières dans les universités, tout en défendant le droit à défendre la Palestine au moment où le génocide pourrait s’accélérer. Ces revendications devraient être au cœur d’une remobilisation dans le cadre des journées de lutte pour la Palestine à venir, et un levier pour commencer à construire une riposte d’ensemble dans la rue et par la grève.
[1] Comme le note Libération : « « 34 gardes à vue ont été levées et classées pour infraction insuffisamment caractérisée », tandis que « 3 ont été levées et les individus reconvoqués ultérieurement pour audition libre pour l’infraction de participation à une manifestation interdite ». Un militant « a fait l’objet d’une convocation devant le délégué du procureur pour des faits de détention d’engins incendiaires aux fins de paiement d’une contribution citoyenne », une procédure qui débouche rarement sur des suites. En outre, « 47 gardes à vue ont été levées afin de poursuivre l’enquête en préliminaire, notamment dans l’attente des plaintes, de l’exploitation des images de vidéosurveillance et des auditions de témoin le cas échéant ». Seule la garde à vue d’une personne a été prolongée « pour des faits de violence sur agent de sécurité privé », précise le parquet. »
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