André Koulberg, de la LDH: Le RN, danger pour la démocratie

Le RN, danger pour la démocratie

Bonjour.

André Koulberg, l’auteur du texte en pièce jointe est un professeur de philosophie en retraite spécialiste de l’extrême-droite. Quand il était étudiant à la fac de lettres d’Aix, il avait monté un groupe d’autodéfense pour se protéger des descentes des nervis d’extrême-droite venant de la fac de droit contiguë. Quand le président de la fac de droit avait appris que ses petits fafs d’étudiants se faisaient régulièrement casser la gueule par des « gauchistes » de la fac de lettres, il avait fait édifier une barrière entre le deux campus. Elle y est encore !

Bonne lecture et n’hésitez pas à faire tourner.

André Koulberg

Le Rassemblement National, danger pour la démocratie

La destruction de la démocratie est inscrite dans le programme du Rassemblement National.
Les idées du Rassemblement National ont tellement été banalisées ces dernières années
que nous ne percevons plus la radicalité antidémocratique des mesures qu’il prône :
discriminations sans limites, surpouvoir de l’État, pouvoir de censure sur les médias et
tous les moyens d’expression, surveillance et contrôle des enseignants… Ce ne sont pas
des « points de détail ».
Relisons donc les différents textes programmatiques du RN.
Discriminer
Le Rassemblement National, depuis la reprise en main de Marine Le Pen en 2012, a fait
disparaître, au fil des échéances électorales, un certain nombre de dispositions
susceptibles de trop choquer ses électeurs et ses électrices. Les blagues antisémites sont
proscrites, son discours sécuritaire n’est plus axé sur le rétablissement de la peine de
mort, son discours sur les femmes ne fustige plus les « avortements de confort », etc.
mais sur les questions centrales de son programme (immigration, insécurité…) ses options
apparaissent clairement, malgré la rhétorique dans laquelle ils sont enrobés. La simple
lecture de ses textes programmatiques permet de prendre la mesure des changements
qu’il voudrait introduire : une remise en cause du régime démocratique que nous
connaissons en France depuis 1945. Est-ce qu’on se rend compte de ce que cela
signifie ?
Le Rassemblement National propose d’organiser un référendum pour changer la
constitution. C’est, notamment, un principe fondamental de nos constitutions qui est visé :
le principe de l’égalité devant la loi. Le titre premier de la constitution de 1958 stipule par
exemple que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d’origine, de race ou de religion ». Cette égalité de droit est exactement ce que le RN veut
supprimer. C’est le fameux principe de « préférence nationale » rebaptisé « priorité
nationale ». Il propose que les étrangers (ou « étrangers extracommunautaires ») soient
discriminés à l’embauche, lors de l’acquisition d’un logement, pour de nombreuses
prestations sociales (par exemple « les allocations familiales seront réservées aux
Français »), au niveau juridique (la double peine) et dans l’accès aux soins (suppression

quasi complète de l’aide médicale d’État)…
Mais, dira-t-on, ce sont des étrangers. N’est-il pas normal qu’ils relèvent d’une législation
spécifique ? Cela peut être vrai de dispositions ordinaires adaptées à la situation
d’étranger, comme, par exemple, l’exigence d’un passeport. Mais cela ne l’est plus lorsqu’il
s’agit de droits fondamentaux reconnus par notre constitution et par toutes les conventions
internationales. Les étrangers, aussi étrangers qu’ils soient, sont des êtres humains et, à
ce titre, ils doivent bénéficier des droits de l’homme, dont l’originalité est justement de
concerner tous les êtres humains. Violer ce droit, c’est basculer dans un autre type de
régime, comme, par exemple, celui que nous avons connu en France dans la période de
Vichy.
La multiplication des discriminations que le Rassemblement National veut inscrire dans la
loi touche aux fonctions vitales des personnes visées : la possibilité de travailler, de se
loger, de se soigner… Ces mesures fabriquent des sortes de sous-hommes !
La suppression de l’aide médicale d’État (sauf « soins urgents », mais vu le temps des
procédures ce sera souvent trop tard) peut servir ici d’exemple type de ces discriminations
sans limite, et absurdes. C’est une mesure qui constitue un véritable scandale moral :
laisser un malade sans soin parce qu’il a une origine étrangère… C’est aussi une mesure
stupide : au sein de ces populations non soignées se propageront inévitablement des
épidémies qui nous frapperont, nous aussi.
Prenons la mesure de ce que représentent ces mesures discriminatoires que voudrait
nous imposer le parti de Marine Le Pen, elles ne représentent pas un simple changement
législatif, elles nous font changer d’univers.
Ce mépris de l’humain, cette destruction des droits de l’homme, de plus, ne concerne pas
que les étrangers. Une fois que le principe de l’égalité des droits est abandonné, la
garantie de ce droit n’existe plus pour personne. Pour tous, ce qui était un droit n’est plus
qu’une tolérance que l’État peut octroyer, ou retirer, quand il veut. L’arbitraire peut frapper
n’importe qui. Et, effectivement, l’expérience historique confirme que dans cette
conjoncture, les discriminations s’étendent à de nombreuses catégories : opposants,
minorités, femmes… Le régime de Vichy, par exemple, discriminait les Juifs, mais aussi les
tziganes, les femmes (des femmes fonctionnaires révoquée simplement parce qu’elles
étaient des femmes).
Non seulement les discriminations prolifèrent mais ceux qui apportent une aide aux
discriminés, aujourd’hui aux sans-papiers privés de droit, sont criminalisés. Le RN prévoit
de les « poursuivre » : « La loi permettra de poursuivre et de condamner les personnes qui
apportent une aide directe ou indirecte aux étrangers qui tentent d’entrer illégalement sur
le territoire et s’y maintenir ». Cela fera beaucoup de Français réprimés pour leurs gestes
humanitaires. Où commence l’aide indirecte ?
Au lot de discriminations va s’ajouter le lot de répressions.
De l’arbitraire policier à la police de la pensée
La destruction de l’égalité des droits, fondement essentiel de nos démocraties, n’est pas la
seule mesure antidémocratique prônée par le Rassemblement National, loin de là ! L’État
et l’administration RN ne veulent pas seulement discriminer, ils veulent aussi se doter d’un
surpouvoir face à des citoyens de moins en moins susceptibles de défendre leurs droits.
Ce choix se lit très clairement dans les textes consacrés à la sécurité et la répression

policière.
Le RN propose notamment « d’instaurer une présomption de légitime défense pour les
policiers et les gendarmes » afin de ne « jamais craindre » d’utiliser la force, le parti
estimant qu’il devrait en faire bien plus usage.
Les policiers bénéficient évidemment d’un droit de légitime défense, précisément défini par
la loi. Mais leur octroyer une présomption générale de légitime défense a priori,
indépendamment de l’acte commis, ce n’est plus tenir compte des cas où elle est effective,
mais légitimer des actes simplement parce que ce sont des policiers qui les commettent.
Et les victimes de ces actes perdent ainsi en grande partie les moyens de se défendre
face à des violences arbitraires. Ce ne sont plus des bavures puisque les policiers sont, de
par leur statut, en légitime défense.
Si l’on ajoute à cela l’aveuglement volontaire du RN face à des dérapages policiers, par
exemple les délits de faciès, pourtant documentés depuis longtemps, on ne peut que
conclure à l’existence caractérisée de ce parti à légitimer les pouvoirs répressifs arbitraires
et à priver les citoyens de moyens d’y résister.
Que reste-t-il de la démocratie s’il n’y a plus d’égalité des droits ni, pour les citoyens, de
capacité de résister aux abus et à l’arbitraire du pouvoir ? Pas grand-chose. Et pourtant,
dans la doctrine RN ce n’est qu’une partie des mesures oppressives envisagées. Elle
attribue, par exemple, à l’État le droit de limiter gravement un certain nombre de nos
libertés fondamentales.
Le Rassemblement National donne au pouvoir le droit de censurer à peu près tous les
moyens d’expression existant dans un pays au nom de la lutte qu’il veut mener contre ce
qu’il nomme une « idéologie ». Contre une idéologie considérée comme néfaste, les
autorités peuvent à peu près tout.
L’exemple que donne le RN est celui de « l’idéologie islamiste », propre à faire peur, mais
cette peur risque de nous faire oublier les enjeux de la liberté d’expression qui ne
concernent évidemment pas seulement les propos islamistes.
Marine Le Pen a déposé un projet de loi qui « prévoit l’interdiction de la publication des
écrits,y compris par voie électronique ou audiovisuelle ayant pour objet ou pour effet la
manifestation ou la diffusion de l’idéologie islamiste ». Mais l’idéologie, et c’est le nœud du
problème, est une notion très large. Où commence l’idéologie islamiste ? Est-ce que tous
ceux qui sont stigmatisés, notamment par le RN, sous le terme d’ « islamo-gauchistes »
seront partout censurés ? En réalité ce pouvoir de censurer toutes les formes d’expression
au nom de la lutte contre une « idéologie » permet à l’État, de censurer tout ce qu’il veut
car l’infraction n’est pas précise, comme peut l’être par exemple la diffamation définie
juridiquement. Elle peut désigner toutes les idées qui déplaisent au gouvernement. Et au
nom d’une incrimination aussi ouverte le RN se donne le droit de censurer tous les
médias, les réseaux sociaux, les maisons d’édition, etc…
Cette traque idéologique s’étend partout, et notamment à l’école. Et là encore, la lutte du
pouvoir contre les « idéologies » ouvre à l’État un champ de possibles censures et
répressions quasi infini, bien au delà de la seule « idéologie islamiste ». Ainsi, par
exemple, le RN réprouve depuis longtemps les méthodes pédagogiques actives,
égalitaristes (le collège unique), ce qu’il nomme « la doctrine de l’école ouverte », etc… Il
qualifie tout cela d’ « idéologie délétère », donc réprimable, ne propose aucun débat mais
s’apprête tout simplement de supprimer les institutions existantes, les instituts nationaux

supérieurs des professeurs et de l’éducation, censés la propager. De l’incrimination d’une
idéologie qui déplaît au RN à la répression il n’y a qu’un pas, vite franchi.
L’investissement autoritaire de l’école ne s’arrête pas là. Le Rassemblement National veut
aussi exercer un contrôle général sur les cours assurés par les professeurs dans les
classes. Soupçonnés de mal penser (c’est-à-dire autrement que le RN), rien ne semble
plus urgent que de les mettre sous une étroite surveillance des autorités. Les enseignants
devront constamment se conformer à la « neutralité » officielle. « L’exigence de neutralité
absolue des membres du corps enseignant » sera partout renforcée. Sous une telle
pesante tutelle, cette « neutralité absolue » sera déterminée par le pouvoir. Au lieu de se
référer aux disciplines (par exemple l’histoire telle qu’elle est faite par les historiens), ce
sera « la vérité », « la neutralité » de l’État qu’il faudra enseigner. Et les autorités y
veilleront scrupuleusement. Est prévu un « accroissement du contrôle des corps
d’inspection ». Celui-ci aura notamment pour mission une systématique délation des
contrevenants à cette « neutralité » d’État : « obligation de signalement des cas
problématiques sous peine de sanctions à l’encontre des encadrants ».
Nous imaginons parfaitement ce que cela peut signifier car, avec un vocabulaire quasi
identique des États (notamment des États américains) ont mis en œuvre ce programme.
En Floride, par exemple, aujourd’hui, les manuels scolaires sont expurgés de contenus
scientifiques qui contreviennent aux opinions de certains groupes de pression (des
évangélistes fondamentalistes opposés à l’enseignement de la théorie de l’évolution) et du
gouverneur qui les soutient. Les professeurs sont dénoncés par certains de leurs élèves et
pratiquent de plus en plus de l’autocensure.
Une forte intervention de l’État pour censurer le contenu des matières enseignées et une
surveillance autoritaire des enseignants, cela produit toujours les mêmes effets : la
fabrication d’une idéologie d’État, c’est-à-dire, en terme orwellien, une police de la pensée.
Une offensive contre la démocratie
Le Rassemblement National prétend défendre l’identité de la France mais l’essentiel du
programme qu’il s’apprête à appliquer vise à détruire ce qui constitue la singularité de la
France depuis des siècles. La présence de personnes à la peau foncée dans le pays ne
change pas fondamentalement l’identité de la France. Ce qui la détruirait ce serait de faire
du « pays des droits de l’homme » dont la devise est « liberté, égalité, fraternité », une
société qui rejette l’égalité des droits et discrimine des populations entières, qui maltraite
des groupes transformés en bouc émissaire, qui fait régner un pouvoir arbitraire, qui prive
les citoyens de leurs libertés fondamentales, qui impose une idéologie d’État…
Or tout cela se trouve dans les textes programmatiques RN.
Ce n’est pas l’identité de la France même si cela a existé à certaines périodes de l’histoire
de France comme la période de Vichy. Ce furent quelques épisodes, particulièrement
sombres.
Cette ombre plane aujourd’hui sur toutes les prises de position RN . Partout est attisée la
haine et le rejet de ceux qui sont perçus comme différents. L’hostilité envers les
homosexuels et tous les déviants des normes hétérosexuelles dominantes n’a jamais
cessé. Camille Froidevaux-Metterie nous le rappelle dans un article publié dans le journal
Le Monde le 14 juin voter RN pour les femmes c’est braquer une arme contre soi : les
députés européens RN ont voté « contre la condamnation des discours de haine envers

les personnes LGBTQIA+ en 2019 et contre le fait de déclarer l’Europe zone de liberté
pour ces mêmes personnes en 2021 ».
La philosophe rappelle aussi que l’opposition aux droits des femmes est toujours vivace
au sein de ce parti, malgré les fréquents clins d’œil de Marine Le Pen à ses électrices. Il
suffit, là aussi, d’étudier les votes des députés RN au parlement européen pour se rendre
compte qu’ils sont systématiquement défavorables aux droits des femmes (voir le rappel
précis de tous ces votes dans l’article de Camille Froidevaux-Metterie).
Enfin, la haine est attisée, encore plus, de façon obsessionnelle, contre un groupe mal
défini mais que tout le monde reconnaît. Il est question d’ « immigrés », bien que souvent

ils ne le soient plus depuis des générations ; ou d’ »étrangers » ou « étrangers extra-
européens », mais on se garde généralement de désigner à la vindicte publique les

Ukrainiens, chrétiens à la peau trop blanche. Qui désigne-t-on donc ainsi ? Les
illustrations du livret programmatique consacré à « l’immigration » apportent une réponse,
on y voit toujours des « Noirs » et des « Arabes » (peut-être aussi quelques Roms).
De thématiques en thématiques, les méfaits de ces populations aisément
reconnaissables, à défaut d’être bien définies, leurs crimes, leurs mœurs arriérées, et
même les privilèges dont ils bénéficieraient dans la société française, se succèdent sans
fin. Ainsi que les discriminations, les exclusions, les mesures toujours plus dures qu’on
souhaite ardemment leur imposer : toujours plus attentatoires aux droits humains les plus
élémentaires. On peut parler d’obsession ethnique. Toute personne familière des discours
d’extrême droite des années 30 ou de la période de Vichy y trouvera des résonances. Or
cette obsession xénophobe qui a si souvent joué un rôle majeur dans la destruction des
démocraties, est partout dans les discours et les actes du RN et constitue le principal
fondement de sa doctrine, encore aujourd’hui.
Pour s’en convaincre lisons un livret programmatique qui semble complètement éloigné de
ces questions d’immigration et d’incrimination des étrangers, celui consacré à
« l’écologie ».
Nous allons de surprise en surprise. D’abord ce discours écologique est avant tout un
discours antiécologique, dénonçant « l’écologie punitive » à longueur de pages,
dissuadant les Français de changer leur mode de vie, s’opposant aux mesures, pourtant
souvent très limitées, prises par diverses instances nationales ou internationales pour
lutter contre le réchauffement climatique. Mais, vis-à-vis des étrangers, le ton change, la
situation climatique exigerait qu’on restreigne leur nombre et leurs droits et qu’on réagisse
vivement. Une des principales mesures « écologiques » proposées par le RN est la
fermeture des frontières et l’organisation de la préférence nationale non seulement pour
les produits français ou les entreprises françaises, mais aussi pour « l’emploi des
Français ». On croyait parler écologie, on retourne à l’obsession ethnique, aux exclusions,
aux discriminations… à cette identité des pages douloureuses de notre histoire.
Le Rassemblement national a appris à utiliser un langage policé, respectable, à se référer
à la république, à la démocratie, et même aux droits de l’homme, mais derrière ce vernis,
c’est une véritable machine de guerre antidémocratique que révèle la lecture de son
programme. Même si nous ne connaissions pas les accointances de Marine Le Pen avec
Poutine ou Victor Orban ce programme suffit pour découvrir ses penchants autoritaires
Dans la confusion générale, la promotion de mesures inspirées par le discours RN (30 lois
successives restreignant les droits des étrangers et, dernièrement, l’introduction de la

préférence nationale dans une loi sur l’immigration), nous avons perdu la capacité de
percevoir la gravité destructrice de ces mises en cause radicales de nos principes et de
nos droits. Or ce que nous découvrons à la lecture de ce programme RN ce ne sont pas
seulement les réalités catastrophiques que recouvrent ces logiques mais tout un ensemble
de mesures qui nous font basculer dans un autre régime, tel que nous n’en avons pas
connu en France métropolitaine depuis la Libération. Ce n’est plus une évolution, même
vers du pire, c’est un saut dans l’inconnu.

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