Éric Hazan, artificier de l’édition (1936-2024)

Ce jeudi, nous avons appris le décès de Eric Hazan, éditeur révolutionnaire, fondateur des éditions La fabrique, à 87 ans. Il laisse en héritage un riche catalogue de livres essentiels pour penser la révolution.

Crédits photo : Raphaël Schneider / Hors-Série

Chirurgien de profession, militant anticolonial dès sa jeunesse, Éric Hazan se fait éditeur en 1983, en reprenant l’affaire de livres d’art lancée par son père Fernand. Au milieu des années 1990, alors que sa banque le pousse à « rationaliser » ses activités, il vend la maison d’édition qui porte son nom et devient un temps salarié d’Hachette. Pendant un an et demi, il est le témoin quotidien des ravages d’un management fondé sur l’intimidation et de l’inanité de « stratégies d’échelle » qui aboutissent… à faire baisser les ventes !

En 1998, moins d’un an après sa sortie du monde de l’édition « industrielle », Hazan lance, avec Stéphanie Grégoire et le graphiste Jérôme Saint-Loubert Bié, une maison d’édition indépendante et radicale : La fabrique. Alors que la concentration capitaliste de l’édition française s’accentue continuellement depuis le tournant des années 2000, La fabrique suit le mouvement inverse.

Se revendiquant artisan du livre, Hazan développe son entreprise éditoriale en suivant des principes rigoureusement opposés à ceux de la « start-up nation ». Le choix d’une croissance lente lui permet de s’affranchir des logiques de l’édition capitaliste. Ainsi, La fabrique achète sa liberté et se donne les moyens de détonner au sein du paysage éditorial français.

Depuis ses origines, cette maison d’édition se distingue notamment en faisant de la lutte du peuple palestinien l’une des lignes de force de son catalogue. Dès 1999, Hazan fait connaître le travail politique d’Edward Saïd en France grâce au recueil Israël-Palestine, l’égalité ou rien. Qu’il s’agisse de Palestine ou des autres grandes batailles du XXIe siècle, La fabrique publie des ouvrages qui ne se contentent pas de décrire ou de déplorer et dont l’enjeu est toujours le même : donner des armes intellectuelles aux nouvelles générations militantes.

Dans Pour aboutir à un livre, ouvrage d’entretiens publié en 2016 et bilan des années qu’il a passées à La fabrique, Hazan affirme que le point commun de tous les ouvrages qu’il a édités est de viser, à leur échelle, à préparer « la subversion de l’ordre établi ». Comme François Maspero avant lui, Hazan a donc fait le choix de faire feu de tout bois et de publier des auteurs issus de toutes les traditions de la gauche radicale et révolutionnaire.

Côté philosophie, il édite aussi bien des penseurs marqués par l’expérience du maoïsme et de la Gauche prolétarienne, comme Jacques Rancière et Alain Badiou, que le Comité invisible. Pendant des années, il débat « affectueusement » avec son ami et auteur Frédéric Lordon, sans partager toutes ses idées politiques et stratégiques. Dans le même temps, La fabrique n’hésite pas à rééditer pèle-mêle Marx et Blanqui et à faire se côtoyer dans leur catalogue Lénine le bolchevique et l’anarchiste Joseph Déjacque. Eric Hazan prend lui-même la plume pour faire part de sa passion pour Paris, Balzac ou la révolution française, mais également pour discuter de l’actualité de la perspective révolutionnaire.

Alors même que plusieurs de ses publications l’ont conduit devant les tribunaux et dans les locaux de la police antiterroriste – en 2009, les enquêteurs en charge de « l’affaire Tarnac » furent en effet très désireux de rencontrer l’éditeur de L’insurrection qui vient – Hazan déclarait modestement à la fin de sa carrière : « nous ne sommes pas des héros […] On est pas encore à mettre les éditeurs en prison ! ». Et d’ajouter : « si la situation se durcit, si l’on juge en haut lieu que nos livres contribuent à animer les luttes et qu’il faut nous faire taire, ce ne sera pas difficile ».

Depuis lors, Comment saboter un pipeline d’Andreas Malm a été cité par Gérald Darmanin dans le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre et l’auteur Ilan Pappé, dont La fabrique a récemment réédité Le nettoyage ethnique de la Palestine, a été arbitrairement arrêté le mois dernier alors qu’il se rendait aux États-Unis, tandis qu’en avril 2023 le responsable des droits étrangers de l’éditeur était lui aussi arrêté à Londres.

Dans ce contexte de répression croissante, mais aussi de luttes de grande ampleur, Eric Hazan lègue un riche héritage d’ouvrages pour penser et débattre de la révolution, et faire face au durcissement autoritaire. À l’heure de la criminalisation sans précédent du soutien au peuple palestinien et de pans grandissant mouvement social et écologique, la poursuite ces dernières années de cette opiniâtreté éditoriale est sans doute

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