Le RN échoue aux portes du pouvoir, tout reste à faire

D’après les premières estimations, l’extrême droite et ses alliés arrivent en troisième position au soir du second tour des élections législatives, derrière le Nouveau Front populaire et le camp présidentiel. Avec une participation très forte, le barrage a tenu.

Lénaïg Bredoux

Les Français·es ont déjoué tous les pronostics. Ils ont refusé que le pays soit confié aux mains d’une extrême droite xénophobe, raciste, homophobe et sexiste. Ils ont choisi de placer l’alliance des gauches et des écologistes en tête des élections législatives, dimanche 7 juillet. Le front républicain a fonctionné encore une fois, mais tout reste à faire.

Selon les premières estimations, émanant de plusieurs instituts de sondages, le Nouveau Front populaire (NFP) recueille entre 170 et 220 sièges ; la majorité sortante (Ensemble) entre 150 et 190 sièges ; le Rassemblement national (RN) atteint entre 120 et 160 sièges.

Il faut presque se frotter les yeux pour y croire : quoi qu’il advienne dans les jours qui viennent, Jordan Bardella ne sera pas premier ministre à l’issue du second tour. Le RN n’a ni majorité absolue ni majorité relative. À l’Élysée et dans les cabinets ministériels, la sidération était de mise autour de 20 heures. Dans les QG de la gauche et des écologistes, les personnes présentes ont exulté, de soulagement et de joie.

Des parisiens et parisiennes, sur la place de la République à Paris, réagissent à l’annonce des résultats du second tour des législatives 2024. © Yann Castanier pour Mediapart

Le résultat est d’autant plus net que la participation atteint un niveau très élevé de 67 % des inscrit·es sur les listes électorales. Comme au premier tour, le bond de près de vingt points est spectaculaire par rapport aux dernières législatives (46 % en 2022 et 43 % en 2017).

Le barrage contre le RN a tenu

La première explication, sous réserve de résultats définitifs et de données plus précises notamment en nombre de voix, est évidente : le barrage contre l’extrême droite, matérialisé par les désistements massifs de la gauche et du camp présidentiel en cas de triangulaire, a fonctionné. Il n’y a finalement eu que 90 triangulaires ce dimanche, loin des 300 annoncés au soir du premier tour.

Le « report républicain », selon l’expression du chercheur Emilien Houard-Vial, se lit dans plusieurs scrutins locaux. Ainsi en Bretagne, aucun député RN n’a finalement été élu (c’eût été une première historique). Dans l’Aisne, la seule circonscription non acquise au RN revient au LR (Les Républicains) Julien Dive. Au premier tour, le candidat d’extrême droite, battu dimanche soir, avait pourtant obtenu 47 % des voix… Dans la Somme, François Ruffin a finalement réussi à se faire réélire malgré des vents contraires dans sa circonscription populaire.

Encore plus surprenant, Raphaël Arnault, dont la fiche S liée à son militantisme antifasciste a suscité des attaques particulièrement virulentes, est élu avec près de 55 % des voix dans la première circonscription du Vaucluse. Au premier tour, il avait obtenu 25 % des voix, dix points derrière la candidate du RN.

Comme lors des précédents scrutins, ce sont les électeurs et les électrices de gauche et écologistes qui ont été les plus efficaces, d’après les estimations des instituts de sondages. Selon Ipsos, environ 70 % de celles et ceux qui ont voté Nouveau Front populaire le 30 juin ont voté Ensemble ou LR face au RN, au second tour. Environ la moitié des électeurs du camp présidentiel ont quant à eux choisi le NFP plutôt que le RN, quand un gros tiers s’abstenait, les autres votant RN.

« Il s’agit d’une terrible déception pour le RN mais cela montre qu’il faut faire attention aux tendances en voix et aux résultats des élections parlementaires », a expliqué la chercheuse spécialiste du RN Nonna Mayer, sur le plateau de Mediapart. Et « ce n’est pas un déni démocratique : en démocratie, on détermine qui est l’ennemi », a-t-elle poursuivi à propos de l’efficacité des désistements d’entre-deux-tours.

Beaucoup plus de députés RN

Surtout, si l’extrême droite échoue aux portes de Matignon, elle n’a jamais autant pesé dans la vie politique de la Ve République. Le RN, avec les ralliés autour d’Éric Ciotti, accroît considérablement son nombre de député·es – ils étaient 88 entre 2022 et 2024. Ce qui signifie plus de poids politique, plus de maillage territorial, plus de moyens financiers et humains pour construire la suite.

Jordan Bardella, le patron du parti, ne s’y est pas trompé. Après avoir dénoncé un supposé « parti unique allant de Philippe Poutou à Édouard Philippe » et des « arrangements électoraux entre l’Élysée et une extrême gauche incendiaire », il a très rapidement évoqué l’après : « Ce soir tout commence. Un vieux monde est tombé, et rien ne peut arrêter un peuple qui s’est remis à espérer », a-t-il déclaré lors d’une courte allocution.

Ces dernières années, la progression du RN est « lente, tranquille et linéaire », rappelle sans cesse Nonna Mayer. Elle s’est encore « accélérée d’un coup par la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre » l’Assemblée nationale au soir des élections européennes, le 9 juin (cela semble déjà être il y a une éternité).

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Au pavillon Chesnaie du Roy à Paris, les partisans du RN peinent à dissimuler leur déception face aux résultats du second tour des législatives 2024. © Lafargue Raphael / Abaca

L’échec du 7 juillet ne vient aucunement contrecarrer cette évolution. Il y a encore un « plafond de verre » pour le RN, mais pour combien de temps ? Voilà ce qui préoccupe déjà un autre politiste, Étienne Ollion, qui scrute l’extrême droite depuis plusieurs années lui aussi : « Il faut arrêter de simplement construire un barrage. Il faut se poser la question de pourquoi l’eau monte. Ce soir, on n’est finalement pas dans le chant du cygne du barrage mais il faut se questionner pour la suite. »

Sur le terrain, pendant la campagne, on a vu aussi la parole raciste se libérer. Les agressions – une par jour dans l’entre-deux-tours, selon notre décompte – ont été nombreuses. Les fractures entre les métropoles et certains territoires ruraux, et entre certains pans de la population française, semblent plus vives que jamais.

« Tension » : c’est par ce mot que la chercheuse Nonna Mayer résume la campagne électorale que nous venons de vivre. « Nous avons négligé les fissures, nous faisons face à des crevasses », a sobrement diagnostiqué le patron du Parti socialiste (PS) Olivier Faure.

Et maintenant ?

C’est dans ce contexte qu’il a lui-même suscité qu’Emmanuel Macron va devoir trouver une solution et nommer un premier ministre. Sur le plan institutionnel, il n’y a pas urgence : son premier ministre Gabriel Attal, qui a annoncé qu’il remettra sa démission dès lundi, peut assurer les affaires courantes le temps qu’un·e successeur·e soit trouvé·e.

Le Nouveau Front populaire revendique logiquement d’être appelé pour diriger le pays : ses principales composantes l’ont indiqué dimanche.

« Le président doit s’incliner et admettre cette défaite sans tenter de la contourner de quelque façon que ce soit. […]  Le président a le pouvoir, le président a le devoir d’appeler le Nouveau Front populaire à gouverner. Celui-ci y est prêt », a déclaré Jean-Luc Mélenchon, pour La France insoumise (LFI).

« Dans les prochains jours c’est au Nouveau Front populaire de refonder un projet collectif pour notre pays et [de] fédérer une majorité de Françaises et de Français. La France méritait mieux qu’une alternative entre néolibéralisme et fascisme », a expliqué Olivier Faure, le premier secrétaire du PS.

« C’est l’espoir créé par cette union de la gauche et des écologistes qui est le fait politique majeur de cette élection. Non seulement nous l’avons fait, mais maintenant nous allons gouverner », a appuyé la patronne des Écologistes, Marine Tondelier.

Comme le camp présidentiel en 2022, le Nouveau Front populaire ne dispose que d’une majorité relative. C’est assez inédit sous la Ve République, dont le mode de scrutin est peu favorable à la dispersion électorale, singulièrement depuis l’instauration du quinquennat présidentiel.

Mélenchon a promis que le NFP pouvait gouverner par décrets pour appliquer certaines mesures hautement symboliques (« abrogation de la retraite à 64 ans, blocage des prix, hausse du Smic, convocation des conventions salariales, plan de gestion de l’eau, moratoire sur les grands travaux inutiles »). Ses partenaires sont plus prudents – tout en promettant de s’en tenir au programme commun.

Ils devront faire face aux appels pressants venus du camp présidentiel, satisfait de la résistance du bloc central : une partie des macronistes rêvent d’accomplir la promesse de dépassement politique prônée depuis 2017 en créant une majorité de projets allant des socialistes à LR, débarrassés de leur frange la plus radicale.

« Prudence et analyse des résultats. La question est : qui pour gouverner désormais et atteindre la majorité ? », a souligné l’entourage d’Emmanuel Macron dimanche soir. Avant d’ajouter : « Humilité, mais après sept ans, le bloc central est bien vivant. » C’est tout le paradoxe de ce résultat : un président en fin de règne, largement discrédité en France et sur la scène internationale, se retrouve au cœur d’une redistribution inédite des cartes politiques.

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