Matignon, Bello, Tubiana, 5ème République : discussion

 

Par aplutsoc le 16 juillet 2024

A Aplutsoc, vous tapez beaucoup sur LFI avec souvent des analyses et infos originales. Mais tout de même, le problème principal dans le NFP, n’est-ce pas le PS ?

Un coup d’œil sur nos publications depuis que notre site existe, et encore avant sur les publications qui l’ont précédé, montre que nous n’avons eu aucune indulgence pour la politique gouvernementale du PS en France, sous Hollande bien entendu, largement responsable et de Macron et de tout ce qui a suivi, et encore auparavant.

Plus fondamentalement, l’idée selon laquelle un centre politique d’analyses, de propositions, de discussions et d’action est nécessaire et utile, prend acte d’un double bilan : celui, pour le dire en général, de la « social-démocratie », devenue « social-libéralisme » n’est-ce pas, et celui du stalinisme, responsable du massacre de dizaines de millions de travailleurs et de peuples entiers. Sans rentrer dans le décompte des morts, car il faudrait prendre en compte les guerres coloniales, c’est peu de dire que question « trahison », ces derniers ne sont pas en reste. Souvent, dans les couches militantes qui se veulent « radicales », est professée la détestation du social-libéralisme, avec une certaine propension à l’oubli ou au silence sur le stalinisme. Lequel a d’ailleurs bien aidé Mitterrand !

Enfin, et peut-être surtout, nous essayons de partir des faits. Revenons à aujourd’hui. Lundi 15 juillet, c’est LFI qui suspend les discussions du NFP sur Matignon, en prenant prétexte du PS. Quoi que l’on puisse reprocher au PS, c’est là un acte décisif : c’est cela qui risque de donner un bail à Macron. Il aurait fallu qu’ils règlent cette histoire de Matignon avant le 18. Maintenant LFI fait dépendre Matignon de ce qui va se passer à l’Assemblée nationale. Franchement, qui pousse le PS à la faute ?

Le PS, parti, comme on disait autrefois « ouvrier-bourgeois parlementaire » et bien pourri par la V° République, qui s’était effondré et qui amorce un retour, veut réellement aller à Matignon, certainement pas pour y faire la révolution ni même, sans doute, des réformes radicales, mais il sera alors sous la pression populaire. LFI semble ne pas tant y tenir. Comme l’explique par exemple Danielle Simonnet, la ligne d’horizon pour eux c’est Mélenchon président en 2027.

Hé bien, ça, c’est encore bien pire que le PS pour ce qui est d’être conditionné par la V° République. C’est irréaliste car rien ne nous dit maintenant que ce calendrier, qui suppose le maintien – un maintien antidémocratique ! – de Macron, notez-le, sera respecté, et encore moins que Mélenchon gagnerait contre Marine Le Pen, en tout cas pas en traitant la population des deux tiers du territoire de fachos et un Ruffin de raciste !

L’intérêt immédiat du prolétariat, entendons par là toutes celles et ceux qui vivent ou essaient de vivre de la vente de leur force de travail, la grande majorité, c’est un gouvernement NFP au plus vite, et c’est à cet intérêt que la politique véritable de la direction de LFI fait directement obstacle. Sans illusion sur personne, nous ne les renvoyons donc pas dos-à-dos là-dessus au moment présent, car c’est l’intérêt général du prolétariat qui prime.

Oui mais n’est-ce pas le PS qui cherche une première ministre macro-compatible et une ouverture parlementaire du NFP vers certains macroniens ?

Nous allons revenir sur la première ministre, mais à propos de ce qui pourrait se passer au parlement, il faut distinguer deux choses.

Un élargissement du NFP au centre serait une alliance avec des ci-devants macroniens menaçant directement toute abrogation de la réforme des retraites et le reste avec. Il provoquerait en outre l’éclatement du NFP. Si le PS fait cela, et nul doute que certains de ses dirigeants y pensent, il se fait hara-kiri juste au moment de sa possible résurrection.

Un éclatement des ex-macroniens avec la formation d’un groupe, par exemple autour de Sacha Houlié dit-on, serait une conséquence de la crise de régime et de l’effondrement du contrôle de Macron sur les siens. Concernant ceux-ci, il ne changerait pas le plomb en or certes, mais il peut neutraliser un secteur, au moins momentanément, par rapport à un gouvernement NFP voire même à propos de l’abrogation de la réforme des retraites. Dans l’Assemblée nationale précédente, quand la majorité du groupe LIOT tentait de censurer celle-ci, nous n’avons pas scandé « Non à l’alliance avec la bourgeoisie », n’est-ce pas : quand on peut utiliser des contradictions, on doit le faire.

A propos de ce qui pourrait se passer à l’Assemblée, Danielle Obono pour LFI a dénoncé un risque de « coup d’État parlementaire ». De quoi s’agit-il ?

Elle n’a pas été très claire là-dessus car il s’agissait de justifier le report, par LFI, de toute discussion sur le gouvernement, au 18 voire au-delà.

Mais effectivement, on peut considérer que Macron et ses ex-ministres en même temps toujours ministres, cherchent la pire des entourloupes. Cette histoire de « gouvernement démissionnaire gérant les affaires courantes » est TRÈS dangereuse et il est faux de le présenter comme un gouvernement impuissant. Il doit être viré !

Qu’on en juge : il peut faire adopter un budget et si cela échoue dans les 70 jours, il peut, article 47, gouverner par ordonnances, mais il échappe à toute motion de censure puisqu’il est réputé déjà démissionnaire !!! Il peut aussi gérer les « situations d’urgence » : par exemple en Kanaky, ou contre les manifestants protestant contre les méga-bassines !!!

Le pire, c’est que comme ses ministres seront démissionnaires, hé bien ils vont rappliquer comme députés à l’Assemblée, pour 17 d’entre eux ! A la fois ministres et députés !!! L’arbitraire à son comble !

Mais tout cela, c’était une raison pour arrêter la pantalonnade des chefs du NFP sur Matignon, pas pour la suspendre afin de la faire dépendre ce qui se passera à ce moment là : la politique de LFI fait le jeu, fait le lit, du pire de la V° République et des manœuvres présidentielles et gouvernementales, voilà la vérité !

Bon mais alors, parlons quand même de cette Laurence Tubiana, tout de même ! Il se dit qu’elle avait été pressentie en 2020 pour succéder à Édouard Philippe comme première ministre de Macron ! Il n’y a pas plus de chances qu’elle abroge la réforme des retraites que Bello, encore moins même ! Tout de même, Bello, elle, avait manifesté contre !

Oui. Nous n’appuyons pas la promotion de Tubiana, nous disons : « Notre premier ministre, c’est l’abrogation de la retraite à 64 ans ».

Ceci posé, Tubiana, c’est quoi ? Une ancienne de la Ligue qui a ensuite fait une carrière prestigieuse de diplomate impliquée dans les questions environnementales. Conseillère de Jospin quand il était premier ministre, personnage charnière de la COP 21 en 2015, promotrice du discours officiel sur le « développement durable » et la « transition énergétique », deux vastes tromperies (mais sans doute pas pour elle, elle est sans doute sincère à ce sujet, trop long pour être développé ici, il le faudra par ailleurs). C’est après avoir co-présidé la « convention citoyenne pour le climat » dont on peut retenir … qu’il n’y a rien eu à en retenir, qu’elle aurait été « pressentie » comme première ministre en 2020. Il semble que c’était surtout une rumeur, mais pas de fumée sans feu comme on dit ; en tout cas, elle a déclaré à l’époque qu’on ne lui avait rien proposé, qu’elle n’y serait pas allée car « femme de gauche et écologiste » (Le Monde du 11 juillet 2020) et que le gouvernement Castex nommé par Macron « ne paraît pas incarner le changement écologique » (c’est le moins qu’on pouvait dire !).

Tels sont les faits. La campagne de LFI notamment sur les réseaux sociaux en fait pratiquement une créature de Macron : c’est faux, mais ce qui est vrai, c’est qu’elle est macro-compatible, étant entendu qu’on sait de moins en moins ce que cela veut dire vu l’état dans lequel est la présidence Macron. Bello l’était aussi, et elle risquait d’être également poutino-compatible, voila là encore la vérité, qui ne correspond pas aux story-telling pour militants excités. Au fait, pas plus tard qu’en janvier dernier, l’Institut La Boétie, le saint du saint de l’initiation des cadres à LFI, faisait débattre Tubiana aux côtés de Mathilde Panot pour causer « financement de la transition énergétique » !

Pour en revenir à l’essentiel : elle ne présente pas plus ni moins de garanties que Bello sur l’abrogation de la réforme des retraites. Mais aucune ou aucun premier ministre du NFP ne présentera jamais par lui-même la moindre garantie à ce sujet !

La seule garantie, c’est la pression populaire. Le plus important dans deux jours, c’est aussi ce qui va se passer dans la rue. Certes nous sommes en juillet, mais c’est décisif pour préparer la suite.

Oui mais alors, au fond, n’est-ce pas le principe même de la formation d’un gouvernement, puisque c’est toujours Macron qui choisit son premier ministre, qui est un piège ? Lecteur d’Aplutsoc, je vous ai toujours vu pester contre la cohabitation. N’êtes-vous pas en train de l’accepter ?

C’est une contradiction, mais c’est une contradiction du réel. Le point de notre charte de référence, c’est de toujours partir de la situation réelle pour poser la question du pouvoir, du pouvoir d’État, s’entend, du pouvoir politique. « Dehors Macron » et « A bas la V° République », on n’aime pas les mantras, mais s’il faut en avoir, on choisit ceux-là ! Mais la voie vers ceci, ce sont les faits concrets, le mouvement réel, toujours. Il vaut le coup de remonter à la réélection de Macron pour voir comment la concrétiser, justement.

Nous avons saisi le fait de sa réélection en 2022 comme une défaite sociale, mais dont l’essai restait à transformer car il était d’emblée faible, ayant réussi à être réélu mais pas à rétablir une V° République de plein exercice comme il le voulait. Cela s’est traduit dans l’absence de majorité absolue macronienne à l’Assemblée de juin 2022. Finalement après un temps d’incubation, il a tenté son rétablissement politique avec la contre-réforme sur les retraites, avec Thatcher pour modèle. Alors, le combat pour une manifestation centrale avec grève, contre l’Élysée, a été pour nous un fil conducteur une fois que l’intersyndicale avait repris le mot d’ordre de retrait, après la première « journée » en janvier. Les directions syndicales ont évité cela et donc sauvé Macron, et sa réforme est passée, mais il était toujours aussi faible. Contre la dissolution des Soulèvements de la Terre, contre la loi Immigration qu’il a fait voter en s’alliant au RN, contre le « choc des savoirs », c’est la perspective de la lutte sociale directe et, à nouveau, de la centralisation par grève et manifestation, qui est revenue.

Quand il a dissous, le biais concret du combat contre Macron et la V° République passait par la lutte pour interdire un exécutif Macron/RN, pas par la profération dans le vide de « à bas Macron, Macron dehors ». Cette lutte a remporté une victoire, partielle mais une victoire, le 7 juillet dernier. Macron, au lieu de se renforcer et de renforcer la V° République, est plus affaibli que jamais. Dans ces conditions, le combat sur la question du pouvoir, concrètement possible tout de suite et motivant pour des millions, c’est de lui imposer un gouvernement NFP soumis à la pression populaire pour l’abrogation de la réforme des retraites et ce qui s’ensuit.

Et ce combat se heurte, lui aussi, à la politique des directions, cette fois-ci des directions politiques, les syndicats, singulièrement la direction Binet de la CGT, nous fournissant plutôt un point d’appui. La politique des directions, c’est la division entre elles. L’unité a été imposée pour que se forme le NFP, elle doit s’imposer à nouveau pour affronter le patronat, Macron et la V° République.

Ce serait une immense victoire que la formation d’un tel gouvernement, et le nom du locataire de Matignon n’a pas une importance fondamentale dans la portée d’une telle victoire. Elle ne ferait pour autant qu’ouvrir le front suivant, celui de l’affrontement pour l’abrogation de la réforme des retraites et du reste, avec la bataille à la rentrée sur le « choc des savoirs ». Tout sera arraché, rien n’est promis. Et cela conduira à l’affrontement avec Macron et les autres institutions de la V° République. Au bout du bout, mais pas à perpette, assez près, il y a la fin du régime, l’imposition par la volonté populaire et les comités de front populaire avec les syndicats, contre l’appareil d’État, d’une assemblée constituante. En même temps, ajouterais-je, que l’indépendance kanake …

Mais nous n’en sommes pas là. Aujourd’hui, il y a plusieurs verrous, mais le principal verrou protecteur de la V° République, qui diffère à la saint glin-glin toute victoire contre Macron à propos de Matignon, c’est la direction de LFI avec en son cœur le POI, qui risque s’il continue comme ça de finir en ultime garde prétorienne du régime issu du coup d’État du 13 mai 1958. Concluons cet entretien par ce clin d’œil à Hegel que serait une si perfide ruse de l’histoire !

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