Mégabassines : la mobilisation reprend, avec le soutien du Nouveau Front populaire

Une centaine d’organisations, dont les Soulèvements de la Terre, ont prévu rassemblements et actions au départ du village de Melle, dans les Deux-Sèvres, du 16 au 21 juillet. Objectif : obtenir un moratoire sur les mégabassines.

Amélie Poinssot

C’est l’un des points du programme « de rupture » du Nouveau Front populaire (NFP). Une mesure qui serait prise dans les quinze premiers jours si un gouvernement de gauche parvenait à voir le jour : un moratoire sur les mégabassines – ces cratères à ciel ouvert qui pompent en hiver de l’eau dans les nappes phréatiques pour que les champs puissent être arrosés en plein été.

C’est aussi, à partir du mardi 16 et jusqu’au dimanche 21 juillet, la revendication phare d’une série de rassemblements antibassines dans le Poitou – les premiers depuis les événements de Sainte-Soline, quand la répression policière s’était abattue sur des manifestant·es, le 25 mars 2023, faisant près de 200 blessé·es, dont 40 grièvement touché·es.

Plus de 120 collectifs et organisations, dont les Soulèvements de la Terre, Attac, Youth for Climate ou encore la Confédération paysanne, ont appelé à « confluer en masse pour un moratoire immédiat » vers la petite commune de Melle, dans les Deux-Sèvres, où un campement au nom de « Village de l’eau » est installé jusqu’à dimanche. C’est ici que de multiples tables rondes seront organisées et des formations militantes dispensées. Dix mille personnes sont attendues.

Le convoi de l’eau, parti des Deux-Sèvres, traverse le département de la Vienne en août 2023. © Jean-François Fort / Hans Lucas via AFP

Face à eux, le dispositif de surveillance est massif. En déplacement dans les Deux-Sèvres lundi après-midi, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a dit craindre « des actes d’une très grande violence » à l’occasion de ces rassemblements. Plus de 3 000 membres des forces de l’ordre seront mobilisés du côté de la police et de la gendarmerie pendant les six jours, ainsi que cinq hélicoptères et une dizaine de drones – soit un dispositif équivalent à celui mis en place lors de la manifestation de mars 2023, lors de laquelle plus de 5 000 grenades lacrymogènes avaient été lancées sur la foule en moins d’une heure et demie. Le ministre a par ailleurs indiqué que 1 500 personnes avaient déjà été contrôlées ces jours-ci dans les Deux-Sèvres.

Encerclement symbolique et festif

Ce sont surtout deux actions prévues en fin de semaine qui auront valeur de test sur le respect du droit de manifester et sur l’attitude des autorités en cette période d’exécutif en sursis. Elles se dérouleront sur de nouveaux terrains, dans la Vienne et en Charente-Maritime, sur des sites hautement concernés par les dégâts de l’agriculture industrielle et où les militant·es condamné·es et interdit·es de séjour dans les Deux-Sèvres pourront participer. L’objectif ? « Défendre un juste partage de l’eau et une bascule agroécologique. »

La première de ces manifestations, vendredi, consistera en une marche sur la commune de Saint-Sauvant, dans la Vienne, où un chantier de mégabassine doit commencer en septembre prochain, en dépit du statut de zone naturelle du secteur. La seconde, samedi, tentera de faire un « encerclement symbolique et festif » du port agro-industriel de La Rochelle, par lequel transitent quantité de céréales importées et d’engrais chimiques.

C’est ce qu’ont expliqué différents membres organisateurs au cours d’une conférence de presse la semaine dernière, à laquelle participaient également deux député·es du Nouveau Front populaire, tous deux membres des Écologistes : le paysan nouvellement élu en Charente-Maritime et ancien eurodéputé Benoît Biteau, et la députée réélue dans la Vienne Lisa Belluco. Plusieurs sections locales du Parti communiste (PCF) et de La France insoumise (LFI) figurent en outre sur la liste des signataires de l’appel à la mobilisation, ainsi que deux députés LFI – Gabriel Amard et Loïc Prud’homme.

Un millier de projets sur la table

Alors que cette mobilisation annoncée comme « internationale » se prépare depuis des mois, le contexte politique éclaire le sujet d’une lumière nouvelle. « C’est la gauche qui a gagné les élections, a rappelé Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac. Il faut poser les bases de la résistance écologique et obtenir tout de suite le moratoire du nouveau gouvernement. »

« On est tous très content que cette mobilisation tombe pendant cette période, cela va appuyer dans le bon sens, a renchéri Lisa Belluco. La désobéissance civile est utile pour peser sur les politiques. »

Le sujet est d’autant plus urgent que le projet de construction de mégabassines et autres structures de stockage d’eau à l’échelle nationale a pris des proportions gigantesques depuis le début du second quinquennat Macron. Un millier de projets sont sur la table, assurent les organisateurs.

Dans l’Hérault, par exemple, ce sont sept réservoirs d’eau qui sont actuellement à l’étude, ainsi que le creusement d’un nouveau canal d’irrigation depuis le Rhône – il en existe déjà un depuis les années 1960 –, afin d’alimenter une viticulture mal en point dans un territoire de plus en plus menacé par la sécheresse.

De grands travaux d’aménagement pour combler un déficit d’eau qui ne fera que s’aggraver ? N’est-il pas temps de réfléchir à d’autres types de production, plus adaptés aux nouvelles conditions climatiques ? D’imaginer une répartition équitable des usages de l’eau, dans un pays où le secteur agricole en consomme 45 % ? De mettre cette ressource vitale au cœur de la politique et de l’avenir des territoires ?

Le camp macroniste, et en particulier celui qui occupait jusqu’ici le ministère de l’agriculture, Marc Fesneau, ainsi que les syndicats FNSEA, Jeunes agriculteurs et Coordination rurale sont loin de ces questionnements. Le stockage de l’eau apparaît pour eux comme l’unique horizon face au changement climatique et ils font tout pour faciliter la construction de ce qu’ils appellent des « réserves de substitution », lesquelles profitent à une minorité d’agriculteurs irrigants.

Conséquence des nombreuses promesses brandies par Matignon pour répondre à la colère agricole du début de l’année, un décret a été publié, en mai dernier, pour réduire les possibilités de recours contre les projets de réserves d’eau. Il faut dire que la bataille juridique menée par les associations environnementales porte aussi ses fruits. En octobre dernier, le tribunal administratif de Poitiers a fait tomber une quinzaine de projets de mégabassines. Et la semaine dernière, le même tribunal a réduit d’un quart les autorisations de prélèvements pour l’irrigation dans le Marais poitevin en raison de la hausse des volumes prélevés par les mégabassines…

Au-delà de la dénonciation de cette privatisation de la ressource hydrique, l’objectif de la mobilisation dans le Poitou est de s’attaquer à un modèle agricole qui va droit dans le mur. « On demande un moratoire sur les mégabassines, mais aussi une rétribution juste de ceux qui travaillent la terre et une alimentation saine pour tous, explique Julien Le Guet, membre de Bassines non merci. Avec ces deux journées d’action, l’idée est de cibler la filière et les lobbies agro-industriels qui empêchent l’agriculture de changer. »

Du côté de la Coop de l’eau 79, à l’origine des projets de mégabassines des Deux-Sèvres, on dénonce une attitude et un rassemblement « dangereux et irresponsables »« Une fois de plus, nous sommes très en colère, a fait savoir le président de la Coop Thierry Boudaud, dans un communiqué. Décider d’accueillir une telle manifestation sur notre territoire, c’est encore une fois prendre le risque d’attirer des activistes radicaux animés par la seule volonté d’en découdre avec les forces de l’ordre. Indirectement, c’est se rendre complice des dégradations et actes de violence qui pourraient avoir lieu. »

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