THERE IS NO ALTERNATIVE ?
Si les législatives anticipées au Royaume-Uni ont été remportées hier par le Labour, mettant fin au long règne des Tories, le mandat de Keir Starmer ne fera que perpétuer les mêmes politiques antisociales et xénophobes et approfondir la crise politique.
5 juillet
Crédits photo : Prime Minister Sir Keir Starmer arrives at Number 10 Downing St, CC BY-NC-ND 2.0
« Je voudrais savoir si vous deux, c’est vraiment le meilleur de ce qu’on peut nous offrir au poste de Premier ministre ? », avait demandé sèchement un électeur lors du débat entre Rishi Sunak et Keir Starmer. À en juger par l’un des plus hauts taux d’abstention (près de 40 %) dans l’histoire des élections britanniques, c’est une question que se sont posés beaucoup de travailleurs et de jeunes au Royaume-Uni ce jeudi. Si des millions de personnes se sont déplacées pour sanctionner le Parti conservateur qui a été au pouvoir au cours de ces 14 dernières années et s’est rendu responsable d’une récession financière, du Brexit, de la déliquescence de l’hôpital public et de la paupérisation de la classe ouvrière, d’autres ont traversé cette séquence électorale dans un état alternant entre apathie et résignation. Et pour cause : l’alternative aux Tories n’en est pas une.
Le parti travailliste, sous la présidence de Keir Starmer, a renoué avec la tradition néolibérale du New Labour de Tony Blair : une gauche dure sur les questions sécuritaires et l’immigration, conciliante avec le patronat en matière économique. Après la décennie du néo-réformisme de Jeremy Corbyn, qui a ramené des centaines de milliers de jeunes militants progressistes dans le parti en leur promettant un programme de nationalisation du système des transports et du secteur énergétique, la fin des frais d’inscription à la fac ou encore l’investissement massif dans les services publics, les ailes les plus droitières du Labour ont pris leur revanche ces dernières années et ont purgé quasiment toute l’aile gauche du parti, Corbyn en tête. Le manifeste du Labour sous l’égide de Corbyn était comparé par les éditorialistes britanniques, encore plus fébriles que leurs collègues français, au Petit livre rouge de Mao Zedong. À propos du manifeste du Labour sous Starmer en revanche, à peu près tout le monde s’accorde à dire que c’est le programme des Tories teinté en rouge.
Avant qu’ils n’adoptent une position timide en faveur d’une « cessation des hostilités », les deux partis étaient d’accord sur le soutien indéfectible au « droit d’Israël de se défendre », autrement dit le droit de poursuivre le génocide contre le peuple palestinien. Labour et Tories se rejoignent également sur la nécessité de réduire l’immigration, c’est-à-dire de repousser les frêles esquifs sur lesquels des réfugiés désespérés traversent la Manche pour se réunir avec leurs familles. Labour et Tories sont en accord quant à la nécessité de mener une politique fiscale « responsable » et ouverte au dialogue avec les entreprises et les investisseurs, au refus d’augmenter les impôts des entreprises, ainsi que sur le fait de conditionner le financement des aides sociales et des services publics à une relance économique. Avec ce programme ouvertement pro-patronal, il n’est pas surprenant que même des médias bourgeois comme le Financial Times ou The Economist aient officiellement soutenu la candidature de Keir Starmer.
Si le Labour sort vainqueur, c’est surtout grâce aux spécificités du mode du scrutin des élections législatives au Royaume-Uni : il n’y a pas de second tour et le gagnant remporte le siège même avec un écart de voix minuscule. Ce procédé favorise les deux partis du régime qui alternent au pouvoir depuis le début du XXe siècle, freinant l’émergence de nouvelles formations politiques. Ainsi, en 2024, le Labour a perdu des centaines de milliers de votes par rapport à 2019 et des millions par rapport à 2017, mais s’en trouve récompensé par une super majorité de 411 sièges sur 650 à la Chambre des communes. Cela en dépit du fait qu’une partie de sa base s’est tournée vers les Verts et les candidatures indépendantes pro-Palestine, dont celle de Jeremy Corbyn. La base électorale des Tories, surtout dans les classes moyennes et dans les classes populaires, a quant à elle subi une importante érosion, au profit du parti d’extrême-droite Reform UK de Nigel Farage et vers les Libéraux-Démocrates (qui effectuent une percée, avec 71 sièges), mais le parti conservateur se maintient avec 121 sièges. Si Reform UK a remporté 14 % des suffrages, non loin des 21 % des Tories, il n’obtient de son côté que 4 sièges.
Vers quoi se dirige le Royaume-Uni ? Si l’on en croit Keir Starmer, les résultats de ces élections promettent « une lueur d’espoir » et des changements d’envergure. En réalité, le Labour va hériter de la même spirale de déclin économique et de désagrégation de son influence dans laquelle le pays s’est engouffré suite à la crise financière de 2008 et au Brexit. La saturation et l’effondrement des services publics vont se poursuivre, les queues devant les banques alimentaires vont continuer de s’allonger, le chômage va continuer à renforcer le sentiment de l’humiliation dans bien des ménages. Avant même d’exercer le pouvoir, le Parti travailliste est déjà revenu sur une grande partie de ses anciennes promesses, comme celle de l’investissement de 28 millions de livres sterling dans la transition écologique ou encore l’abrogation des frais d’inscription à l’université. Le changement promis par le Labour va s’inscrire dans la continuité des politiques austéritaires et néolibérales et approfondir les tendances à la crise politique au Royaume-Uni, continuant de paver la voie à l’extrême-droite.
Au-delà de ces dynamiques par le haut, il y a aussi les millions de personnes au Royaume-Uni qui ont pris part aux grèves dans la santé et dans l’éducation ces dernières années, qui ont manifesté en solidarité avec le peuple palestinien que l’impérialisme britannique aide à exterminer, tout ça pour se voir attaquées conjointement par les Tories et par le Labour. Dans un avenir proche, ces travailleurs et ces jeunes, dont la voix n’est représentée par aucun parti du régime, auront eux aussi leur mot à dire sur l’avenir de leur pays. Et pour l’exprimer, un bulletin dans l’urne ne sera pas suffisant.
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