NOUVEAU FRONT POPULAIRE : BILAN D’ETAPE ET PERSPECTIVES

Les élections du 7 juillet n’ont pas été des élections traditionnelles où les classes populaires choisissent sagement quels seront les nouveaux dirigeants qui les opprimeront demain. La participation directe par des manifestations, des grèves, des collectifs divers et de multiples prises en main de ces élections par en bas en a fait un mouvement social et politique exceptionnel. Cette mobilisation s’inscrit dans une tendance progressive à la montée de la classe ouvrière partout dans le monde sur la scène politique autour des deux mots d’ordre unité et radicalité. Elle a imprimé à ce scrutin une couleur prolétarienne et démocratique inédite, balayant en un clin d’œil toute la lourde mise en condition de la population depuis des années et des années par le système capitaliste et ses serviteurs pour faire accepter un gouvernement d’extrême-droite construit autour de la division raciste. Ainsi donc, cette mobilisation de la France antiraciste a été à deux doigts de faire écrouler le château de carte de la domination bourgeoise et cela malgré la pression quotidienne de ses médias, ses instituts de sondage d’opinion et ses hommes politiques. Toute la suite dans les sommets en panique en a été conditionnée pour tenter de sauver leur système près de s’écrouler, initiant le chaos qui s’en est ensuivi au sommet qui a montré les rouages de la république bananière française, depuis le refus antidémocratique par Macron de désignation du premier ministre dans le regroupement arrivé en tête, la valse-hésitation caricaturale à gauche pour en trouver un, jusqu’à l’élection truquée et inconstitutionnelle de la présidente de l’Assemblée.
Soyons-en sûrs, quelles que soient les magouilles au sommet pour voler l’élection au peuple français dans les jours et semaines à venir, ce mois passé de mobilisation sans précédent laissera des traces importantes dans les consciences et fera que l’immense peur ressentie avec la menace d’un gouvernement d’extrême-droite se transformera d’ici peu en une énorme colère d’une ampleur jamais vue.
Récapitulons les évènements pour bien saisir et aider aux décantations de conscience à venir et nécessaires pour aller plus loin.
UNE INTERVENTION DES CLASSES POPULAIRE DANS LE PROCESSUS ELECTORAL BOURGEOIS QUI CONDITIONNE TOUTE LA PERIODE
C’est d’abord cette pression populaire qui a permis au NFP de se constituer aussi rapidement, mettre au point un programme et organiser des désistements de barrage au RN. En ce sens, les élus n’ont pas été que des élus choisis par les partis mais aussi les élus d’un mouvement d’en bas.
Cependant, aussitôt le but atteint, le RN relégué en troisième position, le soulagement qui s’en est ensuivi s’est accompagné d’une relative démobilisation. En même temps, une nouvelle situation inattendue s‘ouvrait avec la surprise inespérée du NFP arrivé en tête. Cela donnait à ce mouvement anti-RN la possibilité de se continuer en se transformant autour de l’obtention d’un certain nombre de revendications sociales, smic, retraite, salaire… par la mise en place d’un gouvernement NFP avec les élus du mouvement, une tentative vers une sorte de gouvernement prolétarien, mais qui n’avait pas encore suffisamment de bases d’auto-organisation ancrées dans le mouvement pour le permettre réellement.
Là, qu’on passait à une toute autre dimension bien au-delà de la victoire démocratique. La victoire démocratique, en remettant en cause de la raison pour laquelle les possédants poussent en avant l’extrême-droite, la division du peuple pour détruire ses acquis sociaux, ouvrait la porte à une victoire sociale.
Aussi, autant Renaissance, LR et les dirigeants du PS avaient accepté avec plus ou moins de réticences, d’arrières pensées, de calculs et de mauvaise foi, de jouer le jeu du barrage républicain anti-RN, autant ils étaient totalement et catégoriquement opposés à toute satisfaction des revendications sociales, fussent-elles minimes. Ce n’était pas tant pour ce que ça aurait pu couter financièrement à la bourgeoisie mais pour ce que ça pourrait lui couter politiquement, c’est-à-dire en reprise d’espoir et de confiance du prolétariat en lui-même et en ses luttes après des décennies d’échecs, c’est-à-dire encore l’arrêt d’une phase de recul pour amorcer une période de remontée et de progrès sociaux, la possibilité de la remise en cause de quarante ans de reculs sociaux !
C’est pourquoi, avec la baisse de mobilisation populaire après le soulagement gagné dans la première phase démocratique anti-RN, toute la seconde phase plus sociale et revendicative commencée le 7 juillet, pas tout à fait avec les mêmes milieux et moins forte, et qui en train de prendre fin maintenant, mais rebondira autrement à la rentrée, les partis ont pu reprendre peu à peu la situation en main. A l’ombre des vacances arrivant et autour de la désignation du premier ministre, ils font peu à peu échapper leurs élus au contrôle d’en bas pour n’en faire plus que des élus des partis.
Ce processus de dessaisissement des élus par la base, a commencé d’abord par Macron qui par sa lettre a fait comprendre qu’il ne désignerait pas, comme le veut la tradition républicaine, un premier ministre issu de la formation politique arrivée en tête aux élections. Cela était accompagné pour le justifier du chœur de l’ensemble des médias de Bolloré mais aussi des autres, expliquant que le NFP n’avait pas de majorité absolue, ni même de majorité relative suffisante pour gouverner et qu’au fond personne n’avait gagné. Une argumentation de fond déplaçant insensiblement le débat du terrain de la logique de la mobilisation à la logique parlementaire. Un glissement que reprenaient bien sûr les dirigeants du RN, LR et LREM mais aussi ceux du PS, d’EELV et du PCF, d’abord mezzo voce, puis avec une voix de plus en plus haute et assurée, au fur et à mesure que la mobilisation populaire pour un gouvernement NFP et pour la satisfaction de toutes les revendications déclinait en jetant pour l’essentiel ses derniers feux dans les rassemblements du 18 juillet.
La CGT accompagnait parallèlement cette évolution. Pourtant, dans un premier moment, elle avait appelé radicalement et de manière inédite à fusionner revendications sociales et démocratiques en s’alignant derrière l’appel des cheminots CGT du 11 juillet pour « mettre l’Assemblée Nationale sous surveillance » le 18 juillet, accompagnant ainsi la seconde phase du mouvement social pour un gouvernement NFP appliquant tout son programme et même au-delà. Mais déjà, le 17 juillet, Sophie Binet enfermait le mouvement social dans le débat parlementaire en affirmant qu’on « n’a pas besoin d’un gouvernement martyr qui dure trois semaines » visant ainsi LFI dont la politique était de prendre un maximum de mesures de gauche par décret quitte à se faire reverser rapidement. Elle voulait, disait-elle, un gouvernement dans la durée et donc « qui aille chercher des majorités au Parlement » ( !) pour une politique industrielle, pouvoir mener une politique de négociations…
Dès lors, l’augmentation du smic à 1600 euros, le retour à la retraite à 62 ou 60 ans, l’augmentation des salaires des fonctionnaires, l’embauche dans les services publics, etc… qui pendant une dizaine de jours avaient été à nouveau au centre de l’actualité… tout cela était relégué au second plan, voire passé aux oubliettes pour devenir « réaliste » (parlementairement), en affirmant de plus en plus fort qu’il faudrait bien trouver des alliés au Parlement sur sa droite et faire des compromis sur le programme afin de pouvoir gouverner dans la durée. Si, bien sûr, sa majesté veut bien nommer un premier ministre de gauche. Ce qui est très loin d’être garanti. Tout le sens des blocages successifs autour de la question du premier ministre faits par les dirigeants du PS tendance Hollande et Glucksmann est là : gagner du temps pour échapper à la pression populaire sur les revendications sociales. Ils ont fini – cette pression diminuant-, par entraîner EELV et le PCF dans leur sillage pour proposer ensemble au poste de premier ministre Laurence Tubiana qui se positionne clairement pour sa part, pour une politique de gauche mais par une ouverture à droite au Parlement ! Ce qui est la quadrature du cercle, totalement impossible. La non élection à la présidence de l’Assemblée Nationale de André Chassaigne, candidat de ce type d’ouverture s’il en est, en est la preuve. Mais ce n’est pas seulement une illusion, c’est une tromperie consciente. Tous les sommets de la société, économiques ou politiques, sont aujourd’hui arc-boutés et depuis des décennies contre toute concession, même la plus minime, faite aux travailleurs. Une politique faisant croire qu’il est possible aujourd’hui de composer avec les représentants politiques du grand patronat est de même nature que celle des dirigeants syndicaux lorsqu’ils font croire qu’il est possible d’obtenir quelque chose par une politique de négociation sans grande lutte de forte dimension. On ne négocie dans ces conditions que le poids de ses chaînes. Mais pire, une telle politique qui condamnerait un tel gouvernement de « gauche » à ne rien faire, à ne tenir aucune promesse, voire même à prendre des mesures contre les travailleurs, car il n’a aucune possibilité d’alliés à droite pour une politique de gauche, fut-elle au rabais (d’autant que Macron lui-même mettra le maximum de bâtons dans les roues), serait du pain béni pour l’extrême-droite en décourageant l’espoir qui s’est levé et nous ferait faire de grands pas vers un gouvernement RN.
LE GOUVERNEMENT NFP A UNE LARGE MAJORITE POUR GOUVERNER : L’EXEMPLE DE 1936
Pourtant, un gouvernement NFP sur tout son programme ou au moins l’essentiel, a une très large majorité. Pas au Parlement mais dans la population : en effet 93% des actifs s’opposent à la retraite à 64 ans – 89 % des Français sont pour augmenter le SMIC – 89 % des Français sont favorables au blocage des prix des produits de première nécessité – 70% sont favorables à la gratuité des fournitures scolaire – 79 % sont pour rétablir l’ISF- 70% sont pour un moratoire sur les méga-bassines – 88 % sont pour des prix plancher pour les agriculteurs, etc., etc. Mais cela voudrait dire gouverner en s’appuyant sur les mobilisations populaires et même plus, en y appelant. Imaginez un gouvernement qui dise : « demain nous allons passer une série de décrets mettant le smic à 1 600 euros, la retraite à 62 ans, augmentant de 10% les salaires des fonctionnaires et les APL, bloquant les prix des produits de l’énergie et de première nécessité, mettant un moratoire sur les méga-bassines, les grands projets autoroutiers comme l’A69, abrogeant le « choc des savoirs » et passant à la gratuité les fournitures scolaires, etc., (c’est le programme du NFP)… mais le RN, LREM et LR veulent vous empêcher d’accéder à tout cela et pur cela ont prévu de faire tomber notre gouvernement par une motion de censure, alors, nous vous demandons de nous soutenir ce jour-là, par la grève reconductible partout, les manifestations et votre présence massive devant l’Assemblée Nationale, l’Elysée et les sièges des partis RN, LR, LREM jusqu’à ce qu’ils renoncent et acceptent la mise en application de ces décrets ».
Peut-être que ce gouvernement tomberait, peut-être pas, mais quoi qu’il en soit, d’une part la gauche serait sauvée politiquement tout autant que le moral offensif des travailleurs et des jeunes et, d’autre part, il y aurait de fortes chances pour, comme en 1936, que cela entraîne une grève générale, soutenant ce gouvernement et obligeant à la mise en application de son programme et probablement bien au-delà comme ça s’est passé en mai-juin 1936.
LFI le sait bien et a fait quelques pas vers ça mais sana aller jusqu’au bout. En ayant déjà fait les principaux efforts pour la construction du NFP, de son programme et de sa politique de désistement pour faire barrage au RN, puis en restant ensuite ferme sur la promesse de l’application de tout le programme, LFI agi pour que les élus du 7 juillet ne deviennent pas des élus des partis mais restent des élus du mouvement. C’est tout à leur honneur. Cela permet ainsi que toute la gauche ne sombre pas en permettant au mouvement qui s’est dessiné le 9 juin puis le 7 juillet de rester sur un sentiment de victoire puis de colère pour le vol des élections mais pas de démoralisation, ce qui est essentiel pour l’avenir. En même temps, LFI ne va pas jusqu’au bout de sa démarche. La député LFI Danielle Obono a bien demandé à Sophie Binet le 18 juillet où était sa politique d’appels à la mobilisation, car disait Danielle Obono, il ne peut y avoir de mise en application du programme du NFP sans grèves et manifestations. Mais elle n’appelait pas elle-même à construire cette mobilisation dans la rue. Et JL. Mélenchon, le 19 juillet sur BFMTV, a lui-même justement mis en parallèle la situation actuelle à celle de 1936. Il a comparé LFI au PS de l’époque et le PS d’aujourd’hui au parti Radical de 1936 (parti le plus à droite membre du Front Populaire) qui avait tout fait pour freiner ou empêcher la mise en application du programme du Front populaire une fois élu et qui, ce faisant, avait déclenché malgré lui et contre lui, la grève générale de 1936.
Mais Mélenchon expliquait en même temps qu’il ne souhaitait pas la grève générale. Il ne veut pas y appeler ni la construire, il vise seulement les prochaines présidentielles, dans trois ans ou plus tôt. Il se servait de cet exemple juste comme d’un épouvantail pour menacer Macron et le PS en disant en quelque sorte : « si vous empêchez la constitution d’un gouvernement NFP sur tout son programme ou si LREM, LR et RN le censurent immédiatement, vous récolterez une grève générale comme en 1936 et une grève générale de plus qui sera politique, donc proche de la révolution, parce qu’elle aura en plus de ses revendications sociales, celle d’exiger par la rue la « démission » de Macron. Je ne le souhaite pas, mais je vous en avertis. »
Malgré les énormes efforts et moyens mis par le grand capital depuis des années pour nous faire courber l’échine en acceptant un gouvernement d’extrême-droite, le mois que nous venons de vivre montre que sept décennies d’habitudes démocratiques ne sont pas si faciles à démolir et que le combat démocratique ouvre à un combat social généralisé. L’intervention des jeunes et des travailleurs dans le processus électoral politique et la démonstration que la France antiraciste d’en bas peut être plus forte que la France raciste d’en haut va faire germer bien des fruits de conscience. Ce sont ces fruits que nous devons faire fructifier pour la période à venir. Après déjà la grosse mobilisation pour les retraites il y a un an, beaucoup avaient conclu que le mouvement social pour gagner doit aller jusqu’à remettre en cause le pouvoir de Macron. C’est le sens de tous les « Macron démission » depuis longtemps. Aujourd’hui, après ce mois, beaucoup ont vécu par l’expérience qu’un gouvernement de gauche ne peut réussir que par la mobilisation par la grève et la rue et par la prise en main de ces mobilisations par des collectifs auto-organisés. C’est énorme parce que ce n’est pas loin de l’étape suivante que nous ne saurons tarder à connaitre et que pouvons préparer dès aujourd’hui par ces fruits de conscience à faire fructifier : ce gouvernement de gauche que nous avons touché du doigt un instant par nos espoirs et notre mobilisation ne peut être que l’émanation organisée du mouvement lui-même, l’auto-organisation à la base s’instituant en pouvoir, bref c’est le chemin révolutionnaire, une vieille tradition française.
Jacques Chastaing 21 juillet 2024
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