Pourquoi le PS refuse de soutenir Huguette Bello à Matignon

À l’issue d’un conseil national très attendu, le Parti socialiste a refusé de se rallier à la proposition formulée par les communistes. Voyant dans l’élue réunionnaise un avatar de Jean-Luc Mélenchon, les socialistes peuvent s’appuyer sur les écologistes, finalement « dubitatifs ».

Ilyes Ramdani

Huguette Bello n’est pas encore la candidate du Nouveau Front populaire pour Matignon, et cela n’en prenait plus le chemin samedi soir. À l’issue d’un conseil national convoqué en visioconférence en fin d’après-midi, les dirigeants du Parti socialiste (PS) ont choisi de ne pas se prononcer, pour l’heure, sur le profil de la présidente du conseil régional de La Réunion, suggéré par les communistes. « Il faut continuer à cheminer », évacuait un proche d’Olivier Faure, premier secrétaire du PS, qui doit prendre la parole dimanche sur BFMTV.

La pression était forte, pourtant, sur les épaules des socialistes. Vendredi après-midi, la révélation par L’Humanité de la présence d’Huguette Bello parmi les pistes pour Matignon avait donné un coup d’accélérateur inattendu à des discussions enlisées. Après Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), c’est le leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, qui s’y était rallié dans la soirée. « Trois formations au moins se sont mises d’accord sur le sujet », a-t-il assuré dans la soirée, appelant le PS à rallier une proposition qui « ferait honneur » à la gauche plutôt que de s’en tenir à la mise en avant de son premier secrétaire.

Huguette Bello en mars 2024, à l’occasion d’un meeting de soutien à La France insoumise à Villepinte (Seine-Saint-Denis). © Photo Bertrand Guay / AFP

Sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision, les interpellations se sont faites plus directes encore. « Cher Olivier Faure, tu dois comprendre que ton ambition personnelle ne peut bloquer un pays », a par exemple écrit Antoine Léaument, député LFI de l’Essonne, sur X.

Une pétition soutenue par les autrices Annie Ernaux et Pénélope Bagieu, les actrices Corinne Masiero ou Anna Mouglalis, la journaliste Giulia Foïs ou encore l’historienne Mathilde Larrère, appelle aussi à défendre la candidature Bello : « C’est l’heure pour la France d’avoir comme première ministre une femme, métisse, de l’océan Indien, qui s’est engagée pour les humbles, les dominé·es, les femmes, les victimes des inégalités économiques et du racisme. »

Samedi, quelques militants se sont réunis devant le siège du PS à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), sur lequel ils ont collé des affiches réclamant « Bello à Matignon » et exhortant à l’attention du premier secrétaire : « Déconne pas Olivier ». Un « saccage » et des « actes d’intimidation », selon Luc Broussy, secrétaire national du PS, qui a demandé à Huguette Bello de « condamner [ces] méthodes de voyous ».

D’abord prévu à 11 heures, puis repoussé à 17 heures, le conseil national du PS a donné à voir une unité devenue rare au sein du parti autour d’une position : le refus de se rallier à la proposition des partenaires du Nouveau Front populaire (NFP). « Trop radicale »« Bello, c’est LFI »« un signal d’extrême gauche » : les mots ont varié mais le tir de barrage était partagé à la quasi-unanimité des responsables du PS ayant pris la parole en visioconférence, selon plusieurs participant·es contacté·es par Mediapart.

Sur le fond, les socialistes oscillent entre deux arguments pour écarter la candidature de la présidente du conseil régional réunionnais. D’une part, un argument de fond : la ligne qu’elle porte serait trop loin du barycentre de la gauche et du PS. Ces jours-ci, des militant·es et des responsables socialistes exhument certaines positions passées d’Huguette Bello, comme son opposition en 2004 à la loi sur les signes religieux à l’école. D’autre part, un argument stratégique. Nommer un socialiste, ont martelé plusieurs participant·es, ce serait la seule solution pour éviter d’être renversé par l’Assemblée nationale et construire des majorités, demain, avec une partie des macronistes.

« Si on est seuls contre trois, on va devoir céder »

Mais comment éviter d’apparaître comme la composante qui empêche un accord réclamé à cor et à cri par la société civile et l’électorat de gauche ? La crainte de bloquer le processus unitaire a semblé, au début des échanges, de nature à faire plier le PS. « Si on est seuls contre trois, on va devoir céder », a expliqué Olivier Faure en ouverture des discussions. Une de ses proches, la porte-parole du parti Dieynaba Diop, a également incité ses camarades à « ne pas apparaître comme ceux qui fragilisent l’union » et à « ne pas s’abîmer dans un bras de fer »« Sur le terrain, les gens sont impatients, a plaidé en substance la nouvelle députée des Yvelines. Il faut être à la hauteur du moment. »

À l’inverse, les deux autres courants du PS, plus proches de François Hollande et de Raphaël Glucksmann que du premier secrétaire actuel, ont appelé la direction du parti à tenir sur sa fermeté. « Il faut prendre en compte le front républicain » du second tour, ont par exemple lancé David Assouline et Philippe Doucet, représentants des deux motions minoritaires, affirmant leur souhait d’une « candidature centrale » qui puisse ouvrir les bras au camp présidentiel.

Pour régler la question de la méthode, le consensus s’esquissant sur le refus de la solution Bello, les socialistes se sont raccrochés aux branches écologistes. « Il faut un candidat commun » entre le PS et Les Écologistes, a expliqué Olivier Faure à son conseil national. Autrement dit, si les Verts n’affichaient pas de soutien à la Réunionnaise, cela donnerait une échappatoire aux socialistes pour assumer leurs réticences. « Les écolos peuvent être un partenaire, a expliqué Johanna Rolland, maire de Nantes (Loire-Atlantique) et numéro 2 du parti. Il y a des compromis à aller chercher chez eux. »

Le renfort de dernière minute des Écologistes

Plusieurs fois évoqué, le conseil politique tenu au même moment par Les Écologistes a fini par offrir aux socialistes l’issue espérée. À la fin du tour de table virtuel, vers 19 h 40, la présidente du conseil national, Hélène Geoffroy, par ailleurs maire de Vaulx-en-Velin (Rhône), a donné la parole à Olivier Faure pour conclure les échanges. S’est ensuivi un silence de plusieurs minutes, qu’a fini par interrompre le premier secrétaire du PS avec une bonne nouvelle. Il vient d’avoir les Verts au téléphone, explique-t-il, selon plusieurs participant·es : leur position s’en tient à un « ni pour ni contre ».

Dans le même temps, le parti dirigé par Marine Tondelier a effectivement acté une position d’indécision, selon les informations de Mediapart. En attendant un conseil fédéral, seule instance habilitée à prendre des décisions, le conseil politique a encouragé l’état-major du parti à ne rien trancher pour le moment. « On ne bloquera pas si c’est elle qui fait consensus mais on reste dubitatifs », résume un participant.

Dans l’esprit des Verts, qui n’avaient déjà pas accueilli le nom d’Huguette Bello avec un grand enthousiasme dans le secret des négociations, la situation peut finir par leur profiter. Déjà, face à ses homologues chefs de parti, Marine Tondelier avait tenté de sortir de l’affrontement Faure-Mélenchon en proposant de pousser le nom d’une femme à Matignon, puis celui d’une figure de la société civile, à l’instar de sa prédécesseuse Cécile Duflot.

D’autres soupçonnent l’élue d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) de jouer sa carte personnelle. « Plus ça bloque, plus ça dure, plus Tondelier peut s’imposer comme le plus petit dénominateur commun, la solution à laquelle personne ne met de veto », explique un de ses interlocuteurs. Galvanisée par une campagne des élections législatives saluée dans son camp, Marine Tondelier n’aurait pas abandonné l’espoir d’être le nom que le NFP sortira de son chapeau en début de semaine prochaine.

Les insoumis accusent le PS de « tout bloquer »

Faute d’avoir la même stratégie finale, socialistes et écologistes se sont donc trouvés samedi en alliés de circonstance. « Nous sommes deux partis sur quatre à ne pas avoir décidé, a résumé Olivier Faure à l’issue des échanges. Puisque le consensus n’est pas atteint, il y a encore la nécessité de continuer à cheminer. Nous sommes dans l’impossibilité de conclure sur quoi que ce soit pour résoudre la crise dans laquelle nous sommes entrés. »

Une expression de « crise » censée rester dans le huis clos du conseil national. À l’extérieur, ont prévenu plusieurs dirigeants socialistes, il s’agira de faire bloc derrière le premier secrétaire et de ne pas affoler le peuple de gauche. « À nous de relativiser à l’extérieur », a expliqué Olivier Faure, rappelant le temps pris par les classes politiques européennes pour composer un gouvernement à l’issue de résultats électoraux du même type.

Pour le député de Seine-et-Marne, le temps presse, y compris en interne. Samedi, plusieurs figures du PS ont émis la possibilité de proposer d’autres noms que le sien et d’élargir le panel des négociateurs, y compris à Raphaël Glucksmann. Des idées auxquelles ses proches ont fait barrage, à l’image de la maire de Nantes Johanna Rolland, qui a fustigé « la manière dont certains ont essayé d’affaiblir » le chef du parti.

Sans attendre la prise de position d’Olivier Faure dimanche, La France insoumise a fustigé, par la voix de son coordinateur national Manuel Bompard, la décision du conseil national socialiste. Le PS « vient une nouvelle fois de tout bloquer », a écrit l’état-major de LFI dans un communiqué publié sur X, annonçant se réunir dès dimanche midi pour « analyser la signification des blocages constants du Parti socialiste contre toute candidature autre que celle de son premier secrétaire ».

Alors que la session parlementaire s’ouvre jeudi et que la droite tente elle aussi de sceller une coalition, le NFP n’a pas beaucoup avancé dans la course de vitesse censée l’amener, dans quelques jours, au pouvoir.

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