Profilage de la guerre mondiale.

Arguments pour la lutte sociale

Par aplutsoc le 17 juillet 2024

Le 7 juillet dernier au soir, la mobilisation par en bas de la base sociale et électorale de la gauche en France a empêché le RN d’arriver au pouvoir.

Le lendemain, lundi 8 juillet, une pluie de missiles dévastait à nouveau l’Ukraine, visant écoles, jardins d’enfants, églises, hôpitaux, dont le principal Hôpital pour enfants du pays, à K’yiv, faisant 38 morts et des dégâts humains et moraux non chiffrables. On a pu se dire que telle était la revanche de Poutine pour son échec à installer ses agents dans le pouvoir exécutif français, mais l’opération était probablement planifiée à l’avance et avait plutôt été décalée au lendemain du scrutin, pour faire suite à l’arrivée (finalement manquée) du RN au pouvoir et à la fin de la tournée de Victor Orban, et coïncider aussi avec la constitution de son groupe au Parlement européen, de concert avec le RN français.

Le surlendemain, 9 juillet, les bombes israéliennes s’abattaient sur une école à Khan Younès, dans la bande de Gaza : 29 morts. Le 13 juillet, bombardement d’une « zone de sécurité » où les réfugiés étaient regroupés, à Al-Mawasi : 90 morts.

Les crimes de Poutine et les crimes de Netanyahou se ressemblent. Dans les deux cas, ce qu’il est convenu d’appeler « la communauté internationale » évite consciencieusement de stopper le massacre.

En Ukraine, le massacre pourrait être stoppé par l’armement suffisant du pays, à commencer par la fourniture effective de ce qui est promis. Citons le spécialiste militaire Michel Goya : « Avec une aide matérielle intermittente, graduelle et dosée, l’interdiction d’employer les armes fournies sur le sol de l’ennemi agresseur et la peur d’engager le moindre humain sur le sol de l’allié, le soutien occidental à l’Ukraine depuis 2022 est peut-être le plus prudent, sinon le plus pusillanime, de l’histoire des soutiens à des pays en guerre. Il faut sans doute revenir à l’attitude des démocraties face à la guerre civile en Espagne de 1936 à 1939 pour trouver pire. » (article du 22 mai 2024).

La voie de la paix passe ici par la défaite militaire russe en Ukraine.

A Gaza, ainsi qu’en Cisjordanie où la violence coloniale s’abat également, c’est inversement en coupant le robinet des armes et en général du soutien logistique, financier et politique à l’État israélien, que celui-ci serait rapidement contraint à un cessez-le-feu effectif permettant réellement de sauver les otages, comme le réclament les manifestants israéliens.

La voie de la paix passe ici par l’arrêt de la fuite en avant du pouvoir israélien. Combiné à la libération des prisonniers politiques palestiniens, ceci ouvrirait la crise de la domination du Hamas, en réalité rejeté par une population que les bombes israéliennes et la répression islamiste réduisent au silence, à Gaza, et à une recomposition politique nationale palestinienne.

Mais dans ces deux situations jumelles, les États-Unis et les puissances européennes, tout en sachant très bien ce qui est dit là, ne veulent pas dénouer la situation. Car elles craignent plus ce que rendrait possible la voie de la paix qu’elles ne craignent le prolongement des massacres. La crise du régime poutinien et la chute de son régime, d’une part. L’effondrement conjoint de Netanyahou et du Hamas et la remise en cause des « équilibres » reposant sur la négation du droit des peuples, d’autre part.

Les impérialismes « atlantiques » craignent toute défaite des impérialismes rivaux, « eurasiatiques », car elle ouvrirait les vannes urgentes du printemps des peuples et des aspirations nationales, démocratiques, sociales et écologiques.

Ils s’enferrent donc dans l’impasse, préparant en reculant devant l’échéance les conditions de la guerre mondiale dont la chute de Poutine et le printemps des peuples, autrement dit la révolution, démocratique, prolétarienne, écologique, peuvent seules garantir qu’elle n’aura pas lieu.

Trump.

La situation intérieure états-unienne constitue elle-même une impasse analogue. La classe dominante, ce que l’on appelle l’establishment, Wall Street, Washington, ne souhaitent pas la victoire de Trump cet automne mais refusent tout moyen efficace de l’empêcher. Ces moyens, ce serait d’abord d’armer l’Ukraine et de désarmer Israël, et, au plan intérieur, de s’appuyer sur la jeunesse, sur les femmes, sur la working class dont les grèves et le renouveau syndical ont marqué toute l’année écoulée. Mais probablement aussi de remplacer Biden, par une femme noire par exemple. Ils ont plus peur de tout cela que de Trump qui est pourtant affolant, de leur propre point de vue !

Que Joe Biden soit un « pauvre » vieux entêté que n’importe quel médecin ayant le sens de l’humain mettrait au repos, n’est-ce pas là au fond la manifestation de cette inertie sociale fondamentale par laquelle les préposés à l’accumulation du capital vont dans le mur ?

La crise des Démocrates voyant, comme tout le monde, que Joe Biden est à bout de souffle, au sens propre, n’empêche pas le Comité national démocrate de foncer droit dans le mur en klaxonnant (avec l’appui de cet autre vieillard qu’est maintenant Bernie Sanders …).

Mais Trump, lui, a d’abord reçu le soutien de la Cour suprême, c’est-à-dire des juges qu’il y a nommés, qui, par 6 voix contre 3, lui a conféré l’immunité pour tout acte commis en étant président : les principes fondamentaux du droit, ceux-là même qui avaient été invoqués par les premiers « républicains » américains en 1789 (Thomas Jefferson) contre l’institution de la présidence qu’ils ne voulaient pas voir redevenir une monarchie, sont atteints – il s’agit bien d’une inflexion autoritaire majeure, déjà, de la Constitution instituant la nation américaine.

Et puis, comme on le sait, l’autre jour, Trump a échappé à une tentative d’assassinat, dont les images alimentèrent immédiatement la machine médiatique faisant de sa personne un mythe (oubliant au passage la mort d’un de ses partisans dans le public).

Le voila donc sur un petit nuage. Trump est toujours Trump : pendant que Biden s’excuse pratiquement, et appelle à l’unité, lui a choisi son vice-président, Vance, un de ses anciens adversaires dans le Parti républicain, catholique, adepte des « lumières sombres », un courant néo-religieux ultra-réactionnaire (NRx, ou « pensée néo-réactionnaire », une version intello des délires de QAnon : ultra-libéralisme à la Millei combiné à la dictature politique ouverte, et au choix de l’exploitation des ressources énergétiques sans restrictions : la barbarie moderne incendiaire).

Vance s’est notamment distingué par ses appels à se foutre de l’Ukraine qui ferait mieux de crever : avec lui, c’est l’aile des Républicains qui a résisté au vote des crédits militaires vers l’Ukraine voici quelques mois qui est promue.

Trump vient également de téléphoner au « candidat indépendant » Robert Kennedy Junior, et l’appel ayant été filmé l’on sait qu’il a entrepris de le charmer en lui expliquant qu’il allait mener la lutte contre … les vaccins.

Son élection introduirait un facteur déstabilisant dans la situation internationale, accélérant la marche à la guerre en commençant par faire le jeu de Poutine et de Netanyahou.

Notons toutefois, pas pour se rassurer mais pour mesurer les éléments de la situation, une ressemblance avec la France d’avant le 7 juillet, quand le choix de Macron de faire du NFP l’ennemi principal et la sympathie du patronat dessinaient clairement la probabilité du RN au pouvoir : or, il n’en a pas été ainsi. Il n’en a pas été ainsi grâce aux forces sociales qui, aux États-Unis aussi, se heurteraient rapidement à Trump s’il est élu, mais qui ont besoin de plus d’organisation et de plus de clarté, de façon pressante.

La Chine.

La seconde puissance impérialiste mondiale, la Chine, est devant des enjeux existentiels. L’accumulation capitaliste en Chine est devenue largement excédentaire, depuis des années déjà. Le « 3° plenum du XX° comité central » du PCC, qui se tient en ce moment, s’est ouvert sur un rapport disant : « Les bases d’une reprise et d’une croissance économique saine doivent être consolidées. » Langue de bois facile à traduire : « les conditions de la reprise et d’une croissance saine ont été perdues ».

D’une part, selon l’expert français Patrick Arthus, de la part de cette oligarchie censée être dotée d’un sens unique de la prévision, une erreur de prévision magistrale a été faite qui plombe le reste à présent : la décroissance démographique est en marche, la Chine devrait passer sous les 600 millions d’habitants en 2100 et la population active baisse de 1,5% par an.  « Cet incompréhensible manque d’analyse et d’anticipation a provoqué une situation de surcapacité dans de nombreuses industries : voitures, batteries, équipements d’énergies renouvelables, acier, matériaux de construction… En conséquence, les prix industriels baissent, et Pékin se retrouve à la fois confronté à des pressions déflationnistes et contraint de trouver des débouchés extérieurs. »

D’autre part, et surtout, c’est la structure des échanges internationaux qui, dans le processus de fragmentation mondialisée en cours, a changé depuis deux ans. Je remets ici un schéma déjà utilisé dans un article sur Aplutsoc en février, indiquant non pas la baisse, mais bien l’effondrement, des investissements de capitaux américains, européens, japonais et sud-coréen en Chine depuis 2022 (seule exception, l’Allemagne), que complétera un second schéma, d’origine chinoise, concernant l’explosion des exportations chinoises en Russie :

Malgré la volonté des dirigeants chinois, la logique de la fragmentation mondialisée du marché mondial et de la division internationale du travail est en train d’intégrer la Russie à la sphère chinoise et de forcer les conditions d’un affrontement inter-impérialiste, de nature in fine militaire, entre blocs. Les incertitudes restent nombreuses sur les alignements et les alliances, mais les principales portent sur les États jouant sur plusieurs tableaux : Inde, Turquie. L’Afrique subsaharienne est d’ores et déjà un champ mouvant d’influences rivales, sur lequel on reviendra plus précisément dans un autre article.

Pour autant, il n’y a pas de lune de miel entre Beijing et Moscou. L’oligarchie du PCC sait d’ailleurs que, derrière Trump mais ne se limitant pas à lui, les tenants de la réconciliation américano-russe sont puissants, et que, si le premier sacrifié serait l’Ukraine, c’est contre la Chine qu’elle se ferait – à supposer que les positions prises en Russie, notamment en Sibérie, ne soient pas déjà irréversibles. La Corée du Nord est, de son côté, un facteur autonome que Moscou joue en partie pour coincer la Chine.

Autour du sommet de l’OTAN.

C’est donc dans cette situation globale instable et incertaine que s’est tenu le sommet de l’OTAN les 9-11 juillet, à Washington. Le communiqué adopté cible la Chine plus précisément que jamais : elle « joue désormais un rôle déterminant dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine », elle est pratiquement accusée de « rendre possible la poursuite de la plus grande guerre que l’Europe ait connu dans son histoire récente » – alors que c’est la politique de l’aide militaire restreinte à l’Ukraine par les membres de l’OTAN, Washington en tête, qui l’a rendue possible ! – , et elle « continue de faire peser des défis systémiques sur la sécurité euro-atlantique ».

En marge du sommet, les États-Unis et l’Allemagne ont annoncé la décision de faire stationner, en 2026, des missiles américains de longue portée (SM-6, Tomahawk, armes hypersoniques en préparation) en Allemagne, en principe à titre « temporaire », l’Allemagne disant vouloir les produire elle-même à terme. Il s’agit de missiles stratégiquement comparables à ceux que la Russie stocke dans le territoire de Kaliningrad, probablement depuis 2007. Ce sont en principe des missiles « conventionnels » mais une fois leur installation faite, le passage à des missiles nucléaires ne rencontre pas d’obstacles techniques. C’est une première depuis 1987.

De leur côté, la Chine et la Russie ont procédé à des actes militaires symboliques voulant matérialiser leur rapprochement, pendant le sommet de l’OTAN : entraînement militaire de forces chinoises en Bélarus à proximité de la frontière polonaise, d’une part, et manœuvres navales sino-russes en mer de Chine méridionale, après un passage de navires militaires russes dans le détroit de Tsushima (entre Japon et Corée) et avec l’annonce de prochaines manœuvres dans le Pacifique ouest (voir à ce sujet les articles d’Andrea Ferrario). Double message donc : les troupes chinoises peuvent aller en Europe et les troupes russes en Asie-Pacifique.

Rien n’est joué.

Il est aujourd’hui assez facile de voir se dessiner les éléments d’une guerre inter-impérialiste mondiale entre un bloc euro-atlantique et un bloc eurasiatique. Cette visibilité, qui est assurément plus forte que jamais et constitue donc un aspect inquiétant de la situation, est cependant trompeuse.

Les trois puissances impérialistes dont il a été principalement question ici, États-Unis, Chine et Russie, sont toutes trois dans une grande instabilité potentielle. C’est évident dans le cas des États-Unis avec les présidentielles et Trump. Mais cela est vrai aussi du régime poutinien, que tout recul en Ukraine ne peut qu’ébranler dans ses fondements, et du régime du PCC, qui sous sa façade est rongé par l’impasse économique, la pression du mécontentement populaire et des luttes de factions qui ont notamment causé le retard, de plusieurs mois, de l’actuel « 3° plenum ».

Il y a plus encore : l’intervention du facteur des prévisions démographiques comme élément direct de crise politique en Chine confirme que les faits biogéographiques globaux sont désormais des opérateurs directs non seulement dans la crise globale en général, mais dans les affrontements sociaux et les crises politiques. A ce sujet, il faut préciser un paradoxe français tout à fait momentané : les variations de la pression atmosphérique, tout à fait anormales et qui confirment non seulement le réchauffement, mais l’effondrement climatique depuis 2023 ; mais, en France, ceci s’est traduit par des températures normales (qui passent donc pour froides !) et des précipitations continues ces derniers mois. La France, sauf la frange méditerranéenne et catalane, ayant été pour l’instant épargnée par les canicules effroyables cette année, la crise climatique a été, bien à tort, moins présente dans les esprits durant la séquence ouverte par la dissolution.

L’instabilité sociale, politique et climatique rend l’alignement des camps de la prochaine guerre incertain et comporte surtout la capacité pour l’humanité, pour les larges masses qui n’ont aucun intérêt à la guerre, de l’empêcher, non par du « pacifisme », mais par l’intervention active dans les crises politiques, pour les dénouer démocratiquement. Cette intervention active prendra des formes militaires, ne nous le cachons pas : l’Ukraine annonce le théâtre du siècle, sa victoire conduisant seule à la paix.

Cette intervention active appelle conscience et organisation, et saisie des questions militaires elles-mêmes. La revue Adresses. Internationalisme et Démocratie, a ici un rôle à jouer en combinaison avec l’analyse de l’impérialisme et des impérialismes contemporains (voir, entre autres, l’article d’Ashley Smith dans le n° de juin).

La résistance ukrainienne à l’Est de l’Europe, et, à l’Ouest, la « pression populaire », pour reprendre cette expression clef lancée par Sophie Binet en France, mais aussi en Grande-Bretagne, ont dans ce cadre un rôle central à jouer, ensemble.

C’est cette intervention, celle des larges masses, celle du prolétariat, celle de la démocratie, qui peut garantir que le pire sera évité et que l’humanité pourra s’occuper d’elle-même et du monde vivant.

VP, le 17/07/2024.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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