Angleterre : que se passe-t-il ?

Par aplutsoc2 le 7 août 2024

Le 29 juillet dernier, un horrible crime se produisait à Southport : un jeune homme attaquait au couteau les élèves d’une école de danse, tuant trois fillettes. Immédiatement, des messages coordonnés déferlaient sur les réseaux sociaux, notamment Instagram et Tik Tok, prétendant que le criminel était un musulman migrant et appelant à réagir pour « sauver nos enfants » des envahisseurs assassins. En fait, l’auteur des faits est un jeune ruandais de nationalité britannique – galloise -, chrétien et même enfant de chœur, atteint de troubles autistiques et possiblement marqué, à travers sa famille, par le trauma du génocide de 1994.

Une fois la vague de délire lancée, le rappel des faits n’avait plus aucun effet sur des hordes racistes qui se sont mises à déferler, à Southport puis dans plusieurs localités, quelques dizaines de milliers en tout, très bruyants et voyants (et, il faut le dire, pas jolis jolis !).

De manière coordonnée, à la fois bien organisée et fluctuante, des centres d’accueil de réfugiés et des cabinets d’avocats, dont les adresses réelles ou parfois imaginaires ont été données sur les réseaux sociaux, ont été attaqués ou menacés.

Mais en réalité, le point de départ de cette vague n’a pas été le crime du 29 juillet, ou plus exactement le mensonge de masse à propos de ce crime. Le point de départ se situe deux jours avant, le 27 juillet, dans une « célébration patriotique » à Londres, à une date choisie pour défier une gay pride, ou Stephen Yaxley-Lennon, connu sous le surnom de Tommy Robinson, a harangué quelques 20 000 partisans, suivi par un demi-million sur le net, appelant à passer maintenant à l’action contre les musulmans et les trans, et contre les « musulmans pédophiles » (utilisant ici une affaire de réseau de prostitution de mineurs tenue par la mafia pakistano-londonienne).

Stephen Yaxley-Lennon aka Tommy Robinson.

Dans la mesure où les discours tenus lors de ce rassemblement avaient une cohérence politique, ce fut pour se lier au score du Reform Party de Nigel Farrage aux législatives du 8 juin dernier (14,3%, 5 sièges), qui se dit populiste, brexiter, anti-immigrés et pro-Poutine, qui a siphonné l’électorat conservateur. Robinson a déclaré que Farrage avait eu un « empêchement » pour participer au rassemblement. De fait, celui-ci est apparu comme un appel à « transformer l’essai » et à s’appuyer sur le score de Farrage pour constituer des groupes d’action et des groupes de combat raciste dans tout le pays, en tout cas dans la vieille Angleterre.

Et c’est bien cela qui s’est produit les jours suivants à partir du fake monté en manipulant l’émotion produite par le crime de Southport. Procédé que nous avons aussi connu en France, à Romans et auparavant à Annecy, mais qui s’est déchainé ici à bien plus grande échelle. Farrage l’a cautionné et appuyé.

Simultanément, Robinson était arrêté pour menaces terroristes le 28 juillet et devait comparaitre le 29, jour du démarrage de la provocation organisée à propos de Southport, pour avoir produit un film, diffusé le 27 sur écran géant au rassemblement de Londres, accusant un jeune réfugié syrien de viols, de manière totalement calomnieuse et fausse. Il a disparu depuis le 29, mais joue un rôle clef sur les réseaux sociaux. Elon Musk, propriétaire de « x » ex-twitter, interpellé sur les facilités qu’il y offre à ce type de bandits (Robinson a pu y revenir fin 2023 après en avoir été exclu) a déclaré que de toute façon, on va vers la « guerre civile ».

La « guerre civile » que veulent ces gars (les filles sont rares), qui brandissaient aussi des portraits de Trump, ce sont les « blancs » contre les « non-blancs ».

Yaxley-Lennon alias Robinson est un personnage de la pègre, ouvertement nazi, qui a séjourné à plusieurs reprises en Russie ces dernières années, où il a rencontré les hommes d’un oligarque clef parmi les idéologues poutiniens, Constantin Malofeiev, et pris la parole à un meeting du « parti libertarien russe » (photo).

Selon les autorités britanniques, les fakes lancés de manière professionnelle et industrielle le 29 juillet sur et à partir de l’affaire de Southport l’ont été depuis des centres basés dans une « puissance étrangère ».

Ce qui se passe en Angleterre n’est donc pas spontané. Il s’agit d’une provocation de masse, dont l’origine est l’Etat russe, dont les opérateurs sont les fascistes britanniques et dont la masse de manœuvre est fournie par les « hooligans » et des milieux prolétariens destructurés et racistes.

Une parenthèse franco-française s’impose ici. Sur les réseaux sociaux, plusieurs responsables LFI, n’envisageant jamais le rôle des réseaux poutiniens, expliquent, avec l’oreille favorable des milieux habitués de la gauche radicale, que l’on a un surgissement de forces élémentaires « nazies » qui correspondraient, en France, à ce que l’on a récemment appelé (Ruffin) le « peuple des bourgs » ou encore « la ruralité » : les « blancs » des zones désindustrialisées, en mal de services publics – les Gilets jaunes, en fait !

En 2017 J.L. Mélenchon avait une expression pour parler d’eux, qui vaut ce qu’elle vaut mais qui voulait rassembler : les « fâchés pas fachos ». Cette expression est aujourd’hui récusée par ses partisans, qui prétendent que seul le « peuple des bourgs » a un problème, à savoir qu’il est (congénitalement ?) raciste (Antoine Léaument a expliqué cela explicitement), qu’il en veut au « peuple des tours », que les fachés sont bien des fachos, par essence, et qu’il est donc hors de question de réunir les exploités comme y appelle notamment Ruffin, lui-même déjà traité de raciste dans les dérapages verbaux permanents de certains milieux « insoumis ».

Livrer le prolétariat aux racistes et aux fascistes, tel est le fond de ce délire de division, qui ne permet pas de combattre le racisme et le fascisme. Les combattre exige de les comprendre. En Angleterre, ce ne sont pas des masses immenses, mais c’est une force de frappe de dizaines de milliers, et leur structuration est internationale même s’ils se disent « patriotes » : elle réfère à Trump et à Poutine. Ce que ne peuvent comprendre nos « insoumis », eux-aussi en proie à des effluves de mêmes origines …

Pourquoi cette provocation de masse, maintenant ? Pour l’axe Poutine/Trump, l’échec du RN a accéder au pouvoir en France le 7 juillet dernier s’est ajouté à la victoire, massive en sièges, du Labour party en Grande-Bretagne. Il faut en neutraliser les effets en déstabilisant par la droite le pays, avec en ligne de mire la paralysie des aides à l’Ukraine et la poursuite du massacre à Gaza (massacre dont « Robinson » est un partisan).

Le premier ministre Ken Starmer a certes fait de mâles déclaration, mais sa capacité à faire face à de telles opérations peut être interrogée. En fait, c’est avant tout le syndicalisme britannique qui est interpellé et devrait se sentir concerné, alors que Starmer a tout fait pour éloigner le Labour de l’action syndicale.

Pour l’heure, à la différence d’ailleurs du rôle joué en France dans la dernière période notamment par la CGT et la FSU, les Trade Unions sont assez passifs, « sous-traitant » en donnant leur signature et quelque soutien la lutte antifasciste à des réseaux spécialisés, dont le principal est Stand Up To Racism (STUR). Contrôlée par l’organisation d’extrême-gauche Socialist Workers Party, l’un des bastions du campisme de l’ancien monde, la connexion poutinienne lui échappe donc totalement, le racisme et le fascisme, ramenés à l’islamophobie, sont perçus par lui comme consubstantiels à certains milieux pauvres britanniques, et la thématique « palestinienne » est pour eux obligatoire dans toute action « antifasciste ». Ils sont complétement débordés et impuissants dans le moment présent, et n’ont du leur salut qu’à la protection policière, dès le 27 juillet à Londres.

Le 4 aout dernier, 200 manifestants antiracistes ont dû se laisser protéger de la police à Manvers, contre 1000 racistes qui ont ensuite incendié le centre de demandeurs d’asile, alors qu’au même moment, au centre de Sheffield (Manvers en est la grande banlieue), le gros des « antifas », environ 400, s’était retrouvés face à une vingtaine de fascistes. Il est évident qu’il aurait mieux valu qu’ils se trouvent à Manvers, mais aussi qu’il faut s’organiser techniquement pour tenir la rue et isoler des groupes de fascistes pour les intimider, en relation avec l’autodéfense des victimes désignées, migrants, musulmans, asiatiques, LGBT.

Un tournant vers une action unitaire et combative est parfaitement possible et nécessaire, la jeunesse et le mouvement ouvrier en sont capables, mais la responsabilité des syndicats est engagée : ce tournant ne plaira pas au gouvernement Starmer, et pourtant c’est seulement comme cela qu’il sera, malgré lui, protégé de la provocation poutino-fasciste.

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*