Bangladesh : cela s’appelle révolution.

Par aplutsoc2 le 5 août 2024

Ce lundi 5 août 2024, à la suite d’un appel à « en finir » lancé hier par les organisations étudiantes et les structures apparues dans les manifestations de masse des 6 dernières semaine, ce sont plusieurs millions de manifestants qui se sont mise en marche en direction des lieux de pouvoir de la capitale, Dhaka. Dans tout le pays, y compris dans les campagnes, les manifestations ont déferlé.

L’armée, qui a tiré et tué des centaines de manifestants, qui a eu aussi 14 militaires tués, a commencé à craquer, de nombreux militaires mettant crosse en l’air, embrassant des manifestants, et parfois changeant de camp. De sorte que les généraux ont renoncé à repousser l’énorme colonne de manifestants, les premiers rangs armés de quelques fusils et de nombreux bâtons, qui ont marché sur le palais de la première ministre et cheffe de l’exécutif, Cheik Hasina.

Celle-ci, mi-journée, s’est enfuie – d’abord vers l’Inde, ensuite vers une autre destination (les rumeurs ont désigné le Royaume-Uni et la … Biélorussie !). La foule, de manière ordonnée, a « pillé », c’est-à-dire repris, des biens stockés dans les palais gouvernementaux, et s’est aussi portée sur l’Assemblée nationale, occupée par les manifestants. A Chittagong, seconde ville du pays, places et locaux municipaux et gouvernementaux sont eux aussi occupés.

Ce mouvement, par lequel la population, avec la jeunesse étudiante en pointe, a renversé le pouvoir en place, est l’aboutissement de 6 semaines de mobilisations initialement déclenchées par une loi réservant les emplois publics, soi-disant aux vétérans de la guerre d’indépendance contre le Pakistan, en 1971, ce qui voulait dire en pratique aux clans du parti au pouvoir, la Ligue Awami, devenue une organisation corrompue et réactionnaire dont les milices ont tenté de devancer armée et police et ont fait le plus de mors ces derniers jours. La répression, terrible, a d’abord fait fléchir les manifestations, mais celles-ci sont devenues directement politiques, avec un mot-d’ordre : Cheik Hasina dehors, dehors le pouvoir en place. Cette orientation centrale a rassemblé autour d’elle la masse de la population.

Cette mobilisation démocratique de la jeunesse a donc unifié le pays, et elle s’est elle-même développée sur un terrain marqué par des grèves de masse, notamment dans le textile, mais aussi les ouvrières et ouvriers agricoles des plantations de thé, tout au long des deux dernières années. Elle résonne aussi avec le mouvement paysan indien et constitue un coup très dur pour Modi et tout « l’ordre » régional. Et avec l’effritement progressif de la dictature militaire voisine au Myanmar sous les coups des guérillas des différentes nationalités rejointes par la jeunesse et par le mouvement ouvrier.

La nature politique de cette révolution, c’est la démocratie. La nature sociale de cette révolution, c’est le prolétariat : celles et ceux qui pour vivre doivent vendre leur force de travail ou s’accrocher à ce qu’il reste de communs. Le prolétariat a besoin de la démocratie, qui constitue son pouvoir. Les bangladais viennent de faire ce donc un peuple est capable : renverser le pouvoir. Aller plus loin en organisant son propre pouvoir est plus difficile.

Ici surviennent les généraux : ils ont tourné juste à temps pour que les soldats ne leur échappent pas en masse et ont proclamé un gouvernement provisoire, militaire donc, qui dit fraterniser avec le peuple mais appelle aussi au retour immédiat à « l’ordre » au nom de la reprise des activités économiques et scolaires. Au même moment, dans une conférence de presse tenue dans une chaine de télévision occupée, des représentants connus du mouvement étudiant ont appelé à un « gouvernement intérimaire » de vrais représentants de la société, et se sont opposés à un gouvernement purement militaire. Il n’est pas impossible, à l’heure où sont écrites ces lignes, que les généraux soient en train de tenter de coopter les représentants étudiants.

Aller plus loin, ne pas se faire coopter ou intégrer par les structures maintenues de l’Etat, demande l’organisation démocratique de la masse, par des comités élus dans les assemblées populaires, les quartiers, les villages et les entreprises, formant une force organisée capable d’assurer elle-même la désignation d’une assemblée assumant le pouvoir.

On le voit : les questions qu’ont été capables de résoudre les bangladais – chasser un pouvoir illégitime et répressif – et celles auxquels ils sont de ce fait confrontés : organiser la démocratie, exercer le pouvoir, garantir les intérêts populaires, sont mondiales, on les retrouve au Venezuela contre Maduro, et elles se rapprochent … en France !

Les questions démocratiques, la question du pouvoir, sont les sujets par lesquels monte et passe la vraie révolution, qui n’est pas une idée, ni un grigri, ni la propriété de révolutionnaires en titre, mais le mouvement réel obligé de notre époque.

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