Crise politique, manifestations, répression : que se passe-t-il au Venezuela ?

Après l’élection contestée de Maduro, le régime vénézuélien opère une répression sanglante des mobilisations et menace d’arrêter les principaux opposants. La pression internationale s’accentue, notamment du côté du Brésil et des Etats-Unis.

Antoine Weil

31 juillet

Ce lundi 29, le Conseil National Électoral, en charge de la tenue du scrutin et contrôlé par le régime chaviste, a déclaré Maduro vainqueur de l’élection présidentielle avec 51,2% des suffrages et une avance de 700 000 voix sur le candidat de droite Edmundo González. Un résultat annoncé sans présenter la répartition des voix dans le pays, et accompagné de nombreuses irrégularités lors du dépouillement comme de la compilation des résultats, indiquant de très probables fraudes électorales. Afin d’entériner cette victoire, Maduro a rapidement prêté serment dans la journée de lundi, pour un nouveau mandat présidentiel de 2025 à 2031.

Cette issue a fait entrer le pays dans une crise politique profonde et hautement incertaine. Depuis l’annonce de résultats contestés, des manifestations spontanées ont ainsi éclaté dans la journée de lundi et l’opposition a réuni ses partisans dans la rue mardi. Dans la nuit de mardi à mercredi, celle-ci, menée par la figure d’extrême-droite María Corina Machado, a présenté son propre décompte du scrutin. Avec 81% des suffrages recensés, son candidat Edmundo González était compté à 67% (7.119.768 votes) contre 30% (3.225.819 voix) pour Maduro. Des résultats pour lesquels il n’existe pas de contrôle indépendant, détaillés par Etat et bureaux de votes -affichant un score différent des 73,20% et 6,2 millions de voix pour Edmundo González annoncé lundi matin par l’opposition – qui n’ont pas encore été commentés par les observateurs internationaux du scrutin.

L’opposition de droite pro-impérialiste veut surfer sur la colère populaire contre la fraude électorale

Des manifestations ont éclaté dans la foulée de l’annonce des résultats, difficilement crédibles, qui arrivent au terme d’un processus électoral particulièrement vicié. Le CNE a par exemple dénoncé un prétendu piratage de la transmission des données (le vote au Venezuela est en partie électronique) puis présenté un résultat « irréversible » en ne comptant que 80% des votes dépouillés, et, surtout, refusé la publication de données ouvertes et publiques. Face à la fraude électorale, le caractère spontané des premières protestations est à souligner, alors que l’opposition de droite n’avait pas appelé à manifester ce lundi.

Dès lundi matin, des casserolades puis des manifestations ont éclatés notamment dans des zones populaires près de la capitale, à Petare, La Dolorita et dans d’autres quartiers populaires aux alentours de Caracas. Les manifestants se sont ensuite dirigés vers le cœur de la capitale, avec des affrontements aux abords du palais présidentiel de Miraflores, comme le rapporte le média La Izquierdia Diario Venezuela, membre du réseau international dont fait partie Révolution Permanente. Des rassemblements devant des zones militaires ont aussi eu lieu lundi, près de la ville de Maracay dans l’Etat d’Aragua, notamment aux abords de la base aérienne « Base Aérea El Libertador (BAEL) ».

La journée de mardi semble avoir été plus calme et moins spontanée, avec des rassemblements organisés par l’opposition pendant que le régime réunissait lui aussi ses partisans à Caracas. Alors que les classes populaires vénézueliennes sont épuisées par des années de crise économique, causée par la gestion du chavisme au pouvoir depuis 25 ans mais considérablement renforcée par les sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne contre le pays, l’opposition de droite cherche à canaliser la colère légitime contre l’autoritarisme du régime, au service de son programme ultra-libéral, d’alignement de l’économie nationale sur les intérêts de l’impérialisme.

750 arrestations, des manifestants tués, menaces d’emprisonnement des opposants : le régime choisit l’escalade répressive

Les manifestations, qui ont parfois pris un caractère émeutier, ont été durement réprimées par le régime, avec mercredi matin 278 personnes arrêtées selon l’ONG « Foro Penal », relayée par El Pais. Mardi 30 juillet, l’ONG recensait au moins 6 morts, quand ce mercredi la direction de Human Rights Watch (HRW) en Amérique latine a affirmé avoir des « rapports crédibles » affirmant que 20 personnes seraient décédés lors des manifestations. De son côté, le procureur général Tark William Saab a annoncé mardi qu’un militaire des forces armées avait été tué, et qu’au total 749 personnes ont été arrêtés, annonçant des poursuites pour « terrorisme ». Ce dernier a en effet mis en scène la répression sur son compte X, publiant des photos de nombreux manifestants arrêtés.

Le régime semble avoir fait le choix de la tension maximale, pour étouffer au plus vite la contestation et démontrer la solidité de son appareil répressif. Outre le déploiement de forces de police, plusieurs témoignages rapportent l’intervention de groupes civils armés œuvrant aux côtés des forces de répression, comme le montrent ces images publiées par La Izquierdia Diario Venezuela. Le pouvoir de Maduro fait en effet régulièrement appel à des groupes de ce type.

Dans la journée de mardi, Freddy Superlano, un des dirigeants de « Voluntad Popular » – le parti de Leopoldo López, figure de l’aile dure de l’opposition et du leader de la tentative de coup d’Etat de 2019 Juan Guaidó – qui fait partie de l’équipe de campagne Edmundo González a été arrêté à son domicile. Depuis, son parti fait état d’actes de tortures. Lundi déjà, l’ambassade d’Argentine avait dénoncé une tentative d’incursions de forces vénézuéliennes, afin d’arrêter des responsables de l’opposition présents à l’intérieur. Des figures centrales du régime encouragent cette répression et annoncent la volonté de la durcir encore. Jorge Rodríguez, le Président de l’Assemblée nationale, a ainsi déclaré mardi « María Corina Machado et Edmundo González doivent être emprisonnés », les présentant comme les chefs d’une « conspiration fasciste ». Dans le même sens, le vice-président du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) chaviste – dont Maduro est le président – a menacé de nouvelles arrestations contre 10 chefs de l’opposition, menaçant : « Nous avons les conversations et les communications, quel que soit votre nom, quel que soit votre nom de famille, vous irez en prison. »

Soucieux de démentir les doutes quant à la loyauté des forces armées, le régime a aussi mis en scène la mobilisation de ces dernières. Mardi 29 juillet, en fin de matinée heure locale, le ministre de la Défense est ainsi apparu au côté de militaires pour dénoncer « un coup d’Etat » menés par des secteurs « fascistes appuyés par l’impérialisme nord-américain », se déclarant prêt à vaincre la menace. Un signal d’autant plus important que l’appareil militaire joue historiquement un rôle clé dans le fonctionnement du chavisme, qui se définit comme un mouvement civique-militaire. L’armée a des prérogatives qui dépassent le cadre de la défense ou de la répression, allant jusqu’à l’organisation de missions sociales, la gestion des entreprises d’Etat et, de manière générale, un rôle de premier plan dans la bureaucratie et l’appareil d’État.

Si l’opposition de droite est emmenée par une figure d’extrême-droite, María Corina Machado, proche de Milei en Argentine ou de Vox en Espagne, et qui a appelé ouvertement à une intervention militaire étrangère en 2019 et obéira sans sourciller aux directives américaines si elle conquiert le pouvoir, la dénonciation d’une menace « fasciste » imminente sert au régime à accroitre la tension et justifier la répression sanglante des manifestations contre la fraude électorale. En dramatisant les enjeux de sa défaite, il est également possible que le régime espère remobiliser sa base sociale historique, tandis que l’absence de résultats fiables ne permet pas de mesurer le niveau de soutien à Maduro.

Lire aussi : Elections au Venezuela : Maduro et le chavisme peuvent-ils perdre le pouvoir ?

La pression internationale s’accentue

Dans ce contexte de contestation et de répression, l’attitude de la communauté internationale et de l’impérialisme sera décisive. Alors que le Venezuela possède les principales réserves de pétrole au monde, et que la crise politique et sociale du pays a conduit au départ 6,5 millions de vénézuéliens en direction d’autres pays d’Amérique latine, d’après la Inter-Agency Coordination Platform for Refugees and Migrants from Venezuela, la situation est suivie de près par les pays voisins et les grandes puissances. Or le degré d’isolement international du chavisme et les pressions des soutiens de l’opposition de droite seront des facteurs déterminants de l’évolution de la crise.

Pour l’heure, les réactions évoluent entre trois positions. Les alliés du Venezuela, notamment la Bolivie, le Nicaragua, Cuba, le Honduras, la Chine, la Russie ou l’Iran reconnaissent la victoire de Maduro. La droite latino-américaine, emmenée notamment par l’Argentine et le Pérou a rejeté le processus électoral, et le Pérou a même reconnu la victoire d’Edmundo Gonzalez. Une annonce hautement hypocrite, alors que le gouvernement péruvien est au pouvoir suite à un coup d’Etat, suivi de mois de répression sanglante de manifestations. L’Organisation des Etats américains (OEA), organe subordonné aux intérêts de l’impérialisme étasunien, a dénoncé mardi une manipulation, et demandé à Maduro « d’accepter sa défaite électorale », avant même que l’opposition n’ait présenté ses résultats alternatifs. L’organisme doit se réunir mercredi au sujet de la situation au Venezuela.

En retour, le Venezuela a retiré son personnel diplomatique d’Argentine, du Costa Rica, du Pérou, du Panama, de la République dominicaine et de l’Uruguay. Il a également rajouté le Chili, dirigé par le centre-gauche de Gabriel Boric, qui a émis des doutes sur le résultat du scrutin tôt ce lundi. L’Etat vénézuélien a par la suite rompu ses relations diplomatiques avec le Pérou. Une montée rapide en tensions qui illustre le caractère inflammable de la situation.

Dans ce paysage régional polarisé, le voisin colombien, le Brésil, principale puissance régionale, et le Mexique, tous trois gouvernés par le centre-gauche, demandent que le gouvernement publie rapidement les résultats. Si le dirigeant mexicain Manuel Lopez Obrador a demandé à ce que Maduro apporte les preuves de sa victoire, il a dénoncé « l’ingérence » de l’OEA. Le dirigeant colombien Gustavo Petro s’est lui fait plus pressant. Ce mercredi dans un communiqué sur X il a demandé à Maduro « un contrôle transparent avec décompte des voix, procès-verbaux et surveillance par toutes les forces politiques de votre pays et une surveillance internationale professionnelle » proposant également d’appuyer « un accord entre le gouvernement et l’opposition qui permette de respecter au maximum la force qui a perdu les élections » qui soit « soumis au Conseil de sécurité des Nations unies sous la forme d’une déclaration unilatérale d’État. » Aussi, mardi en fin de journée, Joe Biden et Lula ont publié un communiqué commun appelant les autorités électorales vénézuéliennes à « divulguer immédiatement des données complètes, transparentes et détaillées sur le vote dans les bureaux de vote ». Le crédit que ces acteurs donneront aux résultats alternatifs communiqués par l’opposition sera ainsi décisif. A cet égard, la Fondation Carter, indépendante et souvent revendiquée par le chavisme, a déclaré que l’élection présidentielle « n’a pas respecté les paramètres et les normes internationales en matière d’intégrité électorale et ne peut être considérée comme démocratique ».

Le fait que des figures du centre-gauche latino-américain questionnent le processus électoral, de même que le Brésil parle d’une même voix avec les Etats-Unis, fragilise la position de Maduro et sa stratégie de tensions et de dramatisation des enjeux. La situation semble en effet différente de lors de la tentative de coup d’Etat de 2019 de Guaidó, appuyée par les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et de nombreux pays de la région, à l’image du Brésil de Bolsonaro. Désormais, l’impérialisme semble privilégier une solution négociée entre les acteurs, dans une séquence où la guerre en Ukraine a renforcé l’intérêt pour le pétrole vénézuélien et que la coopération avec la Chine – qui détient une grande partie de la dette vénézuélienne – et la Russie s’est renforcée. Comme nous l’écrivions peu avant le scrutin, des navires militaires russes ont accosté début juillet dans des ports vénézuéliens pour quatre jours de « coopération militaro-technique » entre Caracas et Moscou, après l’arrivée d’une flotte russe à Cuba à la mi-juin. Dans la foulée, le Commandement Sud des USA a ordonné la mobilisation du sous-marin à propulsion nucléaire USS Helena vers Guantánamo. De cette façon, la proximité avec la Chine et la Russie rend difficile une destabilisation étrangère ouverte du Venezuela.

L’avenir du pays dépendra donc en grande partie de la loyauté des forces armées à Maduro et des arbitrages des puissances régionales et mondiales. Tandis que le chavisme ne partira pas du pouvoir sans garanties sur sa survie judiciaire – nombre de dirigeants font l’objet de poursuites des Etats-Unis, y compris Maduro lui même -, l’opposition de droite de María Corina Machado est consciente de ce contexte international et compte utiliser les mobilisations comme un levier pour négocier avec les Etats-Unis, en espérant un retour au pouvoir de Trump en janvier 2025 pour bénéficier d’un soutien inconditionnel.

Entre un régime autoritaire, qui a organisé la fraude électorale et maintient les travailleurs vénézuéliens sous la domination de l’armée, de la bureaucratie aux mains des entreprises d’Etat et de multinationales étrangères qui ne jouissent plus d’aucune entraves pour exploiter la classe ouvrière, et d’une opposition de droite radicale, au programme ultra-libéral de soumission aux intérêts des Etats-Unis, la seule issue progressiste à la crise pourra venir d’une mobilisation indépendante des travailleurs et de la jeunesse vénézuélienne. Comme le déclare la Ligue des Travailleurs pour le Socialisme (LTS), organisation soeur de Révolution Permanente au Venezuela :

« La situation que nous connaissons actuellement est l’expression de l’impasse dans laquelle Maduro et l’opposition de droite ont conduit les travailleurs. Nous avons clairement affirmé qu’aucun des candidats ne défendait les intérêts de la classe ouvrière et des secteurs populaires, mais que, au contraire, ils convergeaient dans la poursuite et l’approfondissement des politiques capitalistes et des mesures d’austérité contre les travailleurs.

Il faut en finir avec les tricheries et les fraudes, ainsi qu’avec la répression policière et para-policière. Ce n’est que par la mobilisation indépendante des travailleurs et du peuple que nous pourrons lutter pour les droits démocratiques du peuple et de la classe ouvrière, ainsi que pour de meilleures conditions de vie, pour la liberté des travailleurs emprisonnés, contre les mesures d’austérité et les augmentations des prix, qu’ils viennent de l’un ou l’autre des camps qui s’opposent, en unissant les secteurs qui luttent dans le cadre d’une perspective propre aux travailleurs. »

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