Les JO, les premières médailles d’or, la scénographie inaugurale, les polémiques sur la scénographie inaugurale … tout cela signifie-t-il que la crise est passée, du fait que Macron a obtenu sa « trêve », grâce au long délai de mise en avant d’une première ministre par les partis du NFP, et grâce à leur consentement unanime, immédiat, et discret, à l’auto-mise en congé de l’Assemblée nationale qui, aux termes de la constitution elle-même, aurait pourtant pu tenir sa session jusqu’au 2 août ?
Tel ne semble pas être l’avis de la Commission européenne, qui, le jour même de l’ouverture des JO, vendredi 26 juillet, lançait une « procédure pour déficits publics excessifs » à l’encontre de la France, aux côtés de l’Italie, la Belgique, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et Malte. Dette « publique », « déficits », budgétaire, de la balance commerciale, de la balance des paiements, mais aussi nature des investissements non orientés vers la production de marchandises, aggravée par la crise climatique de la production agricole, sont dans la ligne de mire d’un signal capitaliste d’alerte explicitement lié à la crise politique, et avec elle au « moral des chefs d’entreprise », qui aurait sans doute été moins mauvais en cas d’issue provisoire à la crise de régime sous la forme d’un exécutif Macron/Bardella …
Ce signal veut dire : exigence de « discipline budgétaire », de prétendues « économies » contre les services publics, la Sécurité sociale et, à nouveau, les retraites, sans oublier ce qu’il reste d’Assurance chômage, pour éviter que la « stabilité de la zone euro » ne soit frappée au cœur, à savoir la présence de la France avec l’Allemagne dans cette zone monétaire. Cela alors que les décès faute d’accès aux urgences, au droit le plus élémentaire aux soins, se multiplient des Pyrénées Orientales aux Alpes du Sud en passant par la Seine-Saint-Denis, pour ne rien dire de Mayotte ou de la Martinique …
Dépassant Emmanuel Macron lui-même dans le déni ostensible, le ministre « démissionnaire » de l’Economie Bruno Le Maire proclame, lui, que la France « superforme » (sic), mais qu’il faut bien entendu « poursuivre les réformes » et donc éviter à tout prix un gouvernement susceptible de refléter … le résultat des élections législatives !
La prolongation de l’actuel gouvernement par le président Macron est plus qu’un formidable déni de démocratie : c’est un « état d’exception », au sens de Carl Schmitt (théoricien libéral-conservateur et juriste du régime hitlérien). La suspension de toute activité politique, enjointe au pays par Emmanuel Macron – et facilitée par l’auto-mise en congé unanime de l’Assemblée nationale ! – ne vaut pas pour Emmanuel Macron. Il vient, seul, d’opérer un virage diplomatique en soutenant à 100% le Maroc sur la question du Sahara occidental. Il procède à des nominations nombreuses et stratégiques dans tous les secteurs de l’Etat. Il réprime en Kanaky. Son ministre « démissionnaire » Darmanin ne rêve que de coller au mur « mouvance de l’ultra-gauche » et autres « écoterroristes », alors que tout indique que les sabotages visant les réseaux ferroviaires et la fibre optique sont l’œuvre des organes d’un Etat, sans doute satisfait d’une telle réaction gouvernementale. Sa ministre « démissionnaire » Belloubet compte bien appliquer le « choc des savoir », rien que le « choc des savoirs » et tout le « choc des savoirs », à la rentrée scolaire, dans un mois. C’est le lundi 9 juillet, lendemain de la défaite de l’exécutif aux législatives, que ses ministres « démissionnaires » du Travail et de l’Agriculture publiaient leur décret, demandé et écrit par les patrons RN, permettant de faire périr de chaleur les vendangeurs. Au passage, c’est pourtant la Cour des Comptes elle-même qui relève la gabegie des dépenses somptuaires et des frais de bouche de … l’Elysée.
Tout cela justifie bien sûr le courrier d’alerte adressé au Conseil d’Etat par le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, s’interrogeant sur sa « mobilisation des moyens en conséquence afin d’assurer un contrôle en temps réel des décisions prises » par l’exécutif, et lui demandant son « appréciation en droit » sur la possibilité pour les partis politiques de le saisir sur les abus de pouvoir. L’on n’a pas connaissance à ce jour de réponse du dit Conseil d’Etat …
Justifiée aussi, la saisine du Conseil constitutionnel par les députés LFI, sur la validité de l’élection de Mme Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale par des ministres « démissionnaires » en exercice siégeant comme députés. Le Conseil constitutionnel vient de rejeter les requêtes au motif que la constitution et les lois organiques le concernant ne lui donnent pas compétence sur la question !
Fort lâchement, cette digne institution de la V° République ignore la loi organique de 2009 et l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui, avec l’article 23 de la constitution de 1958, auraient facilement pu conduire à promulguer l’inconstitutionnalité des faits allégués. En écrivant qu’il ne saurait « être appelé à se prononcer dans d’autres cas que ceux qui sont expressément prévus par la Constitution ou la loi organique », il signale pourtant involontairement (?) que l’on est sorti de la « constitution » proprement dite, et donc entré dans un état d’exception où l’arbitraire pourrait ne plus avoir de bornes …
Tout passage du gouvernement « démissionnaire » à un autre gouvernement que celui du NFP serait une aggravation de l’état d’exception, le contraire de tout retour à une quelconque normalité.
Au dire du document de référence sur ce type de sujets, qui, dans notre régime, est la page 2 du Canard Enchaîné, le casting de premiers ministrables envisagés par Macron pour « après les jeux » – ce qui peut vouloir dire : après les JO qui doivent se terminer le 11 août, ou après les Jeux paralympiques qui doivent se terminer le 8 septembre ! – comporterait les noms suivants : le grand patron François Villeroy de Galhau, directeur de la Banque de France, l’ancienne ministre de Sarkozy et présidente du FMI, Christine Lagarde, ou encore le gardien du temple de « l’orthodoxie budgétaire » qu’est l’ex-PS strauss-kahnien Didier Migaud, président, depuis Sarkozy, de diverses institutions dévolues à cette « orthodoxie ». Cela dans la rubrique « gouvernement de techniciens » qui bénéficierait du soutien parlementaire de LR et de Laurent Wauquiez.
Sa mission première serait un budget d’austérité draconien d’ici octobre, pour répondre aux injonctions de la Commission européenne. Telle ne peut être, de toute façon, que la mission d’un gouvernement voulu par Macron, au mépris désormais des résultats électoraux.
Comme cela conduit droit dans le mur de l’explosion sociale, le soutien, avec ou sans participation, de tout ou partie du NFP, à savoir les courants du PS s’opposant à Olivier Faure sur sa droite (Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen, 30,51% des mandats au dernier congrès du PS, et Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, 20,34%), avec derrière eux les ombres de François Hollande, Anne Hidalgo, Carole Delga, et de secteurs d’EELV, serait utile à Macron. Outre l’explosion du NFP, une telle opération pourrait casser le PS ou en tout cas le replonger dans la dislocation marginalisante : Macron d’un côté, Mélenchon de l’autre, et bien sûr le RN, en tireraient bénéfice. Mais des raisons politiques de fond, ancrées dans les rapports sociaux, la rendent peu probable.
D’abord parce qu’elle n’empêcherait en rien la polarisation sociale et la poussée vers l’affrontement social. Ensuite parce que le NFP (qui n’est pas la NUPES) a une base dans laquelle il est beaucoup plus solide et moins hétérogène que ne le clament les médias, les macroniens et la droite, non pas seulement par mauvaise foi mais aussi parce qu’ils ne peuvent pas comprendre son rôle, celui des réseaux militants, de l’assise sociale et électorale large de « la gauche », qui ne donne plus de chèques en blancs aux dirigeants et veut les contrôler, et qui est susceptible de regrouper des secteurs sociaux plus larges qui, électoralement, votent RN ou s’abstiennent.
LFI est l’épouvantail, stigmatisé en des termes allant jusqu’à l’outrance la plus délirante, de tous ceux qui voudraient voir éclater le NFP et interdire en France un gouvernement légitime. L’apparent paradoxe est que leur stratégie fait le jeu de celle de Mélenchon, qui voudrait aller tout droit à une confrontation bonapartiste entre Marine Le Pen et lui à des élections présidentielles en 2027 ou avant, en renvoyant à l’enfer de la compromission « sociale-libérale » tout ce qui n’est pas lui dans le NFP, et au risque probant de la faire gagner.
C’est bien, principalement à travers la médiation des couches militantes, la base sociale prolétarienne, c’est-à-dire le salariat, avec les privés d’emplois, la jeunesse et les retraités, qui a déterminé l’obligation politique des dirigeants des partis à former le NFP puis qui l’a protégé des crises produites par eux, et qui, ainsi, a évité au pays le gouvernement Macron-Bardella. L’état d’exception d’une « trêve » sans bornes temporelles cherche à l’émietter, mais il n’y parviendra pas.
La place des syndicats, singulièrement de la CGT et de la FSU, est ici décisive. Appelant à l’unité, exigeant un gouvernement NFP, appuyant Lucie Castets, leurs directions ont acquis une place politique autonome, notamment Sophie Binet se démarquant frontalement de la candidature Verzeletti montée sur Paris par LFI et le POI, et reliant le RN et Poutine lors de son discours place de la République avant le second tour des législatives.
Ceci n’est en rien contradictoire, au contraire, à l’indépendance syndicale, C’est au contraire le choix de la direction de FO, avec l’appui du POI en même temps gardien des clefs à LFI, de refuser de rencontrer Lucie Castets, qui constitue une prise de position politique de fait de la direction de cette confédération en faveur du pouvoir en place, attentatoire à l’indépendance syndicale.
De même que la diabolisation de LFI par les médias, Macron et la droite, fait le jeu de Mélenchon, de même leurs affirmations sur le renforcement hégémonique de cette organisation ne correspond pas à la réalité. La réalisation du NFP n’était pas sa ligne. François Ruffin a joué un rôle pivot dans l’ouverture de la brèche qui l’a rendu possible, au soir de la dissolution.
Contraint à l’unité, l’appareil, ou plutôt la camarilla centrale de LFI (le groupe Mélenchon-Chikirou-Bompard-Panot-Guetté et le POI) a décidé la purge, et a échoué politiquement, provoquant un début d’émergence de ce que la création de LFI voulait interdire à jamais : l’amorce d’un courant réformiste de gauche authentique avec « l’Après », qui, au cœur de l’été, réunit des centaines de militants en visio, reçoit des milliers de contacts, et commence à voir se structurer des groupes départementaux, comme dans les Pyrénées Orientales avec la participation de nos camarades Gislaine Zaparty et Robert Duguet.
Les contradictions dans LFI vont continuer à se développer, comme l’indique la circulation du texte Construire la gauche de rupture, signé Durand, Keucheyan et Palombarini, exemplaire de ces contradictions. Les auteurs, férus de « sciences sociales », substituent à la compréhension des réalités sociales en termes de classes une division électoraliste en quatre « blocs », RN, macronien-LR, « social-libéral » et « gauche de rupture » avec LFI en son cœur, et opposent les trois premiers, tous asservis aux « dogmes libéraux », au seul quatrième !
C’est là le monde enchanté de l’idéologie pure, dont un Mélenchon use aussi bien, mais – car il y a un mais – ils veulent « construire » ladite « gauche de rupture », en créant des « règles démocratiques de contrôle », en acceptant l’ancrage local, et, sacrilège, en construisant des « formes de légitimité qui ne passent plus seulement par le contact direct avec Jean-Luc Mélenchon et son entourage immédiat ». Diantre ! Quelle audace !
La réalité fracassera aussi ces dernières illusions : la majorité sociale de ce pays va se heurter avec violence à la politique voulue par Macron et appuyée par le RN et la droite, et ce heurt met en cause le régime de la V° République. Or, c’est au service de celui-ci, parce qu’au service du projet bonapartiste populiste de J.L. Mélenchon, que LFI a été fondé et construite. Mélenchon et sa garde prétorienne du POI combattront donc la démocratie, toute « gauche de rupture » ou réformisme de gauche réel, et protégeront, comme ils le font déjà, le régime de la V° République. D’ores et déjà, LFI s’est objectivement située à la droite du PS par rapport au mouvement réel imposant l’unité et cherchant à imposer à Macron de se soumettre ou de se démettre.
Oui, à la droite du PS. Comprendre cela exige de raisonner en termes réels de classe et pas en termes idéologiques. Du PS, ou plus précisément de sa direction actuelle, motivée par la volonté (nullement révolutionnaire bien entendu) de reprendre de la surface électorale et d’aller au gouvernement. Olivier Faure a de ce fait joué un rôle clef contre l’opération Huguette Bellot, candidate à la fois macro-compatible et poutino-compatible, puis dans la recherche et la « découverte », sans nul doute éclairée par la CGT et la FSU, de Lucie Castets, qui n’est, elle, ni l’un ni l’autre, et que LFI ne pouvait récuser pour allonger le délai offert à Macron. Cependant, ce délai avait déjà été suffisamment long pour que Macron puisse prolonger indéfiniment l’état d’exception et refuser ouvertement toute acceptation des résultats électoraux.
Dans cette situation, Lucie Castets acquiert de fait à son tour une existence politique propre ayant sa dynamique. Décidemment, le temps est aux femmes, comme alternatives aux chefs à poigne bonapartistes ! C’est là un signe de ce qui mûrit : ne nous étonnons pas qu’en ce cœur de l’été des JO et du réchauffement climatique débridé, les prolétaires semblent attentistes. Ils murissent, ils apprennent. Aidons-les à faire que la prochaine étape ne soit pas à nouveau une élection présidentielle entre chefs à poigne, mais soit la poussée démocratique d’en bas, la construction de l’alternative constituante à l’Etat en place : la tendance de fond, la tendance réelle, c’est celle-là, et c’est elle qui est révolutionnaire !
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