Les détails sont embrouillés mais la réponse à cette question est simple, alors donnons-là tout de suite : on en est nulle part. Pour deux raisons.
La première : le gouvernement minoritaire Barnier, défiant toute démocratie, nommé par Macron et dont la durée est garantie par le RN, c’est le gouvernement de la poursuite des attaques contre salaires, retraites et services publics. Alors que son « socle commun », ainsi qu’il est convenu d’appeler sa vraie-fausse majorité relative parlementaire, en est à vouloir coller trois « journées de carence » et une baisse immédiate de 10% du salaire aux fonctionnaires malades ou accidentés, il faut vraiment être un dirigeant syndical voulant faire croire au « dialogue social » pour affabuler que l’on pourrait négocier dans ce cadre pour revenir sur le contenu de la loi Macron des 64 ans !
De tels dirigeants existent : Frédéric Souillot, secrétaire confédéral de FO, a prétendu, pour satisfaire les 2000 militants réunis dans le meeting national de FO à la Mutualité ce samedi 26 octobre, qui scandaient « abrogation », que les négociations sur « l’emploi des seniors » permettraient de remettre sur la table le départ avec 37,5 annuités !
En réalité, ces « négociations », ainsi que celles sur l’Assurance chômage, n’ont rien à voir avec des « libres négociations » patronat-syndicats : annoncées par Barnier dans sa déclaration de politique générale le 1° octobre, elles se situent totalement dans le cadre de l’application de la loi Macron comportant les 64 ans, les 43 annuités et la fin de régimes dits spéciaux.
Voila la seconde raison pour laquelle on en est nulle part pour l’abrogation de la réforme des retraites : nos organisations syndicales n’ont pas poursuivi, depuis la rentrée, dans la dynamique de défense de la démocratie qui avait permis l’existence et la majorité relative du Nouveau Front Populaire, mais s’en sont tenues – pour ce qui est des plus combatives en principe, CGT, FSU et Solidaires – à une « journée d’action » classique, le 1° octobre, perçue comme inutile avant même d’avoir eu lieu, tout en participant aux « négociations » voulues par Barnier.
Bref : là où un appel commun à affronter le gouvernement Barnier pour gagner et donc le battre, permettrait la remobilisation, il n’y a rien – c’est là un problème politique.
Dans ces conditions il faut être clairs : l’abrogation ne viendra pas du jeu parlementaire.
Deux types de majorité parlementaire sont en théorie possibles pour l’obtenir : l’une formée du NFP et du RN, l’autre formée du NFP et de secteurs ci-devant macroniens et LR faisant défection. Mais la possibilité de tels développements voudrait d’abord dire que c’est la censure et donc la chute du gouvernement Barnier qui se produirait. Abrogation de la réforme des retraites et chute du gouvernement Barnier sont nécessairement liés. Et cette combinaison parlementaire pourrait vraiment se produire en cas d’affrontement social, même si elle n’est pas totalement impossible « par accident » étant donné la crise de régime.
Pour l’heure, le RN est le protecteur n°1 de ce gouvernement antidémocratique. Etant donné que les quatre groupes NFP n’ont pas formé un groupe commun – comme l’avaient proposé les députés de l’Après, apparentés au groupe écologiste – c’est le groupe RN qui, étant le plus gros, bénéficie de la première niche parlementaire, ce jeudi 31 octobre.
D’autre part, comme, seuls à l’avoir remarqué, nous l’avons signalé, Mathilde Panot n’a jamais déposé de proposition de loi abrogeant la loi retraites comme elle l’avait fait savoir dès le 23 juillet. C’est seulement le 15 octobre que le groupe LFI a déposé une telle proposition. Entretemps, le RN avait déposé la sienne, le 18 septembre.
Le débat sur le fait de savoir s’il convient de voter ou non une telle proposition de loi lorsqu’elle vient du RN s’est donc engagé dans une situation marquée par l’absence, dans l’immédiat, d’une mobilisation unie pour affronter et battre ce gouvernement minoritaire, et arracher ainsi l’abrogation. L’appel d’un certain nombre de membres ou de soutiens de LFI, notamment POI et indigénistes, de même que la tribune de Léon Deffontaines (PCF) étaient porteurs des pires confusions, puisqu’ils faisaient croire que voter avec le RN pourrait permettre de gagner contre un recul social – alors que la proposition RN, tout le monde le sait, ne passerait pas le Sénat même si d’aventure elle était adoptée.
La tribune de J.L. Mélenchon du 23 octobre, que nous avons publiée, vaut ordre pour le groupe parlementaire LFI, et tranche donc contre le vote de la proposition RN – évitant sans doute une crise dans le groupe, où sa principale figure parlementaire, Éric Coquerel, s’évertue depuis des semaines à annoncer que l’abrogation doit pouvoir réussir au parlement et sans vote commun avec le RN.
Mélenchon qualifie la proposition RN d’arnaque, en se fondant entièrement sur l’exposé des motifs, qui explique que le financement de l’abrogation sera mis au point par le futur gouvernement RN, et que ce que le RN veut faire consiste à supprimer les cotisations sociales en les remplaçant par l’impôt, et pas sur les riches. Cette critique est judicieuse et il conviendrait que J.L. Mélenchon l’applique à la proposition de loi LFI elle-même, qui prévoit elle aussi de remplacer des cotisations sociales par l’impôt.
D’autre part, en expliquant que cette manœuvre est due à l’embarras, voire à la crise, dans laquelle son soutien à Barnier et à Macron le plongerait le RN, J.L. Mélenchon se montre bien optimiste. L’embarras et la crise gagneront, sans aucun doute, la base du RN quand, et seulement quand, il y aura mobilisation sociale unie pour battre Barnier et imposer l’abrogation.
En attendant, la manœuvre du RN soutenant de manière décisive l’existence de l’exécutif Macron/Barnier tout en jouant à la démagogie sociale, le conforte plutôt, et ne renforce en aucun cas, disons-le, les faux espoirs dans une élection présidentielle opposant Mélenchon à Le Pen.
Et même si la prise de position de Mélenchon, pour éviter une crise du groupe LFI, est arrivée à temps, la manœuvre du RN a eu des effets de confusion dans la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée, où il a mis sa proposition au vote, le texte de J.L. Mélenchon ayant été publié juste à temps en vue de la réunion de cette Commission. Les députés NFP qui y siègent ont été, pour pas mal d’entre eux, courageusement absents, et la majorité des présents s’est abstenue, laissant le prétendu « socle commun » la repousser. Deux députés de gauche ont voté Contre, Sandrine Rousseau et Jérôme Guedj. Un a voté Pour, Yannick Monnet (PCF, Allier), et au même moment Fabien Roussel déclarait qu’il n’avait pas été réélu à cause de l’existence du NFP et que s’il siégeait il voterait la proposition RN …
Diverses autres péripéties ont eu lieu sur lesquelles il n’est pas vraiment nécessaire de revenir en détail, si ce n’est pour préciser que les propositions de gauche prévoient elles aussi des mesures fiscales plutôt que la hausse du salaire socialisé. La « défaite » du RN en Commission des Affaires sociales rend incertain le maintien de sa proposition de loi le 31 octobre, qui pourrait être barré si Mme Braun-Pivet fait le choix politique de la juger irrecevable au regard de l’article (antidémocratique) n° 40 de la constitution, la Commission ayant voté des demandes de rapports sur le financement des retraites et l’évaluation de la « réforme ». Nous verrons.
Résumons : on en est en réalité au point mort en raison de la position pour l’instant stable, car dépendant du RN, de l’exécutif Barnier/Macron, même s’il est des plus fragile, et en raison de l’absence d’appel unitaire commun contre lui.
Comme l’écrivent Les Echos, Les détracteurs de la réforme des retraites de 2023 qui soutiennent qu’il existe une majorité au Parlement pour l’abroger en sont pour leurs frais.
La « niche parlementaire » suivante est celle de LFI, le 28 octobre. Il est prévu que LFI déposera sa proposition de loi. Peut-on espérer qu’il y sera tenu compte de la critique faite par J.L. Mélenchon au RN et qu’elle reposera sur la hausse du salaire socialisé et pas sur les impôts ? Voire qu’elle consiste réellement, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent, dans l’abrogation totale de la réforme, régimes « spéciaux » compris ?
Quoi qu’il en soit, le RN sera là pour l’empêcher de passer. Sauf si … sauf si la mobilisation sociale unie contre ce gouvernement démarre effectivement. Ces articles analysant la situation parlementaire conduisent en effet invariablement à une seule et même conclusion : cela se dénouera dans et par l’affrontement social, qui, s’il intervient, aura pour dynamique la fin de ce pouvoir exécutif et du régime antidémocratique en place. S’il n’a pas commencé, c’est bien parce qu’il aurait cette portée. Mais si l’on veut ne serait-ce qu’augmenter les salaires, partir à 62 ans (62 ans !), et sauver les services publics, c’est cela qu’il faudra.
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