L’hebdomadaire «satirique» vient de publier un portrait à charge dégoulinant de fiel de l’eurodéputée franco-palestinienne née dans un camp de réfugiés, l’accusant notamment de toujours se présenter comme «fille de réfugiés».
La malveillance peut des fois mettre un peu de temps à bien apparaître pour ce qu’elle est. D’autres fois : elle est plus immédiatement identifiable.
Tous les mercredis, Le Canard enchaîné, hebdomadaire « satirique », publie, en page 7, des portraits à charge de personnalités, présentés comme des « prises de bec » et supposément caustiques – mais dont le fond, mal dissimulé sous cette forme prétendument légère et drôle, rappelle parfois d’assez près le ton de certaines feuilles réactionnaires.
Dans le dernier numéro du Canard, paru le 16 octobre 2024 – et dans le moment, donc, où l’armée israélienne perpètre à Gaza et au Liban les immenses massacres que l’on sait -, c’est l’eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan (La France insoumise), présentée comme une ridicule « pasionaria de la cause palestinienne », qui fait les frais d’un tel brocard (1).
On ne fera pas ici le relevé de toutes les vilenies qui ponctuent cette diatribe – dont le titre lui-même, « Gazaouie mais non », qui semble littéralement vouloir nier jusqu’à l’identité palestinienne de l’eurodéputée, est déjà un crachat, et dont l’autrice, qui excelle donc dans l’insinuation fielleuse, écrit notamment que Rima Hassan est « fort occupée à terroriser (2) ses opposants ».
Mais l’une de ces bassesses retient particulièrement l’attention, quand cette journaliste écrit, dans une syntaxe un peu approximative, que l’élue insoumise, née en Syrie dans un camp de réfugiés palestiniens où elle a ensuite passé les premières années de sa vie, « n’omet jamais de se présenter comme “fille de réfugiés“ – au même titre que les nombreux descendants, en France, des pieds-noirs, des boat people, des harkis, des Rwandais, des républicains espagnols, des juifs d’Europe de l’Est ».
Ironie méprisante
On notera, au passage, qu’en suggérant ainsi, et sous le couvert d’une ironie méprisante, qu’il serait inconvenant ou risible de « se présenter comme “fille de réfugiés“ » quand on a effectivement grandi dans un camp de réfugiés, Le Canard minore – pour le dire très gentiment – l’extraordinaire violence que représente un exil contraint, et les immenses traumatismes transgénérationnels qu’un tel déracinement peut provoquer chez celles et ceux qui en sont victimes : on voudrait savoir, par exemple, ce que les enfants et petits-enfants des Juifs d’Europe ayant fui les persécutions pensent d’une si cruelle raillerie…
Mais surtout : on relèvera que l’accusatrice de Rima Hassan a glissé quelques intrus, dans la longue liste des fils et filles de réfugiés où elle compte donc – inconsciente, peut-être, de ce que leur convocation dit en creux de la nature des exactions perpétrées par Israël à Gaza et au Liban – « les nombreux descendants des pieds-noirs, des boat people, des harkis, des Rwandais, des républicains espagnols, des juifs d’Europe de l’Est »
Car, non : l’eurodéputée insoumise n’est pas fille de réfugiés « au même titre » que « les descendants des pieds-noirs ». Plus précisément : les Palestiniens qui ont été chassés de leur terre en 1948 ne sont pas les mêmes réfugiés que les pieds-noirs qui ont dû quitter l’Algérie en 1962. Plus précisément : les Palestiniens ont été poussés à l’exil par une colonisation – qui est toujours en cours sept décennies plus tard -, quand les pieds-noirs l’ont été par une décolonisation.
Cela fait une très considérable différence, que Le Canard occulte sciemment lorsqu’il trace un signe d’égalité entre des arrachements qui ont sans doute provoqué l’un comme l’autre de terribles souffrances, mais dont les causes sont si radicalement opposées – comme s’il ignorait que le confusionnisme entre oppresseurs et opprimés profite toujours aux premiers.
(1) Des massacres en question, l’autrice de ce fétide papier ne dit rien. Pas un mot. Elle ne les évoque que par défaut, pour suggérer qu’il serait scandaleux de qualifier d’ « apartheid » la ségrégation imposée aux Palestiniens par l’État israélien, et de « génocide » leur extermination dans la bande Gaza.
(2) C’est moi qui souligne.
Crédits photo/illustration en haut de page :
Margaux Simon
Poster un Commentaire