Une polémique nationale, centaines de gendarmes, deux juges d’instruction, des perquisitions, de la détention, des dizaines d’interrogatoires, des moyens d’enquête immenses : retour sur une mascarade judiciaire
L’année 2021 avait commencé par une surenchère médiatique et politique délirante contre la jeunesse et les fêtes. Souvenez-vous, nous étions encore sous état d’urgence sanitaire, et le gouvernement avait décrété un couvre-feu absurde plutôt que de donner des moyens décents aux hôpitaux.
Lors du réveillon célébrant le passage en 2021, une grande fête auto-gérée avait été organisée dans un hangar désaffecté de la campagne bretonne, à Lieuron, et avait réuni plus de 2000 personnes.
Dès le 1er janvier, une répression énorme s’abattait contre le mouvement des Free Party, et les discours autoritaires saturaient l’espace médiatique. Tout ce que la France compte de politiciens, de chroniqueurs, de journalistes et autres experts s’indignait que des jeunes puissent faire la fête un soir de réveillon.
Le Pen s’insurgeait contre le «manque d’autorité», le député En Marche d’Île-et-Vilaine parlait d’un «rassemblement de zadistes». Un courtisan de Macron écrivait que «la rave-party sauvage n’est pas le fait de quelques têtes brûlées en mal de sensations mais un défi politique à l’État français de l’ultra-gauche». Le Ministre de l’Intérieur réunissait une cellule de crise… L’événement avait pris une ampleur nationale et même internationale, puisque la presse étrangère avait rapporté qu’en France, le gouvernement sévissait contre une fête.
Un ensemble de 1600 verbalisations avait été adressé – soit 216.000 euros d’amende – à l’encontre du public, et le matériel sonore a été confisqué par les forces de l’ordre.
Immédiatement, la justice lançait une enquête d’une ampleur incroyable. Une vague de perquisitions était organisée par des gendarmes. Un jeune de 22 ans, inconnu de la justice, était jeté en prison pendant 18 jours, sans procès, en préventive, avec des chefs d’inculpations digne du grand banditisme, soupçonné d’avoir «participé à l’organisation» de la free party. Cinq autres personnes ont été arrêtées avec les grands moyens peu après, et mises en examen pour une multitude de délits, dont «mise en danger de la vie d’autrui».
Le procureur de Rennes, Philippe Astruc, annonçait qu’il comptait requérir une peine exemplaire «de 10 ans d’emprisonnement» à l’encontre des organisateurs présumés. Philippe Astruc, c’est aussi le procureur qui était en charge de l’affaire Steve, qui a conduit à la relaxe du commissaire responsable de la charge mortelle contre la fête de la musique à Nantes.
À l’époque, les autorités brandissaient l’argument sanitaire pour réprimer un moment de joie. Sauf que deux semaines plus tard, l’Agence Régionale de Santé bretonne, qui dépend de l’État, déclarait qu’il n’y avait «aucun cluster lié à cet événement». Il faut dire que les organisateurs de la fête avaient prévu des stands de prévention et l’association Techno Plus, présente sur les lieux, proposait des masques, gel hydroalcoolique et conseils sur la conduite à tenir après l’événement. Quant au lieu, le hangar était grand, ouvert et aéré. Des précautions bien plus importantes que lors des dîners mondains parisiens qui avaient lieu entre riches au même moment. Le Covid n’était qu’un prétexte à la répression.
3 ans et demi on passé. Et le procès des 6 inculpés avait lieu lundi 14 octobre. L’épilogue d’une procédure gigantesque, qui aura nécessité des centaines de gendarmes, deux juges d’instruction, des dizaines d’interrogatoires, des moyens d’enquête immense et couté une fortune. Pour rien.
Dès l’ouverture du procès, le juge reconnaît que la détention provisoire d’un des prévenus n’était pas justifiée, puisque les faits reprochés relèvent de simples contraventions : «organisation d’un événement à caractère festif sans déclaration préalable». Oui, l’État a mis ces moyens colossaux pour des faits qui auraient dû relever de simples amendes.
Durant le procès, les prévenus ont préféré garder le silence et ne pas répondre aux questions des magistrats.
Le procureur s’est énervé : «Pendant que la France responsable comptait ses morts, 2500 personnes sans aucun respect pour les autres, par pur égoïsme, ont décidé de faire la fête illégalement pour consommer de l’alcool et des stupéfiants !» Il a réclamé des réparations financières. Mais malgré le ton sévère, il était bien difficile de justifier une telle procédure pour finalement demander des amendes.
Avant de terminer l’audience, les six jeunes hommes ont finalement pris la parole. «Je suis allé en prison dans cette histoire. Les gendarmes sont venus dans mon camion avec un hélicoptère. Ils étaient 45, ils étaient armés. Je n’ai rien compris à cette affaire. J’avais l’impression d’être Pablo Escobar» raconte l’un d’entre eux. «Quand je suis arrivé à la prison, la télé était allumée et ça ne parlait que de moi».
Un autre explique : «On m’a saisi tout mon matériel professionnel de musique». Un troisième : «Les gendarmes m’ont plaqué au sol et braqué un pistolet sur le visage. Ma mère croyait que c’était des cambrioleurs».
Lors de ces perquisitions les militaires ont saisi tout ce qu’ils pouvaient dans les locaux, véhicules et domiciles des accusés, ils ont «même saisi une perceuse, une scie circulaire, ou encore les collections de disques vinyles» dénonce un avocat. Autrement dit, du vol en bande organisée.
Tout ça pour rien donc, puisqu’au terme du procès, les six prévenus ont été totalement relaxés. La montagne a accouché d’une souris. Mais la justice a été vicieuse jusqu’au bout. Le matériel confisqué ne sera jamais rendu, le juge d’instruction a ordonné leur vente aux enchères quelques jours avant cette audience. Une vengeance minable. Cela représentait des milliers d’euros de matériel de musique, des collections de disques… Pour des jeunes qui ne sont pas aussi bien payé que les magistrats. Quant au temps, à l’énergie, à l’argent et à la liberté perdus par les six prévenus pendant les poursuites, c’est inestimable.
Derrière cette lamentable histoire se dessine la haine du pouvoir à l’égard de sa jeunesse et l’intolérance viscérale vis-à-vis des fêtes qui échappent au contrôle de l’État. Le jugement de Lieuron intervient quelques semaines seulement après celui de l’affaire Steve, où l’impunité a été totale, alors que la police est responsable de la mort d’un jeune et de grave blessures de dizaines d’autres.
Rappelons que la grande loi contre les free parties a été impulsée par le politicien Thierry Mariani il y a 20 ans. Depuis, la répression des fêtes libres n’a jamais cessé d’augmenter. Et que Mariani a rejoint les rangs du Rassemblements National. Alors que le macronisme a officialisé son alliance avec l’extrême droite, c’est politiquement révélateur.
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