Génocide à Gaza. La fabrication du consentement occidental

Mamdouh Kashlan (1929-2022), Children of Napalm, 1972, huile sur toile

Palestine. D’une Nakba à l’autre

L’histoire n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Dans ce focus, Orient XXI revient sur un an de guerre génocidaire à Gaza. Dans son dernier ouvrage Une étrange défaite, Didier Fassin, professeur au Collège de France, a le mérite de démonter, pièce par pièce, la responsabilité des dirigeants politiques, intellectuels et médias qui façonnent les opinions publiques au point de faire accepter l’inacceptable.

Cette image représente une composition artistique abstraite avec des silhouettes humaines. Les figures, dessinées en noir, sont disposées de manière dynamique sur un fond rouge vibrant. Leurs poses évoquent le mouvement et l'interaction, tandis que le contraste entre les silhouettes sombres et l'arrière-plan lumineux crée une forte impression visuelle. Les formes géométriques dans le fond ajoutent une dimension supplémentaire à l'œuvre, renforçant son caractère expressif et émotionnel.
Mamdouh Kashlan (1929-2022), Children of Napalm, 1972, huile sur toile

La question revient, lancinante, à chaque crise au Proche-Orient, à chaque « escalade » contre les Palestiniens, à chaque tuerie à Gaza. Oui, bien sûr, mais… le Soudan ? Le Congo ? L’Afghanistan ? Au-delà de la constante minoration du nombre de morts palestiniens (grâce à cette précision magique : « selon le ministère de la santé du Hamas »), l’interrogation — faussement naïve — efface une distinction fondamentale entre la guerre contre Gaza et les autres conflits évoqués… Une distinction soulignée par Didier Fassin dans son dernier livre :

Aucune de ces guerres et aucun de ces massacres n’a fait l’objet d’un soutien aussi indéfectible des gouvernements occidentaux et d’une condamnation aussi systématique de celles et ceux qui les dénoncent, alors même que l’ampleur de la dévastation et la volonté d’effacement y sont sans commune mesure.

Dans un essai percutant, Une étrange défaite, référence au célèbre témoignage de Marc Bloch, écrit au lendemain de l’effondrement de la France en 1940 et qui tente d’en comprendre les raisons politiques, le professeur au Collège de France revient sur la « défaite morale » des responsables occidentaux face à l’écrasement de Gaza, qui a toutes les caractéristiques d’un génocide. Même s’il faudra quelques années pour que la Cour internationale de justice (CIJ) l’estampille juridiquement comme tel. Faut-il, en attendant, se laver les mains du sang qui coule en Palestine ?

Il suffit pourtant de prendre les dirigeants israéliens au mot. L’avocate irlandaise Blinne Ní Ghrálaigh, qui défendait en janvier 2024 la requête de l’Afrique du Sud devant la CIJ, a su trouver les mots justes. Gaza représente « le premier génocide de l’histoire durant lequel les victimes diffusent leur propre destruction en temps réel dans l’espoir désespéré — et pour l’instant vain — que le monde puisse faire quelque chose ». Comme le relève l’arrêt de la CIJ et l’historien israélien Raz Segal, qui parle de « cas d’école en matière de génocide » :

Les discours, jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir, ont montré que l’intervention militaire israélienne à Gaza visait bien plus que la disparition du Hamas (…) : c’étaient indistinctement l’ensemble du territoire et de ses résidents qui étaient la cible. La liste des citations documentées par l’Afrique du Sud est impressionnante : le premier ministre demandant aux soldats de “se souvenir de ce qu’Amalek vous a fait”, en référence à l’ennemi biblique dont Israël devait, selon le texte sacré, indistinctement “tuer les hommes et les femmes, les nourrissons et les nouveau–nés” ; le président affirmant à propos des Palestiniens que “la nation entière est responsable” et doit être “combattue jusqu’à lui briser l’échine” ; le ministre de la Défense indiquant qu’il n’y aurait plus “ni électricité, ni nourriture, ni eau, ni essence”, car il s’agit d’une guerre “contre des animaux humains” et il faut “agir en conséquence”.

Les sophismes du récit médiatique et intellectuel

Un à un, Fassin déconstruit les sophismes du narratif israélien et occidental, dont le plus pernicieux serait que l’histoire commence le 7 octobre 2023 : enterré le blocus de Gaza ; effacée l’expansion de la colonisation et des assassinats en Cisjordanie ; oubliée la judaïsation de Jérusalem et les provocations contre la mosquée Al-Aqsa ; ignorés les milliers prisonniers dans les geôles israéliennes. Quant à « l’armée la plus morale du monde », elle ne ferait que « riposter » à ce qui était, selon les mots du président Emmanuel Macron, « le plus grand massacre antisémite de notre siècle ».1 Ce qui a amené à minimiser ou à cacher les images qui parvenaient de Gaza comme de Cisjordanie — dernier exemple, celle de soldats israéliens balançant trois Palestiniens des toits à Qabatiy (Cisjordanie) en septembre 2024, rappelant ainsi les pratiques des membres de l’organisation de l’État islamique (OEI)2.

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