Mines : « La transition énergétique du Nord laisse mourir les peuples autochtones »

Au Brésil ou au Pérou, les peuples autochtones sont les premiers affectés par l’exploitation minière qui s’accélère. Trois activistes autochtones dénoncent ce désastre qui ruine leur vie.

Paris, reportage

Ils viennent de communautés autochtones du Brésil et du Pérou et subissent de plein fouet les ravages de l’exploitation de minerais sur leurs terres. Trois activistes autochtones sont venus à Paris, le 27 septembre, pour dénoncer le désastre engendré par cette exploitation. « L’extraction de minerais apparaît plus importante que la vie », affirment-ils.

Il y a urgence, tant la demande en minerais pourrait exploser. Cobalt pour les éoliennes, lithium pour les batteries de véhicules électriques… En Amérique latine, les projets se développent au détriment de la vie des populations présentes sur le territoire. Et ce, sans aucun consentement des peuples autochtones« On a déjà connu l’extraction, on connaît ses conséquences : elle va détruire des terres, des forêts, et nos vies », dénoncent les trois activistes autochtones, qui refusent que la transition énergétique du Nord global se fasse au prix de leur vie.

« Sur mon territoire on ne vit pas, on survit »

Simão Kaiowa, 31 ans, est un activiste du peuple autochtone Guajajara de l’État brésilien de Marahão. © NnoMan Cadoret/Reporterre

Simão Kaiowa : « J’ai commencé à me battre pour mon peuple très tôt. Mon grand-père a toujours œuvré pour les droits des autochtones, et quand j’étais encore enfant, je l’accompagnais dans ses campagnes de défense. Il ne savait ni lire ni écrire, pourtant il s’est toujours battu pour qu’on nous laisse vivre en paix. Au Brésil, il y a un vrai génocide, mais nous sommes invisibilisés. En grandissant, j’ai voulu continuer la lutte de sa vie.

Sur mon territoire on ne vit pas, on survit. Je fais partie du peuple Guajajara de Marahão, et nos terres sont impactées par une grande entreprise minière qui a identifié 18 minerais. Tout y est pollué. Dans le fleuve à quelques mètres du village, il y a une très grande concentration d’argent, un minerai majoritairement exploité sur nos terres. Quand on touche l’eau, on peut le voir et même le toucher, mais on continue de se baigner. On est contaminé.

« L’extraction de minerais apparaît plus importante que la vie »

À seulement 800 mètres de mon village, des chemins de fer ont été installés entre 1979 et 1982 pour faciliter les échanges de l’entreprise. Près de 500 trains passent chaque jour. Pourtant, ce n’est pas assez. Un nouveau chemin de fer va être installé. Le marché a été conclu et approuvé sans qu’aucune communauté ne soit consultée. Certaines ne sont même pas au courant. Un port maritime exclusif à l’embarquement de minerais occupera également 89 % d’un territoire autochtone. Tout cela est possible grâce au soutien des Européens.

Quand je suis à Marahão, je défends tous les jours la nature, en faisant de la surveillance de territoire. Mais avec ce travail, je ne vois jamais ma famille. Il y a une menace constante de tirs. Les employés des entreprises ont l’autorisation de nous tirer dessus. Je vis dans une prison sur mon propre territoire, je ne peux pas en sortir, mais c’est le prix à payer pour protéger les miens.

Au cours de ma vie, j’ai souffert de menaces, et j’ai été emprisonné en 2018 en ayant défendu la nature. J’ai connu plusieurs tentatives d’assassinat en prison, mais j’ai réussi à fuir. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Trois de mes cousins ont été tués. L’extraction de minerais apparaît plus importante que la vie. »

« Rien ne nous rendra ce qu’on a perdu »

Ytxaha Pantaru, 28 ans, est une activiste du peuple autochtone Pantaru et Pataxó de l’État brésilien de Bahia. © NnoMan Cadoret/Reporterre

Ytxaha Pantaru : « Je suis professeure, j’enseigne des jeux autochtones, et je donne aussi des conférences antiracistes dans mon village, Cinta Vermelha-Jundiba, ainsi que dans les communautés alentour. Je suis artisane, et aussi mère. Mon quotidien consiste à un transit entre l’art, l’éducation et la maternité.

L’accès au droit à l’eau est un vrai problème dans ma région. L’eau du fleuve Jequitinhonha est devenue impropre à la consommation depuis l’installation de la société Sigma Lithium. L’approvisionnement en eau se fait désormais à travers des camions-citernes et parfois nous n’avons aucun accès pendant près de deux semaines, tandis que l’entreprise a un accès illimité. Le coût de notre vie, de notre survie, a augmenté. On n’a plus le droit de cultiver la terre, alors nous devons acheter des vivres à d’autres communautés.

Depuis l’installation de Sigma Lithium, le lithium flotte dans l’air. Les crises respiratoires sont de plus en plus constantes et sévères. J’ai peur pour les enfants, peur pour mon enfant. Ma fille a déjà eu des crises respiratoires, elle a une toux constante. Dans notre communauté, on dit que si un enfant est affecté, ce sont tous les enfants qui le sont. J’ai peur pour aujourd’hui, mais surtout pour le futur de nos enfants. Avec l’installation de ces entreprises, je ne vois pas la perspective d’un bien vivre dans nos territoires.

L’activité minière menace mon peuple et rien ne nous rendra ce qu’on a perdu. On est décrédibilisé lorsqu’on ose se plaindre. On reçoit beaucoup de menaces, on tente de nous faire taire. Quel est le coût de la transition énergétique du Nord global ? Nous, elle ne nous permet pas de vivre. Au contraire, elle nous laisse mourir. »

« Pourquoi sommes-nous tout le temps une zone de sacrifice ? »

Vito Yaganson Calderón Villanueva, 35 ans, est un activiste du peuple autochtone Aymara du Pérou. © NnoMan Cadoret/Reporterre

Vito Yaganson Calderón Villanueva : « J’ai grandi dans la communauté Aymara dans le sud de la région de Puno au Pérou. Mon peuple a toujours résisté à l’économie minière. J’ai pu avoir une enfance et grandir dans un environnement sain. Ma nourriture n’était pas contaminée, l’eau que je buvais était potable.

Il y a six ans, je suis devenu communicateur social dans la région pour l’association Derechos Humanos y Medio Ambiente (Dhuma). On m’a dit d’aller dans la zone du nord, pour accompagner la communauté Quechua, et j’ai vu que c’était un désastre. La communauté n’a pas su résister. Les entreprises minières qui extraient du lithium ont tout détruit. Ma première mission était de faire des analyses sur les enfants du territoire, et j’ai réalisé qu’ils avaient tous du métal lourd dans leur corps. En voyant ça, je me suis dit que j’allais arrêter et que je n’y arriverais pas. Mais après réflexion, je me suis dit que je devais agir comme je le pouvais, et continuer malgré les menaces et la surveillance constante.

Dans ma communauté et aux alentours, on ne comprend pas le thème de la transition énergétique du Nord global. Ce que les autochtones voient, ce sont des gens et des entreprises qui vont extraire des minerais, encore. On a déjà connu l’extraction, on connaît ses conséquences : elle va détruire des terres, des forêts, et nos vies. Il n’y a rien de durable et de souhaitable. Nous n’avons jamais eu d’énergie, alors pourquoi devrais-je faire une transition ? On nous dit que l’extraction du lithium est une opportunité pour nos communautés. Mais pourquoi sommes-nous tout le temps une zone de sacrifice ? Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir une bonne qualité de vie comme au Nord ? »

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