Les rumeurs de la guerre, et la menace de guerre globale, sont plus bruyantes que jamais en ce mois d’octobre 2024. Si le fait le plus frappant à travers les médias est la guerre engagée par Israël au Liban, le fait, ou la conjonction de faits, en réalité la plus importante car la plus massive, concerne les relations globales entre les Etats-Unis et leurs alliés et ce qui apparaît, de plus en plus fortement, comme un bloc eurasiatique Chine/Russie.
D’une part, nous avons la forte montée de tension à la fois de la part de la RPC autour de Taiwan ainsi qu’entre les deux Corées.
Les manœuvres chinoises « Joint-Sword 2024-B » ont réalisé de facto, pendant plusieurs jours, un blocus complet, côté détroit de Taiwan et côté Pacifique, de l’île (rappelons que le tiers de la production mondiale de micro-processeurs s’y trouve avec l’entreprise TSMC). Beijing avait informé Washington de ces « exercices », mais pas Taipei.
Entre les deux Corées, on est passé des jets de merde (littéralement) à des survols de drones, puis à la destruction par la Corée du Nord des routes reliant encore les deux Etats, et à une escalade verbale d’une ampleur nouvelle.
D’autre part, les déclarations du président ukrainien Zelenski, relayées par le président sud-coréen Yoon Seol-youl, sur la présence massive – 15 000 soldats comme déclaré seraient une présence massive – de soldats nord-coréens combattant pour Poutine en Ukraine, semblent devoir être confirmées au moins en partie, avec plutôt 1500 hommes pour l’instant cantonnés en Sibérie.
C’est cette simultanéité, non fortuite, entre l’intensification des tensions en mer de Chine et en Corée, et un début d’intervention nord-coréenne directe sur le front ukrainien, qui a pour signification l’affirmation d’une alliance des « empires centraux » eurasiatiques, pour reprendre une expression européenne d’avant 1914, cimentée par le troisième larron nord-coréen et son implication croissante en Ukraine, comme si les deux fronts – Ukraine et mer de Chine – étaient appelés à être mis à contribution ensemble contre l’ennemi américain et « occidental ».
Ce constat doit, tout de suite, être relativisé du fait que la posture nord-coréenne prorusse ne semble pas être appréciée à Beijing. Il ne faut surtout pas sous-estimer l’ampleur de la crise, écologique, démographique, sociale, économique, et donc in fine politique, en Chine. La démonstration de force chinoise contre Taiwan a été, ni plus ni moins, ce qu’elle a été : une démonstration de force, mais la plus ample à ce jour.
Il ne faut pas s’emballer en interprétant ces faits comme l’amorce présente de la guerre entre les empires centraux et l’alliance occidentale. Oui, il y a de la répétition générale dans l’air, et ce qui est vrai, c’est que le capitalisme en crise porte des germes de guerre un peu partout et le risque de guerre mondiale.
Mais le processus actuel est plutôt celui de l’affirmation agressive d’oligopoles impérialistes fluctuants, d’autant plus agressifs qu’ils sont fluctuants et incertains, dans le cadre de la multipolarité impérialiste contemporaine. Et, je vais y revenir, ces développements récents sont liés à l’approche de l’échéance des présidentielles nord-américaines.
De même, encore moins faut-il s’emballer sur une « désoccidentalisation du monde » : que divers prétendus anti-impérialistes et autres décoloniaux y croient est une chose, mais la réalité est celle des oligopoles impérialistes.
Ainsi, la satellisation militaro-mafieuse du Mali, du Burkina et du Niger par la Russie ouvre la voie aux capitaux chinois, et ne surmonte pas, mais aggrave, la dislocation des Etats sahéliens par la formation de poches mafieuses « djihadistes » liées aux pétromonarchies, membres, elles aussi, des « BRICS+ », sans que pour autant les impérialismes nord-américain et même français ne soient totalement éjectés.
Le sommet des BRICS+ à Kazan en Russie participe bien entendu de tout ce processus, dans lequel tous jouent plus ou moins un jeu double voire triple, notamment l’Inde ou la Turquie. De même que la Chine a informé Washington de « Joint-Sword 2024-B », de même M. Gutierrez représentera l’ONU à Kazan, chez Poutine censé être sous mandat d’arrêt de la CPI.
Pas plus qu’avant 1914, aucun pont n’est coupé, non seulement au plan de la circulation des capitaux que les sanctions contre la Russie n’ont pas empêchée mais ont renforcée entre Chine et Russie, mais au plan des contacts diplomatiques et militaires. Les peuples, ukrainien ou palestinien, tigréen ou soudanais, sans oublier le peuple vénézuélien, n’est-ce pas, peuvent être sacrifiés conjointement par ces grands crocodiles (pardon pour les crocodiles).
Il n’y a ni « Sud global », ni bloc eurasiatique, mais des oligopoles impérialistes fluctuants et instables. Et le moment présent, où l’on a l’impression du passage en revue de certaines troupes de la prochaine guerre mondiale, est surdéterminé par les deux crises conjointes, dont les racines sont sociales, celle des Etats-Unis et celle de la Chine.
Ces appréciations valent aussi pour les apparents succès de Netanyahou de ces dernières semaines. Il n’y a aucune raison de se réjouir de l’élimination successives des dirigeants criminels et ultra-réactionnaires du Hamas et du Hezbollah, et peut-être bientôt des Houthis, car elle n’a d’autre but que d’interdire tout respect des droits nationaux et démocratiques de la nation palestinienne, tout en refusant toute agentivité propre à la nation libanaise pourtant plus d’une fois mobilisée (y compris contre le Hezbollah) ces dernières années.
Le fait qu’à la différence par exemple de l’activisme nord-coréen, le régime du Guide suprême iranien, lui aussi composante du fragile bloc des empires centraux asiatiques, ne réagisse guère et, en fait, ne réagisse pas, aux provocations et avancées d’Israël (alors que c’est ce régime qui, avec le feu vert de Moscou, avait parrainé la « tempête d’al-Aqsa » des pogroms du 7 octobre 2023), ce fait n’est pas une manifestation de l’efficacité suprême des organes du terrorisme d’Etat israélien.
En effet, si celle-ci existe, elle n’est momentanément opératoire que par la « grâce » de trois facteurs dans lesquels elle n’est pour rien : la crise du régime iranien rejeté massivement par « sa » population femmes en tête ; le fait que ses chefs n’ont en réalité aucune empathie pour les Palestiniens ou les Libanais, pas plus que pour les Syriens ; et le fait probable qu’il se concentre sur l’acquisition imminente voire quasi effectuée de l’arme nucléaire …
La sécurité et le droit à l’existence de la nation judéo-israélienne ne sont donc nullement consolidés par la série des exploits récents et les milliers de victimes arabes qui les accompagnent dans le cynisme meurtrier le plus total.
Le facteur conjoncturel, mais capital, qui attise les faits guerriers immédiats, ce sont les présidentielles nord-américaines. Cette relation est réciproque : les tensions en mer de Chine et en Corée, les reculs ukrainiens dans le Donbass, et la guerre engagée au Liban par le gouvernement et l’armée israéliens, sont autant de facteurs qui jouent en faveur de Trump.
Poutine et Netanyahou votent Trump, des deux mains. L’Iran ne vote pas Trump mais n’a guère de moyens de pression, et la Chine peut légitimement hésiter car Trump, comme d’ailleurs avec la Corée du Nord, a soufflé chaud et froid : que la Chine soit l’ennemi séculaire pour Washington est déjà une chose acquise, avec ou sans Trump.
Zelenski a bien senti cette conjoncture. Cela, alors que sa propre politique néolibérale, voire libertarienne, et avec lui celle de l’oligarchie ancienne aussi bien que nouvelle, constitue un sabotage de fait de la défense nationale assumée héroïquement par le peuple des femmes et des hommes de la classe ouvrière et de l’armée. Mais il l’a bien sentie quand même, comme le montrent ses déclarations affirmant maintenant que si, surtout si Trump est élu, l’OTAN reste fermée à l’Ukraine, alors il se dotera … de l’arme nucléaire, ce qui n’est pas techniquement absurde dans ce pays qui, rappelons-le, est le seul au monde à avoir renoncé à l’arme nucléaire en 1994 !
La politique étrangère étatsunienne est devant plusieurs options entremêlées et concentre à elle seule toutes les fluctuations et les instabilités des oligopoles de l’impérialisme multipolaire, ce qui est logique s’agissant de l’impérialisme à la fois le plus puissant et le plus déclinant : bloc occidental avec OTAN et AUKUS contre bloc eurasiatique, ou alliance russo-américaine contre la Chine livrant l’Ukraine à la liquidation rashiste, jeu de pivot avec l’Inde, soutien apeuré et emmerdé à Israël, blocus contre l’Iran pourtant bien utile contre les révolutions arabes … sont les termes d’une équation … qui n’a peut-être pas de solution !
Mais la signification internationale de l’élection présidentielle étatsunienne est loin de ne passer que par ce que l’on entend par « politique étrangère ». Aux Etats-Unis, le trumpisme se développe en un néofascisme qui, maintenant, promet de briser les syndicats, alors que les grèves – et les victoires salariales – n’ont cessé de monter depuis deux ans. Une victoire de Trump engagerait une épreuve de force nationale et internationale et galvaniserait simultanément Le Pen et la dérive du régime Macron/Barnier/Le Pen en France, Poutine, Orban, Bolsonaro ou Milei. Sous la « géopolitique » opère la vraie tectonique du monde : celle de la lutte des classes.
L’enjeu nord-américain, de construction, dans le combat pour battre Trump par le vote Harris, de la résistance sociale et démocratique indépendante des larges masses, des ouvriers, des immigrés, des femmes, des noirs …, est donc un enjeu mondial.
Harris, candidate capitaliste, ne gagnera pas par sa propre politique, comme déjà en 2020 Biden n’a pas gagné par sa propre politique. C’est pourquoi criminels sont ceux qui, dans le mouvement ouvrier ou dans la « gauche », font le jeu de Trump, comme les dirigeants du syndicat des Teamsters qui « ne choisissent pas », ou comme les naufragés politiques d’une grande partie de l’extrême-gauche US appelant à « punir les démocrates », cela, comble de la bêtise, du cynisme, ou des deux réunis, au nom … du peuple palestinien !
Les éléments immédiats d’un internationalisme démocratique et prolétarien sont clairs : des armes pour l’Ukraine, pas d’armes pour Netanyahou, barrer la route à Trump par la mobilisation indépendante des exploités et des opprimés. Mais la course de vitesse est là et bien là car le danger est la guerre combinée à la catastrophe écologique.
VP, le 19/10/24.
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