Arrêt maladie des fonctionnaires : les métiers pénibles et féminisés dans le viseur

Le gouvernement veut durcir les conditions d’indemnisation des arrêts maladie des fonctionnaires, dont l’absentéisme représenterait un coût devenu « insoutenable » pour l’État. Les femmes, les seniors et les agents aux métiers pénibles en pâtiront davantage.

Cécile Hautefeuille

S’attaquer aux absent·es plutôt qu’aux causes de l’absentéisme. Pour diminuer le nombre d’arrêts maladie dans la fonction publique, le gouvernement entend diminuer la rémunération des fonctionnaires absent·es – elle passerait à 90 % du traitement contre 100 % aujourd’hui – tout en allongeant leur délai de carence. Les trois premiers jours d’absence ne seraient plus payés, contre un seul actuellement. Le secteur public serait alors aligné sur les conditions du privé.

Ce « plan contre l’absentéisme » permettrait d’économiser 1,2 milliard d’euros, « soit un quart des 5 milliards d’euros d’économies annoncées par Bercy », se félicite le ministre de la fonction publique dans Le Figaro, annonçant que des amendements seront proposés au projet de loi de finances, examiné depuis le 21 octobre à l’Assemblée nationale.

Guillaume Kasbarian à l’Assemblée nationale, le 5 juin 2024. © Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP

Pour justifier cette réforme, Guillaume Kasbarian indique que « les fonctionnaires sont absents en moyenne 14,5 jours par an contre 11,6 jours pour les salariés du privé », quand son ministère invoque le coût « insoutenable » de cet absentéisme. Revoir les conditions d’indemnisation des arrêts maladie permettait donc, à en croire le ministre, « de responsabiliser les agents et d’éviter les effets de bord ».

Les comparatifs entre public et privé, permettant de présenter les fonctionnaires comme trop absent·es, trop chers et donc pas assez responsables, sont issus du dernier rapport annuel sur l’état de la fonction publique, publié fin 2023. Et à la différence du ministre, ce document avance quelques détails et explications liées au genre, à l’âge et aux conditions de travail des agent·es.

« Les absences pour raison de santé sont plus fréquentes dans la fonction publique que dans le secteur privé, en partie en raison d’effets de structure (davantage de femmes et des agents plus âgés), souligne ainsi le rapport. La part des métiers les plus pénibles peut aussi contribuer à expliquer ces écarts individuels. En effet, les conditions de travail (contraintes physiques, horaires de travail atypiques, risques psychosociaux, etc.) influent également sur les absences pour raison de santé. »

En 2022, les absences sont d’ailleurs plus nombreuses dans la fonction publique hospitalière (18,1 jours) et dans la fonction publique territoriale (17,1 jours), où les métiers sont particulièrement pénibles et féminisés.

Plus de seniors que dans le privé

« Ces mesures vont encore toucher davantage les femmes et les plus basses rémunérations ! », s’insurge Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT fonction publique qui cite « les Atsem [agents des écoles maternelles –ndlr], les personnels d’entretien et de la petite enfance aux conditions de travail difficiles ».

Sylvie*, 56 ans et « trente ans de collectivité territoriale » à son actif, en sait quelque chose. Elle a longtemps été auxiliaire de puériculture à Montpellier et décrit « une usure professionnelle » importante. « La petite enfance, c’est très intéressant, mais très dur. Il faut beaucoup porter et se pencher. Le dos et les épaules en souffrent. » Aujourd’hui, l’agente territoriale occupe un poste de coordination et espère un reclassement « dans l’administratif » après un burn-out.

Elle est d’ailleurs en arrêt maladie et se dit « furax » face aux annonces du gouvernement. « C’est une nouvelle charge contre la fonction publique, ou du moins ce qu’il en reste !, peste-t-elle. Ils pensent faire des économies alors qu’ils ont du mal à recruter, à force de tirer sur la corde. »

Le vieillissement des agent·es est également un facteur important, que le ministre de la fonction publique n’évoque pas. Une étude, datée de fin 2023, portant sur « l’accélération des départs en retraite dans la fonction publique territoriale », révèle que « la part des seniors est nettement plus élevée dans le secteur public (21 %) que dans l’ensemble du secteur privé (17 %) ».

La tendance est encore plus forte dans les effectifs territoriaux où « plus d’un agent territorial sur quatre avait 55 ans ou plus en 2020, contre un sur six en 2010 », laissant apparaître un « vieillissement plus rapide que dans les autres emplois publics et privés ».

Il y a beaucoup d’absentéisme mais pas de remplacement. Ceux qui restent s’épuisent et finissent aussi en arrêt.

Patrice, agent d’entretien

Actuellement, plus du tiers des Atsem qui assistent les enseignant·es dans les classes de maternelle ont plus de 55 ans et 11 % dépassent même les 60 ans. Les pourcentages sont quasi les mêmes chez les agents techniques, chargés par exemple des espaces verts ou de divers travaux au sein des collectivités.

« Ce sont des exécutants, décrypte Sylvie. Selon la taille de la collectivité, ils peuvent être très polyvalents. Dans un village, un agent technique peut gérer la cantine, l’entretien du village, la plomberie ou le chauffage… Ce sont aussi des métiers où l’usure est importante. » De quoi éclairer d’autres chiffres du rapport annuel sur l’état de la fonction publique : les agent·es de la fonction publique territoriale de 50 ans et plus se sont absenté·es en moyenne 22,6 jours en 2022.

Ces statistiques ne surprennent pas Patrice*, agent d’entretien dans une école héraultaise. « J’ai un collègue qui a 66 ans. C’est un gros bosseur, mais là, il n’en peut plus, il est en arrêt. » Patrice, lui, a 55 ans et souffre d’arthrose des cervicales. Son tendon d’Achille le fait également souffrir. Sa montre connectée enregistre le nombre de ses pas au travail : « C’est l’équivalent de huit kilomètres. » Ses horaires de travail varient régulièrement. Certaines semaines, il se lève à 5 heures du matin pour nettoyer les locaux avant l’ouverture des classes. Quand il est « du soir », il termine à 19 h 30. Ce travail, il l’occupe depuis plus de dix ans.

« Je suis fatigué », souffle Patrice, éreinté par le travail physique et ces horaires variables. « Les collectivités investissent dans des grosses auto-laveuses pour nettoyer les couloirs et réduisent le personnel pour ce motif », s’agace-t-il, face à sa charge de travail et des effectifs jugés trop maigres. « Il y a beaucoup d’absentéisme, mais pas de remplacement. Ceux qui restent s’épuisent et finissent aussi en arrêt », décrit-il. Son dernier arrêt de travail, c’était à cause d’un virus saisonnier. « Le médecin a voulu m’arrêter une semaine, je lui ai demandé de réduire à deux jours pour ne pas mettre mes collègues dans la galère. »

Les syndicats prévenus après la presse

Si la réforme souhaitée par le gouvernement s’applique, la perte de salaire pèsera également lourd dans la balance. « Trois jours de salaire en moins et une baisse de l’indemnité, vous imaginez les conséquences ?, interroge Mylène Jacquot, de la CFDT. Combien iront travailler malgré leurs problèmes de santé ? » La syndicaliste se dit « sidérée » par l’annonce du gouvernement, qui a convoqué la presse dimanche 27 octobre en fin d’après-midi avant même d’en parler aux organisations syndicales.

« Le ministre nous a contactés entre 18 heures et 19 heures. J’ai eu droit à neuf minutes », commente-t-elle d’un ton amer. Elle conclut : « S’il y a trop d’arrêts maladie, ce n’est pas comme ça qu’on doit traiter le problème. Parlons aussi management et conditions de travail ! »

Dans Le Figaro, le ministre Guillaume Kasbarian affirme quant à lui que la lutte contre l’absentéisme est « une urgence dans la période budgétaire actuelle » et se dit prêt, sans les détailler, à prendre « trois mesures d’accompagnement portant sur l’amélioration de la qualité de vie au travail, la débureaucratisation et la protection des agents face aux actes de violences ». La question du bien-être au travail est évacuée en une phrase et le mot « santé » pas une seule fois prononcé.

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