Colère des agriculteurs : « la FNSEA mobilise les petits paysans… au service des gros »

Alors que la FNSEA et la Coordination Rurale appellent les agriculteurs à de nouvelles actions de pression sur le gouvernement, Gérard Florenson, inspecteur de l’agriculture et de l’environnement à la retraite et ancien secrétaire général de la CGT FranceAgriMer revient sur le mouvement.

Gérard Florenson

19 novembre

Révolution Permanente : Le président de la FNSEA a annoncé ce dimanche que plus de 80 actions locales portées par des agriculteurs en colère auraient lieu jusqu’à mardi. Pourquoi ce mouvement éclate-t-il aujourd’hui et quelles sont ses revendications ?

Gérard Florenson : Les attentes des agriculteurs ne sont pas homogènes. Il est évident que les gros céréaliers aux exploitations fortement mécanisées, dont la production est majoritairement exportée, ne raisonnent pas comme les petits producteurs de légumes bio. Par ailleurs, la situation de l’élevage est différente de celle des grandes cultures. Mais il y a un point commun. Une majorité d´agriculteurs ne dégage pas suffisamment de revenus ou ne parvient à vivre qu´au prix d´horaires démentiels, avec l´angoisse permanente de la faillite car beaucoup sont lourdement endettés et que les banquiers ne font pas de sentiment. Le nombre de suicides dans le monde paysan en témoigne.

Pouvoir vivre de son travail est donc logiquement la revendication centrale, mais la défendre réellement implique de mettre en cause ceux qui, en amont comme en aval de la production, tirent profit du travail des paysans. En amont, on trouve les semenciers, les marchands d’intrants, les fabricants d’engins agricoles, qui tous poussent au gigantisme, au surinvestissement et partant à l’endettement. En aval ce sont la grande distribution et les industriels de l’agroalimentaire qui imposent des prix qui souvent couvrent à peine ou pas du tout les coûts d´exploitation. Et bien sûr, il ne faut pas oublier les bénéfices engrangés par les banques.

Mais dénoncer les vrais responsables de la détresse paysanne ne fait pas l´affaire des dirigeants de la FNSEA qui sont à la tête de grands groupes pseudo-coopératifs qui participent pleinement du système qui écrase les paysans comme les salariés des entreprises agroalimentaires. InVivo en est un parfait exemple. Alors la FNSEA détourne la colère contre la « bureaucratie » chronophage et surtout contre les « contraintes » environnementales et sociales que ne subiraient pas les paysans des autres pays, concurrents déloyaux de ce fait. Sans surprise c´est sur ce terrain que le gouvernement prétend répondre.

Quant aux causes du déclenchement de ce nouveau mouvement il me semble que la FNSEA veut encadrer dès le départ la colère paysanne et éviter les débordements, et cela dans un jeu de rôle avec le gouvernement dont elle veut rester l´interlocutrice. Par ailleurs, elle pense que la situation politique est favorable pour obtenir ses demandes.

L’accord de libre-échange avec le Mercosur semble être au cœur des revendications. Quels seront les effets de l’accord pour les différents secteurs agricoles ?

Il y a effectivement des différences selon les secteurs. Les éleveurs sont les plus inquiets car les pays membres du Mercosur, notamment le Brésil mais aussi l´Argentine, ont des capacités de production importantes en bovins, volaille, porcs, entre autres parce que ce sont également de gros producteurs de céréales et de soja. Aujourd’hui ils exportent ces productions pour la fabrication des aliments pour le bétail, demain ils pourront exporter sans quota le bétail lui-même. Il faut savoir que les règles du commerce international obligent de plus en plus à supprimer les « obstacles non tarifaires » aux échanges, c’est-à-dire les normes environnementales ou sanitaires comme l´interdiction du veau aux hormones, du poulet lavé à l´eau de javel et bien sûr les produits transgéniques.

Mais attention, le coût de la main d’œuvre et la moindre protection sociale ne sont qu´une partie des « avantages différentiels » qui favoriseraient la concurrence des pays du Mercosur. La manière dont les producteurs de maïs du Mexique ont été écrasés par les exportateurs US de maïs transgénique le montre bien. A se focaliser sur ce seul aspect on court le risque de rentrer dans la spirale du « moins disant social ». Par ailleurs certains des industriels européens qui crient à la concurrence déloyale n´ont pas hésité à délocaliser une partie de leur production, investir par exemple au Brésil pour produire les poulets exportés vers le Moyen Orient.

Chacun voit que les capitalistes européens, qui ne se soucient guère du sort de paysans toujours moins nombreux, attendent des accords avec le Mercosur des facilités pour exporter des produits industriels, dont des armes, et des services. Le libéralisme n´est pas une anomalie du système capitaliste, il en est le fondement, c´est pourquoi on ne peut pas affronter l´un sans combattre l´autre.

Ce traité vient donc souffler sur les braises d’une crise structurelle du monde agricole…

Comme je l´ai souligné au début la majorité des paysans a l´impression justifiée de perdre sa vie pour ne pas la gagner ; cela provoque des explosions de colère qui peuvent être très violentes.

Mais le pseudo-syndicat agricole, la main dans la main avec l´Etat bourgeois, au service des financiers et des industriels, détourne cette colère vers de fausses cibles. Le problème est que les paysans aux abois constatent que lors des précédentes mobilisations la FNSEA a contribué à calmer le jeu sans rien obtenir de tangible.

Il faut démasquer l’imposture de la prétendue unité paysanne qui sert à mobiliser la masse des petits paysans au service des intérêts des gros, comme on le voit dans les luttes sur la gestion de la ressource en eau, avec au passage un discours climatosceptique à peine camouflé, pour mieux cibler les « écologistes de la ville », boucs émissaires des difficultés du monde agricole.

Mais il faut dénoncer aussi le discours hypocrite sur la « ferme France » que ressortent chaque année au Salon de l’Agriculture, porte de Versailles, des ministres qui sacrifient des milliers de paysans.

Y a-t-il eu des acquis depuis les dernières mobilisations ? Comment le précédent gouvernement a-t-il répondu au dernier mouvement, et comment le nouveau compte-t-il y répondre aujourd’hui ?

Rien de tangible en échange de la démobilisation négociée par la FNSEA avec le gouvernement. Le recul sur les mesures agro-environnementales ne sert que le productivisme qui génère dans certains secteurs de nouveaux excédents qui provoquent de nouvelles baisses des prix. La promesse de « moins de paperasses » est illusoire vu l´enchevêtrement d´aides nationales et européennes qui sont la cause du grand nombre de déclarations et de contrôles. Pour aider les agriculteurs qui se sentent dépassés il faut davantage de service public agricole, à rebours des baisses de moyens.

Il a été évoqué un « prix minimum » couvrant les coûts de production et assurant un revenu décent aux producteurs, mais cela a vite été enterré. Si on rémunère les travailleurs (indépendants ou salariés) nos industriels ne seront plus compétitifs sauf à se fournir dans des pays moins exigeants. Cela a le mérite de la clarté : leurs profits avant nos vies…
Rien ne laisse croire que les réponses du gouvernement Barnier seront différentes.

Près d’un an après les mobilisations importantes qui ont traversé le secteur agricole en janvier dernier, quels sont les points communs et les différences avec le mouvement actuel ?

Le mouvement de janvier était en partie spontané, avec des initiatives locales qui faisaient tache d´huile, avec aussi la participation de tous les syndicats, progressistes comme réactionnaires. Cela se traduisait par des revendications contradictoires, mais au bout du compte le revenu agricole était la préoccupation centrale. La FNSEA avait eu beaucoup de mal à reprendre la main.

Cette fois-ci elle a pris les devants pour encadrer le mouvement, le limiter à une protestation visant á attirer l´attention des pouvoirs publics et allant jusqu’à négocier avec le gouvernement la durée des blocages. Bien sûr elle ne le dit pas tel quel, le discours officiel est « retenez-moi ou je fais un malheur » …

Mais rien ne garantit que cela fonctionne comme prévu. La fin du mouvement de janvier a laissé beaucoup de frustration, voire une impression de trahison, et beaucoup se refuseront à abandonner la lutte en échange de miettes.

Quels mots d’ordre la gauche révolutionnaire et le mouvement ouvrier devraient mettre en avant pour s’adresser aux agriculteurs ?

Je n´ai pas la prétention de connaître la bonne réponse. Il est difficile de bâtir un programme qui soit accessible à la majorité des intéressés sans détruire au préalable les mensonges sur la prétendue unité du monde paysan et sur la compétitivité de la « ferme France » opposée aux agricultures du reste du monde.

Le capitalisme ruine les agriculteurs, mais pas tous ! Une minorité de gros bénéficie du système : ceux qui sont aux commandes des fausses coopératives, de la mutualité, du Crédit Agricole, qui touchent de confortables indemnités de ces organismes tout en trustant les aides et subventions. Ces agrariens font partie de la bourgeoisie, du capitalisme que nous combattons.

Notre programme est destiné aux paysans qui sont exploités et n’exploitent personne, en structures familiales, individuelles ou associatives. Selon la terminologie officielle ce sont des indépendants, une indépendance toute relative à laquelle ils restent très attachés. Certes ils sont propriétaires de leurs moyens de production mais au prix de lourdes dettes, ils ne tirent aucun revenu de leur capital et pas grand-chose de leur travail. Nous ne souhaitons pas les contraindre, on leur a trop longtemps fait croire qu´ils étaient des chefs d`entreprises et non des paysans-travailleurs et dissiper les illusions prend du temps. Tout en montrant les avantages que présenterait un autre système nous devons les aider à se libérer de l´étau des exploiteurs qui les écrasent en amont et en aval : annulation des dettes, prix garantis…

Mais le monde agricole est aussi constitué de nombreux salariés, permanents et saisonniers dans les fermes, travailleurs des industries agro-alimentaires, qui ont des salaires de misère, une protection sociale désavantageuse notamment en termes de retraites, avec la plus mauvaises des conventions collectives.

L´agriculture est au carrefour des questions environnementales, d’alimentation, de santé publique et d´aménagement du territoire. Non seulement le capitalisme ne donne aucune réponse mais il détruit les bases de la civilisation humaine. Nous devons avoir sa peau avant qu’il ne troue la nôtre.

Ce champ est nécessaire.

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