Comment le capitalisme aggrave le désastre

Communiqué de l’Union régionale CNT-AIT du Levante.
4 novembre 2024
LE CAPITALISME EST LA PLUS GRANDE CAUSE AGGRAVANTE DES PHÉNOMÈNES CLIMATIQUES EXTRÊMES
Nous sommes horrifiés par le niveau de morts et de destructions que la catastrophe DANA[1]du mardi 29 octobre dernier a provoqué dans le Centre-Est de l’Espagne. Nous transmettons nos condoléances à tous les parents et amis des défunt. Nous espérons un rétablissement rapide de toutes les zones touchées et exigeons des améliorations adéquates face à la réalité climatique. Depuis certains de nos syndicats de la CNT-AIT, nous collaborons à la collecte des biens de première nécessité pour pouvoir les livrer le plus rapidement possible aux zones touchées ces jours-ci[2]. La solidarité, le soutien mutuel et l’autogestion qui naissent spontanément de ces catastrophes montrent que la nature humaine n’a pas de racine égoïste comme voudraient nous le faire croire les ancrages de la culture capitaliste dominante.
Nous ne partageons cependant pas l’expression récurrente dans ces moments de «retour à la normale», car, comme dans d’autres crises, nous soulignons que la soi-disant «normalité» est le problème.
La situation climatique elle-même est en grande partie une conséquence directe de notre activité économique mondiale; le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre nécessaires au maintien de la production et de la consommation capitalistes génère un changement climatique rapide, qui augmente à la fois la quantité et la force de ces phénomènes extrêmes. . Il s’agit d’un fait scientifiquement vérifié, mais activement marginalisé par les professionnels de la politique qui savent que, si la politique y répondait de manière cohérente, elle mettrait en danger la sacro-sainte croissance économique, dont dépendent les élites économiques ainsi que les États et leurs structures de pouvoir. L’euphémisme de «développement durable» promu par la social-démocratie et les libéraux ne cherche pas à réduire la croissance, qui est la seule formule efficace pour réduire les émissions et les déchets – même si nous sommes déjà en retard – mais plutôt à poursuivre la croissance capitaliste repeint sous un logo de couleur «verte», mais avec la même structure exploiteuse et polluante, changeant seulement la forme de production ou exportant les conséquences toxiques vers d’autres territoires.
La société ne considère pas non plus ce problème comme une priorité. Si on observe tant ses tendances politiques que les courants d’opinion plus ou moins populaires, il apparaît que la majorité de la société ignore ou minimise le problème. L’influence sociale des médias généralistes – et capitalistes – est évidente, qui cachent, confondent ou déforment la réalité, en faveur de la continuité du système dominant, dans cette crise et dans d’autres. L’influence particulière des réseaux sociaux ces derniers temps est aussi un élément aliénant de premier ordre, puisque leur dynamique a consacré l’opinion[et les émotions]au détriment de l’argumentation[et des débats], se transformant en un terrain fertile pour les charlatans de divers bords qui ont popularisé les théories les plus absurdes et nuisibles. Les réseaux sociaux ont mis en avant politiquement et socialement beaucoup d’individus aux pensées misérables avec leurs «bons mots» (buzz) réactionnaires, ce qui convient bien au pouvoir capitaliste de base: nous maintenir dans l’ignorance par excès ou par manque d’information contribue à limiter le développement de la conscience. Sans aucun doute, être à la merci des médias – qu’ils soient classiques ou en ligne – éloigne les gens de la réalité objective, qui est celle que permet le contact réel et l’interaction avec ce qui est le plus proche et le plus existentiel: avec les voisins, avec les compagnons de travail ou de participation à la vie sociale, professionnelle ou environnementale, aux collectifs d’assemblées et de classe… Mais là où devraient se comparent et se discutent les problèmes qui sont communs à la classe sociale et au lieu où l’on, au contraire ne pas cultiver ces possibilités, c’est s’abandonner à la vulnérabilité intellectuelle qui permet la manipulation.
La plus grande anomalie de la normalité officielle est celle qui concerne l’origine sociale des sinistrés. Dans cette crise et dans toutes les autres, la classe ouvrière, avec ou sans travail, employée ou retraitée, est toujours le groupe social le plus touché. C’est d’abord parce que nous sommes l’immense majorité, mais aussi parce que l’accès au logement dans notre cas nous conduit dans des lieux historiquement plus exposés et précaires, où les administrations ont directement permis un urbanisme kamikaze, accéléré et expansif sur des terrains plus économiques justement parce qu’ils sont exposés à différents types de risques, ce qui n’arrive pas dans les zones urbanisées des classes capitalistes. Il suffit de regarder dans les villes affectées les quartiers avec les loyers les plus élevés et les plus faibles dans les villes et on voit que les zones en hauteur, qui ne risquent pas les inondations dans ce cas, correspondent à celles avec les loyers les plus élevés.
La pression urbaine du développement urbain poussée par les employeurs du bâtiment et les banques au cours des dernières décennies a créé une dynamique administrative favorable à la promotion à grande échelle[de la construction]. La libéralisation foncière par la loi dans les années 1990 a donné l’impulsion définitive pour faciliter la construction presque partout, la recherche de requalification en «zone constructible» a ouvert la porte à davantage de spéculation et de corruption, en particulier dans la région du Levant où l’espace le plus sur n’était pas seulement réservé aux riches, aussi pour le tourisme. Dans de nombreux endroits, les risques tels que les inondations ont été ignorés en raison de travaux publics très couteux visant à rediriger l’eau, rapprochant les habitations de ces mêmes torrents.
Dans la plupart des cas, l’expansion lente et naturelle de l’eau[en cas de forte pluies]a été était limitée drastiquement, la capturant en la canalisant, ce qui augmente sa vitesse et donc sa force. Bien que ces éléments de canalisation aient été projetés avec des marges de capacité élevées, ils sont dépassés par la réalité climatique avec des conséquences dramatiques et ceux qui vivent dans ces espaces récupérés sur l’eau sont les classes ouvrières.
La principale vulnérabilité de la classe travailleuse est la coercition universelle qu’exerce sur elle le capitalisme, c’est-à-dire l’obligation de devoir vendre notre force de travail pour vivre, et ces jours-ci elle est devenue un autre piège dans le désastre que nous analysons. Pendant la catastrophe, tout le monde a pu voir comment les entreprises – déjà avec l’avis tardif de la protection civile – ne laissaient pas leurs travailleurs quitter le lieu de travail. Ainsi par exemple, les plateformes ont forcé les livreurs à continuer de distribuer leurs colis, ou encore les faisaient venir pour continuer à assurer leurs quarts de travail au milieu du chaos. Il n’y a pas de surprise dans la façon de procéder de la production capitaliste: pour eux nous sommes des chiffres et des résultats; l’exploitation quotidienne, les accidents du travail ou la condamnation au chômage corroborent cela mois après mois…
Il n’est pas possible de faire appel à la bonne volonté des employeurs, leur nature est celle de la recherche du profit et cela s’obtient en comprimant le temps et la main d’oeuvre des salariés. Les réglementations {censées nous protéger]sont lettre morte en raison de leur ambiguïté même devant l’exécutif. Il suffit de regarder le ministère du Travail lui-même qui demande – et non pas oblige – aux employeurs de respecter la loi sur les risques professionnels afin d’éviter les situations à risque. Or une alerte météorologique rouge est bien une telle situation! Mais les patrons n’avaient aucune obligation légale! Seuls certains centres de travail publics et scientifiques, comme l’Université de Valence, ont réagi à temps en renvoyant leurs travailleurs chez eux cinq heures à l’avance, évitant ainsi à leurs salariés de mettre leur vie en danger.
Face à cette logique habituelle, qui devient visible dans des situations comme celle que nous venons de vivre, la classe ouvrière, très peu organisée et sans grande cohésion, dépend presque entièrement d’un système de représentation syndicale peu soucieux du bien-être des travailleurs dans leur ensemble. Les comités d’entreprise composés d’un certain nombre de syndicats institutionnalisés, n’ont réagi à aucun moment, éloignés comme d’habitude de la réalité ouvrière et sociale qui entoure le monde du travail.[ces syndicats vivent de]privilèges au sein de la classe ouvrière, qu’ils obtiennent sans déranger les patrons. En tant que prolétaires, nous avons encore un long chemin à parcourir pour assumer la responsabilité de nous auto-organiser dans chaque entreprise, sur chaque lieu de travail, afin de contrecarrer directement le pouvoir des entreprises. L’objectif devrait être de parvenir à gérer la production ou les services à partir d’assemblées ouvrières; cette possibilité éviterait nombre des attaques patronales dont nous souffrons en tant que classe ouvrière et faciliterait également une réponse sure, juste et énergique pour ceux d’entre nous qui travaillent dans des situations de crise ou d’urgence.
L’État et ses sous-États régionaux ont pour première tâche de maintenir l’ordre établi, et cet ordre n’est autre que celui du privilège de l’élite obtenu grâce au capitalisme et à l’inviolabilité de la propriété privée. C’est la raison / le sens de leur existence et l’autorité est leur outil. L’Etat n’est pas là pour nous secourir en premier lieu, ce n’est pas qu’il soit négligent, c’est qu’il répond à une autre logique primordiale où l’aide à la Population est secondaire. Les espaces de secours qu’ils aménagent sont des créations secondaires complémentaires et non prioritaires, destinés uniquement à légitimer leur existence aux yeux de l’opinion publique en démocratie. Ainsi, face à la catastrophe, la première chose qu’il fait est de maintenir l’ordre établi en réponse aux besoins d’un peuple qui a tout perdu et qui a besoin d’avancer[3]. L’État, par ses organes et forces de sécurité, arrête toute personne qui viole la sacro-sainte propriété privée. Alors que[dans ce chaos]les mains et les moyens manquent partout,[les éléments de protection de l’Ordre établi]ne manque pas dès le premier instant. Ils appellent mises à sac ou pillage pour criminaliser ce qui est une nécessité dans des situations exceptionnelles. Les médias font écho à ces problématiques presque anecdotiques pour donner le sentiment d’un danger social et justifier une répression sévère contre les victimes. Aujourd’hui, même des groupes réactionnaires se joignent à cette fausse alerte sociale pour se plonger dans l’émotion viscérale d’aujourd’hui, en organisant des patrouilles paramilitaires qui parcourent les rues pour défendre leurs marchandises, pourtant déjà couvertes par les assurances, et qui pourraient servir à atténuer des situations graves.
Défendre la propriété privée n’aide pas le peuple, cela aide le capitalisme, l’expropriation sociale de la propriété est un droit alors que la subsistance en tant que groupe social nous est refusée. La deuxième réaction de l’État face au vide structurel de gestion et à l’organisation sociale spontanée qui en résulte est de déployer un grand nombre de forces de l’ordre, non pas tant pour soulager ou aider, que pour contrôler les réactions de mal-être qui découle de l’effondrement culturel des croyances sociales établies.
La Généralité de Valence – l’une de ces Région, sous-États compétents pour réguler nos vies, pour gérer et répondre aux risques possibles au sein de la structure exécutive de l’État – a minimisé la menace jusqu’à ce qu’il soit trop tard, alors qu’elle avait été alertée scientifiquement 10 heures à l’avance. À l’incompétence homicide de ceux qui occupent des postes de responsabilité bien payés et dotés d’un grand pouvoir – que nous devrions immédiatement défenestrer… – nous ajoutons, comme nous le soulignons tout au long de cet écrit, qu’il ne s’agit pas seulement d’une négligence de la part de personnes spécifiques. La chaîne des «échecs» est un fait structurel inhérent au capitalisme et à son organisation sous la régulation du parlementarisme délégatif Si cette organisation existe partout, c’est spécifiquement dans la région levantine que la facilité accordée par l’administration à l’expansion capitaliste a généré bon nombre de désastres, fondamentalement lié à l’urbanisme et aux chantiers de construction (métro de Valence, incendie du complexe résidentiel de luxe «Valencia» en février 2024, construction du réservoir de Tous suite à la rupture du barrage de 1982 …). Comme nous pouvons le constater malheureusement ces jours-ci le BTP, qui était pourtant le secteur le plus vanté par l’administration elle-même comme formule de développement, a finalement eu beaucoup à voir avec le niveau de destruction et de mortalité comme nous l’avons souligné plus haut.
L’autre point à souligner dans le comportement de l’administration exécutive élue est celui qui concerne l’arrêt de la production et de la consommation capitalistes face aux alertes, une possibilité qui sauve des vies et qui n’est pas exploitée. Il semble que le maintien de la «normalité» nécessite un certain risque. Dans ce contexte capitaliste, le principe de précaution n’est applicable ni pour assurer le bien-être des travailleurs, ni pour maîtriser la fabrication des produits finaux eux-mêmes (toxicité, contaminants, etc.). ) Comment peut-il encore exister une croyance sociale selon laquelle l’État ou ses petits frères s’occuperaient du peuple?… Dans des semaines, des mois et des années, nous verrons à nouveau, comme dans d’autres catastrophes, comment les autorités hiérarchiques tenteront d’échapper à leurs responsabilités envers leurs subordonnés, résistant à leurs obligations subsidiaires, ou comment les assureurs réduiront, entraveront ou retarderont les indemnisations en plein deuil… car au début[de la catastrophe]le Capital et l’État portent le masque de la douleur, mais quand les émotions se calment, ce qui compte dans le capitalisme c’est l’équilibre économique et politique.
Enfin, nous voyons se refléter dans d’innombrables images les «barricades» que la nature a construites dans les rues avec tous les biens, propriétés et déchets générés par le consumérisme, comme s’il s’agissait d’une révolution. La nature construit ces murs faits des conséquences d’une société qui a accumulé des objets et des biens sans nécessité vitale, et qui ont finalement contribué à aggraver la situation avec les blocages qu’ils ont générés. La voiture, symbole de l’individualisme et du capitalisme de consommation, redevient un piège – comme ce qui arrive avec l’effet de ses émissions ou lors des accidents.
Une mobilité majoritairement collective et non individuelle atténuerait les grands problèmes généraux comme les problèmes particuliers. La Méditerranée, cette mer poubelle, reçoit désormais tout le poison que notre société produit, matériellement mais aussi mentalement…
Il est entre nos mains, nos esprits et nos corps, ceux de toutes les classes populaires, de repenser ce qu’est réellement la «normalité». Le réveil que doit provoquer cette nouvelle approche dans les consciences doit nous permettre de réémerger comme des humains justes et libres, sans crainte de désobéir, pour rechercher, parmi toutes celles et ceux qui n’ont pas été contaminées par les privilèges du capitalisme, notre émancipation.
Organisation sans hiérarchie ni autorité, solidarité et entraide, rassemblement et action directe, dans la rue, sur les lieux de travail, dans les quartiers jusqu’au monde entier.
Confédération Régionale Levante de la CNT-AIT.
[1]depresion aislada en niveles alto en espagnol, ou dépression isolée à niveau élevé en français
[2]Cf. l’article
ESPAGNE: ENTRAIDE ET SOLIDARITE CONCRETE FACE A LA CATASTROPHE DES INONDATIONS
[3]Note des traducteurs: On se souvient que déjà lors de la catastrophe de l’explosion de l’usine chimique d’AZF à Toulouse en 2001, ou lors de l’Ouragan Katarina en Louisiane en 2005, les mêmes scènes et la même politique de maintien de l’ordre établi était à l’oeuvre, montrant bien la caractère structurel du phénomène.
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