Stéphane François –
Au-delà de Marine Le Pen au RN, l’extrême droite s’est largement féminisée ces dernières années, et les militantes y jouent un rôle de premier plan.
Les porte-parole de Génération identitaire sont quasi systématiquement des jeunes femmes, telles Anaïs Lignier ou Thaïs d’Escurfon. Ces militantes donnent une meilleure image de ces groupuscules, elles offrent une meilleure vitrine, moins agressive et plus glamour, plus lisse, que celle que pourraient donner de vieux militants identitaires, passés par le GUD, par Unité radicale (des formations connues pour leur violence), ou par la mouvance skinhead d’extrême droite. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont là uniquement pour faire de la figuration ou pour changer l’image de ces groupuscules, au contraire. Ce sont des militantes avec des convictions politiques.
Le FN pionnier en France
Ce phénomène est particulièrement intéressant, car, durant longtemps, les femmes, à l’extrême droite, n’ont joué qu’un rôle secondaire. Les principaux théoriciens, les principaux hommes politiques d’extrême droite, étaient des hommes. Cela ne veut pas pour autant dire qu’auparavant, elles n’étaient pas présentes. Leur rôle était plus discret. Dès les années 1960, il y eut même quelques figures internationales comme la théoricienne néonazie Savitri Devi (qui fut aussi une pionnière dans la pensée antispéciste), mais il faut reconnaître qu’elles étaient rares. Le milieu d’extrême droite est plutôt masculin.
En France, cela a changé à partir du milieu des années 1980 avec le Front national. Jean-Marie Le Pen n’a pas hésité à mettre des femmes en avant, telles Marie-France Stirbois ou Marie-Christine Arnautu. La féminisation a continué avec le rôle joué par ses filles: Yann, Marie-Caroline et, évidemment, Marine Le Pen.
Dans les années 1990, il y a eu aussi des militantes néopaïennes d’extrême droite qui insistaient, voire théorisaient, sur le rôle traditionnel de la femme dans des sociétés païennes, sur leur féminité, sur le fait que, donnant la vie, elles sont proches des cycles cosmiques et de la Nature, sur leur rôle éducatif dans la transmission des valeurs identitaires-païennes, etc. Certaines mettaient aussi en avant la liberté des femmes dans le monde nordique antique, anticipant le discours «féministe» actuel proposé par certains groupes de la droite radicale.
Concernant ce féminisme d’extrême droite, il y a deux précisions à apporter. Premièrement, le discours sur le «migrant violeur», ou plutôt sur «l’immigré violeur», mis en avant aujourd’hui par ces militantes, est, en fait, très ancien: on le trouve, par exemple, dès les années 1960 dans la revue Europe Action, du groupuscule du même nom et dont le leader était Dominique Venner. La revue, dans un contexte post guerre d’Algérie, en avait fait l’un de ses leitmotivs racistes. Mais l’équipe éditoriale d’Europe Action était masculine, il faut le préciser.
Aujourd’hui, elle entre en résonance avec une partie des peurs de l’opinion publique. Dans ce sens, on peut dire que l’extrême droite a gagné la bataille des idées, en ce qui concerne la sécurité des femmes, martelant et diffusant l’idée que les agresseurs sont des migrants ou des personnes issues de l’immigration. Cela d’autant plus facilement qu’une partie de la droite s’est alignée sur ces thématiques et que les gauches ne proposent rien en retour.
Ces militantes font, en outre, le lien entre la sécurité et les thématiques de l’extrême droite: une «vraie féministe» serait forcément pour la remigration et le rejet de l’islam. Cependant, les idées proposées par l’extrême droite actuelle (différentialisme, remigration, opposition des cultures et des civilisations, etc.) ont été formulées dès les années 1960, notamment par le groupuscule de Dominique Venner. Il ne s’agit que d’une reformulation.
Deuxièmement, il ne faut pas oublier la capacité de l’extrême droite de reprendre et retourner des concepts forgés à gauche. C’est le cas du féminisme: entre les années 1960 et les années 2010, les féministes n’étaient vues par l’extrême droite que comme des «folles furieuses» haïssant les hommes. On retrouve encore d’ailleurs aujourd’hui ces arguments dans ces milieux. L’évolution vers le féminisme n’est donc pas complète…
La «civilisation européenne» face au «monde arabo-musulman»
L’extrême droite profite de la généralisation de la notion «d’identité» dans le débat public, de plus en plus prônée non seulement à droite mais aussi à gauche: c’est en opposition aux discours des indigénistes ou des décoloniaux qu’un groupe comme Némésis prétend défendre «l’identité de la femme française». Surtout, il faut retenir que le discours identitaire d’extrême droite est un renversement des concepts identitaires et décoloniaux formulés par une extrême gauche dans les années 1970.
En effet, c’est d’abord à gauche que la notion d’identité a été théorisée, dans un contexte de décolonialisme donc. La Nouvelle Droite l’a récupéré à la fin de cette décennie afin d’élaborer son discours sur l’identité européenne. Pour ses théoriciens, il fallait pousser la logique jusqu’à son extrême et décoloniser l’Europe. D’abord de la «coca-colanisation» américaine et, à partir des années 1980, d’une «colonisation inversée» provoquée par une immigration de peuplement non-européenne.
À partir de cette date, on a vu apparaître dans cette mouvance un autre discours, portant sur la nécessité de préserver la femme française/européenne, c’est-à-dire, pour le formuler autrement, sur la nécessité de préserver la femme blanche. C’est un rejet violent du métissage, bien qu’il soit énoncé parfois sur un mode universitaire. Dans les faits, on est proche sur le plan intellectuel de la fameuse phrase de «Quatorze mots» des néonazis/suprémacistes américains: «Nous devons préserver l’existence de notre peuple et l’avenir des enfants blancs» (suite de la phrase rarement citée: «Car la beauté de la femme aryenne blanche ne doit pas disparaître de la terre»).
Par contre, la nouveauté réside dans le fait que certains groupes de cette mouvance, en particulier de la mouvance identitaire, marqués par une idéologie «nationaliste-révolutionnaire», n’hésitent plus à insister depuis les années 2000 sur le fait que la civilisation européenne, païenne et permissive, s’oppose à un monde arabo-musulman sclérosé, forcément patriarcal, réactionnaire, misogyne et hostile aux valeurs européennes. Ce fut le cas, par exemple, de Guillaume Faye (décédé en 2019), une grande référence de cette mouvance. Il est donc logique de voir dans ces formations des militantes mises en avant.
L’essor de ce type de discours est parfois justifié par le fait qu’on assisterait au déclin d’un féminisme universaliste de gauche. En effet, les «féministes identitaires» ont affirmé plusieurs fois avoir été les seules à défendre Mila, et plus largement toutes les femmes qui luttent contre l’intégrisme religieux (avec évidemment une focalisation sur le seul islam). Néanmoins, on peut douter que le féminisme de gauche soit réellement en déclin, mais, en crise, il l’est assurément.
Par contre, on peut constater, y compris chez les féministes de gauche, ou chez les universalistes, une crispation identitaire et une focalisation sur l’islam, qui a permis à la parole d’extrême droite de se libérer. En effet, on insiste depuis une vingtaine d’années, voire au-delà, sur un islam forcément réactionnaire, hostile aux femmes, etc., qui ignore la diversité des pratiques religieuses musulmanes ainsi que l’évolution du statut des femmes dans cette religion. Ce discours supposé progressiste a permis à une petite musique, implicitement raciste, de se diffuser et d’entrer en résonance avec les thèses, explicites, de l’extrême droite. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de possibilités d’émettre des critiques quant à cette religion, mais il faut reconnaître que l’assimilation de l’islam aux seuls extrémistes est particulièrement réductrice.
L’occupation permanente de la toile et des médias par ces groupuscules identitaires a permis à l’extrême droite de diffuser progressivement ses idées hors de la zone militante, le tout dans un contexte anxiogène et de crispation identitaire. C’est une façon de participer à la guerre des idées et, surtout, de la gagner.
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