Le logo de la COP29 apparaît sur la façade d’un bâtiment à Bakou, la capitale azerbaïdjanaise, le 11 septembre 2024. – © AFP / Tofik Babayev
Après l’Égypte et les Émirats arabes unis, l’Azerbaïdjan s’apprête à accueillir la COP. Un pays qui, comme ces autres États hôtes du sommet sur le climat, mise sur les hydrocarbures et réduit au silence les voix divergentes.
« Jamais deux sans trois. » Un brin amère, Myrto Tilianaki dessine en quelques mots les portraits de l’Égypte et des Émirats arabes unis : « Ces deux pays, ayant accueilli la COP27 et la COP28, ont en commun d’être des États pétroliers où les droits humains sont réprimés, déplore la chargée de plaidoyer à Human Rights Watch. Et mauvaise nouvelle : le pays hôte de la COP29 partage les mêmes caractéristiques. »
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Du 11 au 22 novembre, l’Azerbaïdjan hébergera les négociations annuelles sur le climat. Depuis la fin des années 1990, ce territoire d’Asie occidentale exploite d’immenses gisements pétroliers et gaziers en mer Caspienne. Si son économie dopée aux fossiles pourrait freiner les ambitions lors du sommet, militants et diplomates redoutent aussi les répercussions de son régime autoritaire. À sa tête figure l’indéboulonnable président Ilham Aliyev. Il y a vingt-et-un ans, il a succédé à son père, ancien agent du KGB, les services de renseignement de l’URSS.
Les États pétroliers s’emparent des COP
« Un don de Dieu. » Tels sont les mots employés par Ilham Aliyev pour décrire les réserves d’hydrocarbures de son pays. Bien que l’État ait récemment investi dans les énergies renouvelables, 64 % de ses recettes publiques demeurent tributaires du pétrole et du gaz. Avec un tel pourcentage, le pays se hisse au 9e rang mondial des États les plus dépendants à l’extraction de fossiles, d’après le groupe de réflexion Carbon Tracker. À titre de comparaison, les Émirats arabes unis occupent la 13e place de ce classement. L’Égypte, la 32e.
À croire son chef d’État, l’abandon de ce trésor souterrain n’est pas pour demain. En avril, lors d’une réunion de préparation à la COP29, il a présenté ses plans d’expansion de la production de gaz. Une stratégie justifiée par la guerre en Ukraine et les sanctions financières de l’Europe sur la Russie. Objectif pour le pays du Caucase : s’imposer comme l’alternative au gaz de Vladimir Poutine, malgré les relations étroites qu’Ilham Aliyev continue d’entretenir avec son homologue russe.
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Le 30 octobre, l’ONG Oil Change International a ainsi dévoilé que le pays hôte de la COP29 devrait augmenter sa production d’hydrocarbures de +14 % d’ici 2035. Et les prévisions ne sont guère meilleures pour les Émirats, avec +34 %, et le Brésil, futur hôte de la COP30, avec +36 %. En février, quelques mois après l’accord signé à Dubaï en faveur d’une sortie progressive des fossiles, ces trois nations avaient déclaré « se constituer en “troïka des présidences de COP” pour améliorer la coopération et la continuité des négociations climatiques », précise l’ONG.
Leurs trajectoires sont pourtant diamétralement opposées aux préconisations scientifiques : pour ne pas dépasser la limite de +1,5 °C et rester dans les clous de l’Accord de Paris, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la production mondiale de combustibles fossiles doit chuter de près de 55 % en dix ans. « La troïka risque ainsi de compromettre l’objectif dont elle est censée être la gardienne et donner un terrible exemple aux autres pays », déplore Shady Khalil, d’Oil Change International.
La sécurité des militants questionnée
Au-delà de cette dépendance commune, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Azerbaïdjan ont aussi la fâcheuse tendance d’écarter les voix dissidentes. « Lors de la COP27 à Charm el-Cheikh [en Égypte], des défenseurs de l’environnement ont été bâillonnés, interdits de visa. Lors de la COP28 à Dubaï, prononcer le nom de militants émiratis emprisonnés était formellement défendu… sous peine d’on ne sait trop quoi, précise Michel Forst, le rapporteur spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU). Et malheureusement, ce sera la même chanson à Bakou. »
Les autorités azerbaïdjanaises n’ont d’ailleurs pas attendu l’ouverture officielle de la quinzaine de négociations pour commencer le ménage. « Une terrifiante série d’arrestations et d’incarcérations a été orchestrée dans le pays, s’insurge l’Irlandaise Mary Lawlor, rapporteuse spéciale des Nations unies. Les journalistes indépendants et les militants écologistes en sont les premières victimes. » Elle dénonce notamment l’affaire Anar Mammadli, éminent défenseur de la justice climatique : « Faussement accusé d’avoir introduit illégalement de l’argent dans le pays, il a été jeté derrière les barreaux en avril et encourt jusqu’à huit ans de prison. »
« Comment pourraient-ils s’exprimer sereinement et librement ? »
Devant ces risques de répression, quelles garanties de sécurité apportent les Nations unies à la société civile ? Chaque année, un accord de siège est négocié entre l’ONU et le pays hôte. Censé être public, il fixe en quelque sorte les règles du jeu, ce qui est autorisé et défendu. « En 2023, nous l’avons réclamé en amont de la COP28 à Dubaï mais n’avons jamais rien reçu, déplore Myrto Tilianaki. Amnesty International a fini par mettre la main dessus des mois après la COP. Pourquoi un tel manque de transparence ? »
Bis repetita cette année. Human Rights Watch a obtenu seulement un mois avant l’ouverture de la COP une copie de l’accord signé en août entre Bakou et l’ONU. Analyses faites, Myrto Tilianaki déplore un texte rempli de lacunes et d’ambiguïtés. S’il stipule que les participants à la conférence « bénéficient de l’immunité de juridiction pour les paroles prononcées ou écrites et pour tout acte accompli », une clause distincte les soumet aux lois azerbaïdjanaises et leur ordonne de ne pas s’immiscer dans les « affaires intérieures » du pays.
« Que se passe-t-il dès lors qu’on quitte la zone des négociations et que l’on grimpe dans le métro pour rejoindre son hôtel ? Risque-t-on d’être arrêté ? Là-dessus, le doute plane depuis maintenant trois ans, regrette la chargée de plaidoyer. Sans parler des activistes des pays du Sud, dont la protection est bien moins assurée. Comment pourraient-ils s’exprimer sereinement et librement ? »
« Les risques sont bien trop grands »
En septembre, le ministère des Affaires étrangères a publié une notice déconseillant formellement à tous les ressortissants français de se rendre en Azerbaïdjan. Manquant de clarté quant aux protections mises en place, nombreux activistes ont ainsi décidé de boycotter le sommet international : « Non, Bloom n’ira pas, confirme à Reporterre Hadrien Goux, chargé de plaidoyer à l’ONG. Les risques sont bien trop grands. » Même son de cloche du côté de Greenpeace France et de Global Witness.
D’autres organisations ont choisi de s’y présenter sans jamais aborder autre sujet que les questions climatiques. « Quoiqu’il en soit, il faudra s’abstenir de tout éternuement en public, abonde Antoine Madelin, de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH). Dénoncer la corruption ou le mépris des droits humains, c’est s’exposer à un risque d’incarcération. Il faudra rester silencieux, observer et agir une fois quitté l’Azerbaïdjan. »
Si la société civile est vouée à se murer dans le silence, difficile d’imaginer que les négociations devant s’ouvrir le 11 novembre déboucheront sur un accord et une politique climatique ambitieuse et équitable. Pour Michel Forst, « c’est alarmant ».
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