Jamais les prisons françaises n’ont enregistré un si grand nombre de détenus avec le chiffre record de 80 130 personnes incarcérées pour 62 357 places au 1er novembre, selon des chiffres obtenus vendredi 29 novembre auprès du ministère de la Justice. Mal endémique français, la surpopulation carcérale ne cesse de battre des records mois après mois.
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« Cela veut dire 3-4 personnes entassées dans des cellules de 9 m² prévues en principe pour une personne, 4 000 d’entre elles dorment sur des matelas à même le sol, alerte Jean-Claude Mas, président de l’Observatoire international des prisons interrogé par Amélie Beaucour du service France de RFI. Cette surpopulation accentue la vétusté et la salubrité, qui est déjà emblématique des établissements pénitentiaires, et qui réduit aussi quasi à néant les possibilités d’accompagnement et d’accès au droit des personnes. »
« C’est un record inégalé », confie une source au ministère de la Justice à l’AFP, en déplorant le franchissement du seuil de 80 000 détenus. Parmi les personnes incarcérées, 20 831 sont des prévenus, en détention dans l’attente de leur jugement définitif. Au total, 96 569 personnes étaient placées sous écrou au 1er novembre. Parmi elles, on compte 16 439 personnes non détenues faisant l’objet d’un placement sous bracelet électronique ou d’un placement à l’extérieur.
Retard sur la construction de nouvelles places
Ces nouveaux chiffres désastreux quant à la surpopulation carcérale arrivent alors que le ministre de la Justice, Didier Migaud a averti que la mise en œuvre du plan de construction de 15 000 places de prisons supplémentaires, promises par Emmanuel Macron en 2017, ne pourra être honorée dans les délais. Elles étaient prévues d’ici 2027, pour le moment 4 500 ont été livrées.
Auditionné devant la commission des lois du Sénat concernant le budget de la Justice pour 2025, le garde des Sceaux a insisté sur les « difficultés » rencontrées « dans le calendrier des grandes opérations de construction », affirmant que seuls 42% des 15 000 nouvelles places de prison devraient être opérationnelles en 2027, soit 6 421, « si tout se passe bien ». « L’achèvement du « plan 15 000″ ne sera pas possible opérationnellement avant 2029, dans le meilleur des cas », a-t-il précisé.
En attendant que ce plan « absolument nécessaire » aboutisse, une source au ministère de la Justice interrogée par l’AFP a évoqué « la réhabilitation d’établissements pénitentiaires désarmés », « la construction de structures modulaires » comme en Belgique ou en Allemagne ou encore « la conversion de bâtiments publics non utilisés ». Didier Migaud vient de lancer trois missions d’urgence, dont une concerne l’univers carcéral.
« La prison est nécessaire, elle est là pour punir et protéger les citoyens, mais l’incarcération doit se faire dans des conditions sécurisées pour les agents et dignes pour les détenus », a expliqué le garde des Sceaux. Face à la surpopulation carcérale, il faut « envisager tous les outils possibles » dont des « mesures alternatives à l’incarcération pour les infractions de faible gravité ».
Appels à des réformes de fond
Fin octobre, l’Observatoire international des prisons et une trentaine d’autres organisations dont le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et le Conseil national des barreaux ont plaidé dans un texte commun pour des « réformes de fond visant à réduire le recours à l’incarcération et sa durée, fondées sur un changement de regard de la société ».
« La prison ne doit plus être considérée comme la référence du système pénal, et ses alternatives, loin d’être symboliques, doivent se substituer à l’enfermement », ont souhaité les organisations signataires. Elles insistent sur l’urgence de repenser la politique pénale et pénitentiaire, alors que « cela fait 24 mois que nous vivons des taux de préoccupation record après record », souligne le président de l’OIP, au micro de RFI.
Et rien ne laisse présager de quelconques progrès en la matière, au contraire, déplore Jean-Claude Mas. « Pour l’instant, il n’y a aucun changement significatif qui laisse à montrer que la situation pourrait s’améliorer. On voit qu’il y a un certain nombre de propositions de lois qui vont dans l’autre sens, avec une volonté de faire en sorte que les courtes peines, par exemple, puissent être complètement réalisées en prison. Donc non, on est plutôt dans une logique de surenchère sécuritaire et répressive qui n’est pas du tout encourageante du point vu de ce que ça peut signifier en termes de sur-incarcération et de surpopulation carcérale. »
Une « réinsertion impossible »
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Afin d’améliorer la situation, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL ) Dominique Simonnot propose depuis 2018 l’« inscription dans la loi d’un dispositif de régulation de la population carcéral ». Ce qui pourrait se traduire notamment par le réexamen des dossiers à quelques mois de la fin de la peine par le juge, avec les services de réinsertion et de probation, pour envisager la sortie d’un détenu encadrée par ces mêmes services. Ce qui éviterait les sorties « sèches », c’est-à-dire sans aucune aide, pour privilégier des sorties « avec quelqu’un qui veille sur vous et votre dossier. »
Mais rien n’a été fait en ce sens, et le gouvernement préfère se concentrer sur la création de nouvelles places plutôt que sur la réinsertion des détenus, pourtant la priorité selon les organisations de défenses des droits de l’homme.« La prison est aussi là pour réinsérer et cette réinsertion est impossible, dénonçait Dominique Simonnot dans un entretien à RFI l’année dernière. D’abord parce que, le personnel médical et de surveillance est contingenté selon le nombre de places théoriques d’une prison et non selon le nombre réel des résidents de la prison. » Mais aussi parce que « les ateliers, les activités d’enseignements et d’apprentissage sont inaccessibles à cause du monde », pointe la CGLPL.
« Cette surpopulation va emboliser tous les compartiments de vie au quotidien en milieu carcéral : l’accès aux soins, l’accès aux activités, à une formation, à un travail, confirme le président de l’Observatoire international des prisons. Donc, comment espérer que les personnes puissent véritablement engager des parcours de réinsertion quand elles sont à ce point maltraitées, quand elles sont traitées avec une telle indignité et qu’elles subissent une atteinte répétée à leurs droits les plus élémentaires ? »
À la mi-mars, le Conseil de l’Europe a exprimé sa « profonde préoccupation » à propos de la surpopulation carcérale chronique française. L’institution a invité les autorités françaises à « examiner sérieusement et rapidement l’idée d’introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale ». Selon une étude publiée en juin par cette organisation de défense des droits de l’homme, la France figure parmi les mauvais élèves en Europe en termes de surpopulation carcérale, en troisième position derrière Chypre et la Roumanie.
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