POLITIQUE – « 400 à 600 personnes » impliquées dans une « rixe » ? Au lendemain de la fusillade qui a fait un mort à Poitiers, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a donné une version des faits non confirmée pour ne pas dire contredite par le procureur de la République. « Pratique minable » de « communication politique », s’indigne le coordinateur national de la France insoumise Manuel Bompard ce samedi 2 novembre.
« Ça a commencé par une fusillade sur un restaurant et ça s’est achevé par une rixe entre bandes rivales qui a engagé plusieurs centaines de personnes », a déclaré Bruno Retailleau au micro de RMC/BFMTV vendredi matin quelques heures après les faits. Avant d’évoquer « un compte rendu du préfet » selon qui « entre 400 et 600 personnes (étaient) impliquées avec toutes sortes d’armes ».
Problème : cette version n’a pas été corroborée par le procureur de la République vendredi en début de soirée. S’il confirme les « coups de feu » devant un restaurant, Cyril Lacombe évoque seulement une « soixantaine de personnes » à l’arrivée des forces de l’ordre sur les lieux. « Cette foule faisait montre d’une certaine véhémence dans ses revendications » pour savoir ce qui s’était passé et afin de préserver la scène, des grenades lacrymogènes ont été utilisées par les forces de l’ordre. « Aucune dégradation » n’a été commise, précise cependant le magistrat qui ne mentionne pas de « rixe entre bandes rivales ».
Le décalage entre ces propos et ceux du ministre de l’Intérieur n’est pas passé inaperçu. Relayant un article de Libération, le coordinateur national de La France Insoumise Manuel Bompard a accusé Bruno Retailleau de se servir du drame pour faire sa « communication politique. » « Un adolescent de 15 ans entre la vie et la mort et quatre autres mineurs blessés, c’est déjà suffisamment grave. Pourquoi inventer en plus une rixe qui n’a pas eu lieu ? », s’insurge-t-il sur X. L’adolescent est depuis décédé, a annoncé la justice.
Retailleau assume « des termes martiaux » contre le narcotrafic
Le locataire de Beauvau a-t-il parlé trop vite ? Quelques minutes seulement après son interview sur BFMTV, son cabinet a précisé ses propos en les nuançant. « Il y a eu plusieurs parties dans la soirée avec plusieurs centaines de personnes au début, puis quand le préfet est arrivé il en restait 80 à 100. Et enfin, il y a une expédition punitive avec 50 ou 60 personnes », indiquait au HuffPost le ministère de l’Intérieur. Beauvau disait alors être « en train de consolider l’information ».
Ce qui interroge sur la prise de parole du « premier flic de France » : sans information confirmée, Bruno Retailleau n’aurait-il pas dû faire preuve de plus prudence ? Cela n’est toutefois pas surprenant au regard de la stratégie de l’ancien sénateur ; tout à son objectif de « rétablir l’ordre », il a fait de la lutte contre le trafic de drogue un point central.
Le 16 octobre à l’Assemblée, il n’hésitait pas à mettre sur le même plan lutte contre terrorisme et narcotrafic, deux combats à mener « avec la même détermination ». Le nouveau locataire de Beauvau revendique un vocabulaire « martial » : il y a une « guerre, un combat » à mener contre « les narco-racailles », déclarait-il vendredi en marge d’un déplacement à Rennes, aussi théâtre d’un drame sur fonds de narcotrafic une semaine plus tôt.
En parallèle, il s’agit aussi de faire mieux que Gérald Darmanin, son prédécesseur place Beauvau qui avait marqué avec sa sortie « la drogue c’est de la merde » et ses « Opérations Place nette ». S’il ne remet pas en question leur utilité, Bruno Retailleau répète qu’il est prêt à « les améliorer » – une façon subtile de minimiser leur efficacité.
La com’, et après ?
Vendredi, Bruno Retailleau n’a pas hésité pas à parler de « point de bascule » sur le trafic de drogue avant une « mexicanisation » du pays. Une communication bien huilée, un brin alarmiste… mais qui se heurte parfois aux faits. Comme ce vendredi où le décalage est flagrant entre la version du ministre et celle du procureur de la République.
De même, l’ancien préfet des Bouches-du-Rhône Gilles Leclair a remis en question les propos du ministre, estimant que « le point de bascule, on l’a dépassé depuis des années ». « Il faut une politique de suivi qui dépasse les frontières politiques et les rendez-vous électoraux. Il ne faut pas qu’on envoie comme ça des messages tous les quatre matins sans qu’il y ait des gens sur le terrain, sans une politique de prévention, contre le blanchiment d’argent », a ajouté l’ancien représentant de l’État sur BFMTV ce samedi 2 novembre.
Bruno Retailleau a promis « trois temps et trois réponses ». Mais la première, censée répondre « dans l’immédiateté » et principalement sécuritaire, va devoir s’adapter aux contraintes budgétaires actuelles. Celle sur le long terme pour « briser l’écosystème » du narcotrafic devra se construire avec ses collègues de la Justice et de l’Économie, issus d’autres bords politiques et pas forcément alignés avec le très droitier ministre de l’Intérieur. Un déplacement à Marseille (Bouches-du-Rhône) avec Didier Migaud est prévu vendredi 9 novembre, avec des annonces. Quant à la troisième « réponse » évoquée par le ministre vendredi, elle se traduit par une campagne de communication pour « mettre les consommateurs devant leurs responsabilités ». Elle sera « cash » vante par avance Bruno Retailleau. On ne se refait pas.
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