« Violeur t’es foutu, on est toutes dans la rue » : contre le patriarcat, une marche miroir de toutes les luttes

À l’appel du collectif féministe #NousToutes, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans toute la France le 23 novembre pour dénoncer les violences faites aux femmes et aux minorités de genre, mais aussi le manque de moyens et les insuffisances législatives.

Sophie Boutboul

Toutes les deux minutes et trente secondes en France, un viol ou une tentative de viol se produit. Toutes les deux minutes et trente secondes, durant la manifestation, un bruit de sirène a retenti.

Comme chaque année depuis 2018, des manifestations étaient organisées partout en France le samedi précédent le 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, à l’appel du collectif #NousToutes et de 400 organisations. Des dizaines de milliers de personnes se sont réunies à travers la France. Le collectif affirme qu’elles étaient 80 000 à Paris.

En tête du cortège parisien, Yéléna Mandengué, de #NousToutes, rappelle que la mobilisation vise « la casse de nos conquis sociaux, le maintien d’un système de domination, permettant les féminicides, les violences sexuelles et l’inceste ».

Partout sur le chemin de la marche, de la gare du Nord à la place de la Bastille, des pancartes violettes, aussi diverses que les combats portés par l’ensemble de l’arc féministe : « 1000 féminicides sous Macron #ÉtatCoupable », « la transphobie tue », « handies [handicapées – ndlr] discriminées invisibilisées #stopValidisme », « mon corps mon choix ». Et encore « Gisèle on vous croit, Dominique et les autres on vous voit », en référence au procès des viols de Mazan.

Dans la manifestation parisienne du 23 novembre. © Photo Bastien André / Hans Lucas via AFP

Les marques de soutien envers Gisèle Pélicot sont très nombreuses dans le parcours. Océane, aide-soignante de 25 ans, n’avait jamais manifesté de sa vie avant septembre. Le déclic a été le procès de Dominique Pélicot. Elle en est à sa troisième manifestation féministe depuis son ouverture. Sur sa pancarte fait maison est écrit : « Les patates, ça se met dans la raclette, pas dans la tête. » Si elle est présente, c’est aussi pour sa mère, qui a subi des violences conjugales pendant plusieurs années, confie-t-elle.

Sur un camion estampillé « Brûlons le patriarcat », une autre scande : « Moins de 1 % de violeurs condamnés, nous demandons l’introduction dans la loi d’un consentement éclairé, libre et révocable, pour protéger les enfants. Aux victimes, nous disons vous n’êtes pas responsables, nous vous croyons. »

« Violeur t’es foutu, on est toutes dans la rue », ont chanté les manifestant·es, sur une bande-son assez similaire d’année en année : de « Résiste » de France Gall, à « Balance ton quoi » d’Angèle, en passant par « Ma philosophie » d’Amel Bent et « Run the world (girls) » de Beyoncé.

Nafi, 39 ans, qui travaille dans les ressources humaines, porte sur ses épaules sa fille Fatima, 7 ans, qui tient elle-même à bout de bras une pancarte : « Un·e enfant n’est jamais consentant·e. » Son autre fille, Rouguy, 11 ans, est aussi à leurs côtés. Il s’agit de leur première manifestation féministe.

« Je veux que mes filles aient conscience de l’importance de s’engager pour pouvoir préserver leurs droits et militer pour ceux des autres », explique Nafi. Rouguy loue la nécessité de respecter le consentement d’autrui  : « Ma mère m’a téléchargé une appli en cas de violences sexuelles ou de danger pour moi dans la rue, dit-elle avec énergie. Je soutiens les femmes et les enfants violés et en danger. »

Macron en ligne de mire

Les luttes contre toutes les violences faites aux femmes et aux minorités de genre semblent converger dans un énorme ras-le-bol face à l’inaction du gouvernement et du président Emmanuel Macron.

Ainsi, Sarah-Marie Maffesoli, de Médecins du Monde France, précise qu’elle regrette « l’irresponsabilité dans la lutte contre les violences de genre du gouvernement Barnier, les politiques publiques répressives, souvent racistes et sexistes, qui entravent l’accès au droit et favorisent les violences sexuelles dans les hôtels du 115 pour les femmes hébergées, notamment pour les travailleuses du sexe, personnes exilées et mal logées ».

Anna, écoutante au collectif féministe contre le viol (CFCV) depuis trois ans, porte comme revendications « la fin de la correctionnalisation » [la déqualification par la justice d’un viol en agression sexuelle – ndlr], « l’imprescriptibilité des crimes sexuels », l’établissement de « soins psychologiques gratuits et spécialisés pour toutes les victimes », ainsi que la non-condamnation « des mères protectrices » qui refusent que leurs enfants soient gardés par leur père.

Massica, cofondatrice de la marche féministe antiraciste, dénonce elle aussi « un gouvernement qui flirte avec l’extrême droite » et « des répressions coloniales dans les départements d’outre-mer », mais aussi « une année particulièrement violente pour les femmes et les queers des quartiers populaires » ou « un acharnement islamophobe ».

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© Photo Bastien André / Hans Lucas via AFP

« Avec la montée de l’extrême droite, on essaye de faire ce qu’on peut à notre échelle », dit Karen, 31 ans, infirmière puéricultrice dans un service d’urgences pédiatriques, venue d’Alsace pour sa première manifestation contre les violences faites envers femmes et les minorités de genre. « Pour moi, les violences sexuelles faites aux enfants sont indissociables des droits des femmes », insiste-t-elle.

Ses amies éducatrices en protection de l’enfance, Aurore 48 ans, et Margot 29 ans, regrettent, elles, le manque de moyens dans leur travail face à la libération de la parole d’enfants victimes d’inceste, tout comme une « contre-pression très forte des masculinistes ».

« L’agresseur est mort ce soir »

Dans la marche, des figures connues comme la réalisatrice et actrice Judith Godrèche qui a prononcé un discours en fin de manifestation, mais aussi l’autrice de bande dessinée Pénélope Bagieu, présente dans ce moment « inquiétant » par « besoin de crier dans la rue, entourée d’une marée humaine, pour un moment thérapeutique ».

À mi-parcours de la manifestation, sur le lion de la place de la République bâillonné d’un bandeau violet est écrit « all men » et « l’agresseur est mort ce soir ». Liv et Mathilde, lycéennes de 16 ans continuent leur marche avec leur pancarte « l’amour ne fait pas de bleus ». Liv regrette que les violences faites aux femmes ne soient pas encore totalement comprises par certains de ses camarades : « En quatrième, une fille féministe de ma classe s’est fait harceler. Il y a des garçons qui n’essayent pas de comprendre, qui pensent qu’on veut plus de droits qu’eux et non l’égalité. »

C’est notamment pour cela que Sarah Durocher, la présidente du planning Familial continue de se battre pour que la loi de 2001 sur l’éducation à la sexualité dans les écoles, collèges, lycées, imposant au moins trois séances par an, soit appliquée. Son association, Sidaction et SOS Homophobie ont déposé l’an dernier un recours contre l’État pour non-application de la loi.

« Face à la grande vague de transphobie, au rejet de la société des femmes les plus pauvres, les plus éloignées du droit, aux attaques et menaces régulières envers les antennes du planning familial, nous devons nous mobiliser », affirme-t-elle.

Un féminisme sans les femmes trans et sans les travailleuses du sexe n’en est pas un

Giovanna Rincon, de l’association Acceptess T

Les droits de toutes les minorités étaient largement défendus. Tamara, porte-parole de l’association Acceptess T, en lutte pour les droits des personnes trans, insiste « On ne meurt pas parce qu’on est trans, on meurt de la transphobie. Partout nous sommes violentées. Au sein de nos familles, de nos couples, de la part des professionnels de santé. » Elle rappelle que 42 % des personnes trans déclarent avoir subi des violences physiques ou sexuelles au cours des cinq dernières années. Et cela dans le « pays des droits de l’homme, mais de l’homme cisgenre blanc et aisé », ironise-t-elle.

Giovanna Rincon, de la même association, salue le fait d’être pour la première fois en tête de cortège. « C’est la preuve pour moi qu’un féminisme sans les femmes trans n’est pas un, et sans les travailleuses du sexe non plus », lance-t-elle.

« Maîtresse Catin », porte-parole de la fédération des Parapluies rouges, qui regroupe plusieurs associations communautaires luttant pour la santé et les droits des travailleurs travailleuses du sexe, souligne que trois travailleuses du sexe ont été tuées pendant les Jeux olympiques et paralympiques. Elle déplore que les violences les visant soient « invisibilisées ».

Claudia, cofondatrice du collectif Lutte HSM (harcèlement sexuel et misogyne/misogynoir), insiste sur les attaques en ligne reposant sur le « misogynoir », ce concept définissant les comportements discriminatoires basés sur le racisme et le sexisme. Elle souhaite « faire connaître le terme pour mieux former, notamment ceux qui prennent les plaintes, pour que les femmes puissent exister sans peur sur internet, sans être réduite au silence ou effacées ».

Femmes en lutte et Palestine

De nombreuses femmes en lutte étaient par ailleurs présentes, comme Bridgette, déléguée syndicale dans l’entreprise d’aide à la personne Onela, gréviste depuis onze mois, qui dénonce de la maltraitance institutionnelle et des conditions de travail indignes. « Notre grève est portée par des femmes racisées ou issues de l’immigration, particulièrement précarisées, dit-elle. Se mobiliser est crucial car l’extrême droite s’organise depuis des années. »

Marina, membre du mouvement des mères isolées, était dans la rue pour rappeler qu’elles sont plus de 2 millions, et que près de la moitié d’entre elles vivent avec leurs enfants sous le seuil de pauvreté. « Nous sommes parmi les plus vulnérables face à toutes les formes de violences, et Emmanuel Macron veut nous enfoncer encore plus dans la misère », estime-t-elle.

Yolande du Fayet de la Tour, 62 ans, tenait aussi à être présente en tant que présidente de l’association De la parole aux actes, qui accompagne les femmes et les anciens enfants agressés dans l’Église. Ayant été elle-même victime de viol, elle s’oppose à une Église « qui écrase les victimes ».

Tout au long du cortège, les références à l’élection de Donald Trump aux États-Unis et à la guerre en Palestine sont aussi très nombreuses. Massica, de la marche féministe antiraciste, dénonce « aussi un an de génocide en Palestine ».Abeer, membre d’Urgence Palestine, explique par exemple avoir défilé « pour défendre les combats de toutes les femmes palestiniennes, dont les droits sont bafoués par l’occupation, opprimées, humiliées maltraitées, massacrées à Gaza ».

La marche parisienne s’est achevée sur les marches de l’opéra Bastille, avec l’énumération des noms des mille victimes de féminicides en France depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017.

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