« Demandons un arrêt immédiat des centrales photovoltaïques en milieux naturels »

150 000 hectares d’espaces naturels devraient être détruits d’ici à 2050 par l’industrie photovoltaïque, dénoncent dans cette tribune plus de 60 scientifiques, politiques et personnalités. Pourtant, les alternatives existent.

L’Association nationale pour la biodiversité (ANB) et le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) sont deux associations défendant les milieux naturels sur le terrain, et qui reçoivent la quasi-totalité des alertes du public sur les projets photovoltaïques. Pierrot Pantel est ingénieur écologue, chargé de mission juridique de l’ANBLa liste complète des signataires de la tribune est ici.

L’ensemble de la communauté scientifique ne cesse de tirer la sonnette d’alarme : l’effondrement de la biodiversité nous entraîne vers l’abîme, tout autant que le réchauffement climatique. Pourtant, la tendance reste irrémédiablement la même : pied au plancher vers le scénario du pire! La COP16 biodiversité n’a pas fait exception.

En France, les mesures prises sont-elles plus adaptées qu’ailleurs? Manifestement non, comme l’illustre le développement de centrales industrielles photovoltaïques dans des milieux naturels. La volonté gouvernementale de démultiplier la production d’énergie solaire photovoltaïque d’ici à 2050 et le choix du moindre coût (il est plus rentable de raser une forêt que d’aménager des zones déjà artificialisées, comme le toit des zones industrielles) provoquent l’essor de ces centrales construites sur des terrains naturels par de grandes entreprises, voire multinationales, telles qu’EDF Renouvelables, Engie Green, Boralex, Voltalia, etc.

Citons par exemple le projet d’EDF à Prévenchères (Lozère), pour une emprise totale au sol de 270 hectares (environ 385 terrains de foot), ou celui de Boralex et EDF à Vins-sur-Caramy (Var), sur 209 hectares.

Selon nos calculs [1], l’industrie du photovoltaïque projette, d’ici à vingt-cinq ans, de détruire plus de 150 000 hectares d’espaces naturels, avec les paysages qu’ils constituent, incluant des espaces aux intérêts écologiques avérés (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique — Znieff —, parc naturel, réserve de biosphère…), voire protégés (Natura 2000). Cela correspond environ à la surface cumulée des départements du Val-d’Oise et du Val-de-Marne.

La zone commerciale des Milles, à Aix-en-Provence, s’étend sur plus de 30 hectares, sans la moindre installation photovoltaïque. © Elzeard-Lure en résistance

Pourtant, comme l’explique le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) dans un document argumenté et factuel publié fin août, il n’est pas nécessaire de raser des forêts, d’artificialiser des prairies ou de détruire des zones humides pour implanter des centrales photovoltaïques.

Le potentiel des zones anthropisées (toitures industrielles et commerciales, ombrières) est largement suffisant pour satisfaire les besoins : «Or, plusieurs études suggèrent que l’objectif de 100 GW peut être atteint en mobilisant uniquement des espaces artificiels… Le respect de la loi Aper en matière d’équipement des parcs de stationnement devrait permettre d’installer au moins 20 GW supplémentaires. Alors que les toits comptent actuellement pour la moitié des 20 GW déjà installés en France, moins de 1 maison individuelle sur 20 est actuellement équipée.»

Pour une politique de «sobriété structurelle»

Le CNPN insiste également sur l’importance d’une «sobriété structurelle», qui vise à réduire la demande globale d’énergie et, in fine, à éviter l’utilisation d’espaces naturels. Or, dans les faits, cette dimension de la sobriété est absente de la politique du gouvernement : pas de diminution du nombre ni du poids des véhicules individuels, de développement des transports en commun, d’interdiction de la publicité pour les produits polluants, ni de conversion de l’agriculture à l’agroécologie…

Comme l’ont pourtant souligné conjointement le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), il est vital de limiter le réchauffement climatique ET de protéger la biodiversité. Cependant, face au casse du siècle — nous estimons l’enjeu financier global du photovoltaïque en France à environ 500 milliards d’euros sur les trente prochaines années —, les appétits des marchands de soleil sont féroces, et les communes qui louent leurs parcelles, pour beaucoup financièrement exsangues, des proies faciles.

Les Mées, centrale photovoltaïque installée sur 300 hectares de terres agricoles et naturelles, dans les Alpes-de-Haute-Provence. © Marie Véroda

Cela d’autant plus que, partout en France, ces projets industriels bénéficient d’une stupéfiante complaisance des services de l’État. Citons par exemple la condamnation du préfet des Alpes-de-Haute-Provence, en mai dernier, par la cour d’appel administrative de Marseille pour une autorisation accordée fin 2020 à l’entreprise Boralex jugée illégale. Décision hélas bien tardive, puisque la centrale de Cruis est en exploitation et que la multinationale peut, en pleine réserve de biosphère, exploiter une centrale réalisée. L’administration est par ailleurs régulièrement rappelée à l’ordre par la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour ses refus illégaux et répétés de transmettre aux associations les informations pourtant communicables qu’elles sollicitent.

Détruire ces habitats sauvages est suicidaire

Pour autant, il ne s’agit pas ici de s’opposer à la décarbonation, mais d’avoir une approche systémique pour que l’action pour le climat se fasse avec la préservation de la biodiversité et non contre elle.

Car le sujet est grave : les experts internationaux craignent un point de bascule imminent au niveau mondial pour les puits de carbone : «Les forêts et les sols ont seulement absorbé entre 1,5 milliard et 2,6 milliards de tonnes de CO2 en 2023, loin derrière les 9,5 milliards de 2022, notamment en raison de la sécheresse en Amazonie et du fait des incendies au Canada et en Sibérie», est-il précisé dans l’article du Monde de juillet dernier.

Déjà, en juin 2023, l’Académie des sciences nous alertait sur le fait que les forêts françaises ont perdu en dix ans 50% de leur capacité à capter le dioxyde de carbone, et l’Inventaire forestier national 2024 s’alarme d’un doublement de la mortalité des arbres en dix ans sur le sol français. Le manque d’égard envers les milieux naturels, et les espèces qui y vivent, accélère donc le péril. Étude après étude, la cause principale de cet effondrement est toujours parfaitement identifiée : la destruction méthodique et à échelle industrielle des habitats de la vie sauvage.

En dépit de cette accélération funeste cyniquement ignorée des industriels de ce secteur, il est aussi urgent que vital de refuser que leur soit livré ce patrimoine commun. En effet, prétendre répondre au défi climatique en accélérant l’extinction massive d’une biodiversité déjà à genoux est la promesse d’un suicide collectif, car la biodiversité, c’est à la fois l’alimentation (que ferions-nous sans insectes pollinisateurs?), des sols vivants (qui retiennent l’eau), des puits de carbone essentiels dans la lutte contre l’intensification du changement climatique, etc.

Nous, signataires de cette tribune, soucieux de la préservation stricte et impérieuse de la biodiversité, mais également conscients des enjeux liés à la décarbonation, demandons un arrêt immédiat du déploiement des centrales industrielles photovoltaïques en milieux naturels.

Désireux de porter ce débat au Parlement, l’Association nationale pour la biodiversité (ANB) et le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) ont déposé une pétition sur le site de l’Assemblée nationale. Nous invitons toutes et tous à la signer car nous visons, comme pour l’A69, la création d’une commission d’enquête pour faire toute la lumière sur une orientation politique alarmante, à contre-courant du consensus scientifique.

 


Principaux signataires de la tribune :

Scientifiques :
Céline Baurreau, jardinière botaniste
Nicole Brunel-Michac, ingénieure d’étude en écologie
Élise Buisson, docteure en écologie, maître de conférences
Mathilde Capelli, docteure en agronomie, ingénieure d’étude
Christophe Cassou, climatologue, directeur de recherche au CNRS et auteur principal du 6e rapport du Giec
Julie Chêne, responsable scientifique en réserve biologique
Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS
Aure Durbecq, chercheure en biologie-environnement-écologie
Yves Emo, directeur technique gestion environnemental
Sophie Gachet, écologue
Jean-Marc Gancille, essayiste et acteur de la conservation animale
Ivan Gentil, Enseignant Chercheur
Franck Gilbert, Président de la Société Française d’Écologie et d’Évolution
Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS
Clara Gritti, botaniste
Francis Hallé, botaniste
Maëlle Le Berre, écologue, botaniste
Catherine Lenne, enseignante-chercheuse en biologie végétale, essayiste
Marthe Lucas, Maitre de conférences en droit de l’environnement
Jean-Louis Martin, directeur de recherche émérite, écologue, CNRS
Valérie Masson-Delmotte, climatologue et autrice
Pascal Mayol, écologue
Sébastien Menecier, enseignant chercheur, maître de conférences, physicien
Manuel Mercier, Chercheur
Henri Michaud, botaniste
François Munoz, maître de conférences, écologue, botaniste
Gabriel Nève, maître de conférences, écologue, entomologiste
Daniel Pavon, ingénieur d’études biodiversité/écologie, botaniste
Mathieu Pélissié, chercheur post-doctorant en écologie
Patrick Portolano, géologue
Vincent Robert, Ecologue
Yamina Saheb, chercheure, autrice du volet III du 6e rapport du Giec
Bertrand Schatz, directeur de recherche au CNRS–Interactions biotiques
Pablo Servigne, ingénieur agronome, docteur en biologie et auteur
Diane Sorel, forestière écologue, conservatrice de la Réserve naturelle nationale-forêt de la Massane
Olivier Soulier-Versini, guide naturaliste
Michel Tarrier, écologue
Jean-Frédéric Terral, enseignant chercheur en université en biologie végétale, botanique, écologie et paléoécologie
Christophe Thébaud, docteur en écologie (écologie des oiseaux et mammifères forestiers)
Errol Vela, maître de conférences, docteur en écologie végétale, botaniste spécialiste des milieux ouverts, auteur

Politiques et personnalités de la société civile :
Gabriel Amard, député du Rhône
Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres
Guy Bennaroche, sénateur
Benoît Biteau, agronome et député de Charente-Maritime
Aymeric Caron, député de Paris
Cyrielle Chatelain, députée de l’Isère
Marie Pochon, députée de la Drôme
Rémi Zinck, maire du IVe arrondissement de Lyon

Pierre-Emmanuel Barré, humoriste
Dominique Bourg, philosophe spécialiste des questions environnementales
Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA)
Frah Charon, leader du groupe Shaka Ponk
Camille Dalmais, chanteuse-musicienne
Cyril Dion, auteur-réalisateur
Adrien Favre, photographe animalier
Giedré, auteure-compositrice-interprète
Emily Loizeau, artiste, chanteuse, auteure, compositrice
Xavier Mathieu, comédien
Mary-Lou Mauricio, photographe
Vincent Munier, photographe et cinéaste
Claire Nouvian, activiste, fondatrice de l’association Bloom
Alessandro Pignocchi, artiste peintre, auteur
Julien Regamey, photographe animalier
Pierre Rigaux, naturaliste, auteur
Samaha Sam, chanteuse Shaka Ponk
Bruno Solo, artiste comédien
Didier Vaubaillon, président de l’association Terre des hommes
Mathieu Vidard, producteur à France Inter

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