Le premier ministre a conservé la moitié du gouvernement Barnier, pourtant censuré. Le reste est essentiellement constitué de revenants des trois derniers quinquennats, à l’image de Manuel Valls nommé aux outre-mer. Un exécutif toujours minoritaire et soumis au bon vouloir du RN, qui a déjà obtenu la tête de Xavier Bertrand.
Quand sort, en 2023, le quatrième opus de la saga Expendables, les critiques cinéma sont unanimes : c’est celui de trop. Scott Waugh, le réalisateur, a pourtant rappelé des figures du cinéma d’action américain pour épater le public, de Sylvester Stallone (73 ans) à Dolph Lundgren (66 ans) en passant par Jason Statham (56 ans). « Tout cela devient un peu répétitif et manque d’imagination, cingle à l’époque Le Parisien. On voit venir les rebondissements à des kilomètres. »
Pour constituer son gouvernement, François Bayrou a lui aussi rappelé d’anciennes figures, mais cela n’épate guère plus de monde. Dix jours après sa nomination, le premier ministre a dévoilé une équipe gouvernementale marquée par le retour aux affaires de plusieurs protagonistes de la vie politique française des vingt dernières années. Les anciens premiers ministres Manuel Valls et Élisabeth Borne font leur retour, tout comme les ex-ministres Gérald Darmanin, François Rebsamen, Aurore Bergé, Juliette Méadel, Amélie de Montchalin et Patricia Mirallès.
Débarquée de Matignon après une année 2023 où elle a fait adopter coûte que coûte la réforme des retraites et la loi immigration, empêchée d’accéder à la présidence du parti Renaissance par son successeur à Matignon, Gabriel Attal, Élisabeth Borne revient avec un grand ministère taillé sur mesure : celui de l’éducation, élargi à l’enseignement supérieur et à la recherche. Elle aura le statut de ministre d’État et de numéro 2 du gouvernement.
Même retour en grâce pour Gérald Darmanin, qui avait quitté le ministère de l’intérieur après la débâcle du camp présidentiel aux législatives anticipées de 2024. L’élu de Tourcoing (Nord) est le nouveau ministre de la justice, à qui il reprochait ces dernières années de bafouer la présomption d’innocence lorsqu’il s’agissait de policiers ou dont il se targuait de contourner certaines décisions – en l’occurrence celles de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), fin 2023.
Accusé d’avoir profité de sa position dominante d’élu pour obtenir des faveurs sexuelles et un temps visé par une plainte pour viol – la procédure s’est conclue par un non-lieu en 2022 –, Gérald Darmanin est nommé Place Vendôme quelques jours seulement après l’épilogue du procès des viols de Mazan, dont les débats ont provoqué une onde de choc dans toute la société française. À la chancellerie, il devra porter la loi sur l’introduction du non-consentement dans la définition pénale du viol.
La tonalité du gouvernement Bayrou est encore plus à droite que le précédent, que dirigeait pourtant une figure issue du parti Les Républicains (LR). Le binôme Retailleau-Darmanin à l’intérieur et à la justice a quelque chose d’inédit, tant il vient broyer l’équilibre – même précaire – qui préexistait jusque-là entre les deux ministères. Depuis la rentrée, l’ancien socialiste Didier Migaud assurait, en privé, mettre tout son « énergie » à « remettre Bruno Retailleau à sa place » quand il allait trop loin, en défense des magistrats ou de l’État de droit.
Entre Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, la suite devrait ressembler à une surenchère répressive et sécuritaire. Lorsqu’il était place Beauvau, le premier n’avait pas bronché quand les syndicats policiers avaient scandé, sous ses yeux, que « le problème de la police [était] la justice ». Quant au second, il avait fait savoir aux parlementaires de son camp que ce qui restreignait son action sous Michel Barnier, c’était « Migaud », jugé trop à gauche. L’obstacle est désormais levé.
Le RN plus puissant que jamais
Le message politique envoyé par François Bayrou est à l’inverse de la mission qu’avait fait mine de lui confier le président de la République : ne plus dépendre du Rassemblement national (RN), élargir le « socle commun » et convaincre le Parti socialiste (PS) de ne pas voter de nouvelle motion de censure.
Pour le premier point, c’est raté. Reçu et consulté par le premier ministre, le parti d’extrême droite a pu apposer sa patte sur la composition du gouvernement. Dans un communiqué acide, Xavier Bertrand, le président LR de la région Hauts-de-France, a annoncé avoir refusé d’entrer au gouvernement après que François Bayrou lui a signifié que le poste de ministre de la justice ne pouvait lui échoir « en raison de l’opposition du RN ».
« En dépit de ses nouvelles propositions, je refuse de participer à un gouvernement de la France formé avec l’aval de Marine Le Pen. Accepter à ces conditions aurait été le reniement de mes valeurs, de mes engagements et de mes combats », écrit l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, qualifiant de « faute » la façon dont l’exécutif a choisi de « composer avec l’extrémisme ».
Le RN peut également se féliciter du maintien en poste de Bruno Retailleau, son ministre favori, avec une surface politique qui l’apparente à un vice-premier ministre. Se sachant en position de force face au président de la République et à son premier ministre, le Vendéen s’est même permis de poser ses « conditions » pour rester place Beauvau : une carte blanche, ou presque, pour les mesures les plus dures sur l’immigration et la délinquance, exposée dans le Journal du dimanche. Il a visiblement obtenu gain de cause.
Pour l’élargissement du « socle commun », c’est raté aussi. La valse annoncée ce soir ne fera pas bouger d’un seul siège la majorité très relative dont dispose le camp présidentiel à l’Assemblée nationale. Renaissance, le MoDem, Horizons et LR resteront les seuls groupes à soutenir le gouvernement Bayrou. Les maigres débauchages d’anciens ministres de François Hollande ne suffiront pas à attirer le PS, bien placé pour savoir que Manuel Valls, François Rebsamen et Juliette Méadel avaient depuis longtemps quitté ses rives pour celles du macronisme.
Après avoir ignoré tous ses appels du pied – et ils furent nombreux – depuis 2017, Emmanuel Macron a fini par accepter le retour de Manuel Valls dans l’exécutif. L’ancien premier ministre hérite du statut de ministre d’État et du portefeuille des outre-mer – c’est la première fois dans l’histoire de la Ve République que la question ultramarine bénéficie d’un tel rang dans l’ordre protocolaire.
Mais la personnalité pour le moins clivante de Manuel Valls – qui s’était récemment reconverti comme consultant pour le royaume du Bahreïn après avoir perdu tous ses mandats électifs – a de quoi inquiéter. Rue Oudinot, l’ancien premier ministre devra en effet gérer plusieurs crises, comme à Mayotte ou en Martinique, et reprendre l’épineux dossier de la Nouvelle-Calédonie, au moment où la confiance est rompue avec l’État français.
La nomination de l’ancien premier ministre prouve aussi que les défaites électorales ne sont pas un critère de non-recrutement. Comme lui, Patrick Mignola et Amélie de Montchalin ont été battus aux législatives de 2022. Et comme lui, ils entrent au gouvernement, l’un aux relations avec le Parlement, l’autre aux comptes publics. Éliminée dès le premier tour aux législatives anticipées, Patricia Mirallès fait elle aussi son retour aux anciens combattants.
La censure à l’horizon
Pour en revenir à l’arithmétique parlementaire, la liste annoncée lundi ne devrait avoir que peu d’impact sur l’attitude des groupes d’oppositions et, in fine, sur la durabilité du nouveau gouvernement. Au vu des 19 ministres de Michel Barnier conservés par son successeur, on en vient à se demander : qu’ont retenu Emmanuel Macron et François Bayrou de la chute du dernier premier ministre ?
Contre toute logique, François Bayrou a mis ses pas dans ceux de son prédécesseur : même alliance, même nombre insuffisant de député·es en soutien, même centre de gravité à droite et mêmes orientations d’ensemble. C’est un remaniement comme la Ve République en a connu des dizaines : une nouvelle tête, une approche d’apparence sensiblement différente, mais un chemin qui reste le même.
Un léger accident, pourtant, est passé par là : la première motion de censure adoptée à l’Assemblée nationale depuis un demi-siècle. À l’inverse de ses prédécesseurs, le gouvernement Barnier n’a pas été remplacé, il a été renversé. Pour les deux têtes de l’État, cela ne change visiblement pas grand-chose. Les ministres nommé·es lundi 23 décembre sont toujours minoritaires au Parlement et issus de partis ayant perdu les dernières élections.
La crise politique n’aura, elle, rien perdu de sa vigueur, après les passations de pouvoir et l’installation des nouveaux ministres. Une fois nommée, la nouvelle équipe devra s’atteler à reprendre la copie budgétaire de Michel Barnier tout en lui évitant la même fin.
La mission paraît d’autant plus périlleuse que rien, ces dix derniers jours, n’a permis au nouvel exécutif de faire le moindre pas dans cette direction. La gauche, même socialiste, n’a cessé de répéter qu’elle avançait sur le chemin d’une motion de censure, faute de concession du pouvoir. La première occasion devrait se présenter à elle le 16 janvier, deux jours après la déclaration de politique générale de François Bayrou.
Poster un Commentaire