Le fonds d’investissement américain qui a racheté il y a un an la branche française de la banque HSBC va réduire sa masse salariale de manière radicale. Le 4 décembre, il a annoncé le projet de se séparer de 1 410 salariés et de 84 agences. C’est l’un des plus grands plans de licenciements en cours dans le pays.
MEDIAPART
Une casse silencieuse. Si les salarié·es de Michelin brûlent quelques pneus en forme de protestation, si celles et ceux d’Auchan envahissent les magasins, il y a d’autres licencié·es qui se font remercier (presque) sans mot dire. C’est dans un silence assourdissant que la banque CCF, anciennement HSBC France, a annoncé le 4 décembre son projet de se séparer de 1 410 personnes, soit plus d’un tiers de sa masse salariale, et de 84 de ses 235 agences. Ces chiffres sont encore soumis à négociation avec les syndicats.
« On s’attendait à une réorganisation, mais pas à un tel plan de licenciements. On est tous abasourdis, commente Teddy Deduit, salarié de la banque depuis quatorze ans et délégué syndical CFTC. Et ils nous l’ont annoncé avec si peu d’empathie. Ils ne parlaient que de chiffres et de rentabilité. » « Du jamais-vu dans le secteur bancaire depuis quinze ans », abonde Éric Poyet, délégué Force ouvrière du groupe, dans un communiqué de presse. Il évoque « des salariés en état de choc ». Et insiste : « Il y a beaucoup d’inquiétude. Nous ne sommes pas sûrs que le CCF perdure. Des pans entiers d’activité vont disparaître. »
Le plan intervient pile un an après le rachat de la branche française de HSBC par My Money Group, consortium bancaire détenu par le fonds d’investissement américain Cerberus. « Le fonds était tenu par l’accord de transition et son engagement de ne pas supprimer d’emplois dans les douze premiers mois, poursuit Teddy Deduit. Ces douze mois viennent de passer, et ils nous annoncent cet énorme plan de départs. »
Pour un euro symbolique, My Money Group a récupéré fin 2023 HSBC France, son large patrimoine immobilier, des milliers de salarié·es, un portefeuille de quelque 800 000 clients. Mais aussi un système informatique datant de quinze ans et une banque qui connaissait, déjà, des difficultés financières. Force ouvrière rappelle que lors du rachat, « HSBC a transféré un actif net d’une valeur de 2,6 milliards d’euros à My Money Group ». « Cet argent aurait dû servir à financer un plan de relance, et non des licenciements massifs », regrette le syndicat.
« Dès qu’ils sont arrivés, ils ont annoncé vouloir se concentrer sur la gestion de patrimoine, qui rapporte beaucoup plus que la gestion des comptes individuels, explique encore Henry*, élu du personnel. Et ils voulaient faire de nous “une banque à taille humaine”, alors que nous étions une banque internationale proposant tous les services. Pour nous, c’était déjà clair, cela voulait dire supprimer des emplois. »
C’est avec ces mêmes termes que la direction de CCF justifie son plan de licenciements auprès de Mediapart : « Le groupe a clarifié sa vision stratégique pour répondre à son ambition de devenir la banque patrimoniale à taille humaine de référence sur le marché français et pour renouer avec la compétitivité. » Une ambition impliquant « un projet de transformation profonde ».
Doutes sur les intentions du repreneur
Malgré les promesses du fonds américain, des élus du personnel se sont inquiétés du profil du repreneur dès l’annonce du rachat en 2023. « En 2020, ce fonds d’investissement avait racheté à la Société générale la Banque des Caraïbes, implantée en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, se souvient Henry. Trois ans après, ils ont tout fermé. » Et les 85 salarié·es ont quitté l’entreprise dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective.
Pour Frédéric Guyonnet, président de l’influent Syndicat national de la banque et du crédit (SNB), l’entité majoritaire dans le secteur, rattachée à la CFE-CGC, la stratégie de Cerberus est claire : « Ils rachètent pour presque rien, ils restructurent, ils redressent un peu et ensuite ils revendent. Et comme ils ont acheté pour un euro symbolique, ça leur fait de belles opérations financières. Ils n’ont pas réussi avec la Banque des Antilles parce qu’ils ont racheté juste avant la période covid, donc ils ont licencié tout le monde. »
Concernant la gestion de HSBC France par Cerberus, le représentant syndical national concède quelques investissements : « Ils ont installé un nouveau système informatique. Avec le précédent, pour faire un prêt immobilier, il fallait deux jours. Désormais, il faut une demi-journée. Ce qui leur permet de justifier des réductions d’effectifs. » La banque souligne aussi avoir lancé un programme pour former ses salarié·es « aux exigences de la banque patrimoniale », pour un investissement « de plusieurs dizaines de millions d’euros ».
Mais Frédéric Guyonnet s’inquiète aussi des motivations réelles des Américains : « C’est vrai que HSBC avait beaucoup d’agences. Certaines étaient trop proches géographiquement. Mais là… 84 agences en moins, c’est énorme. Ils vont quitter complètement certains territoires. C’est étrange pour une banque qui dit vouloir se rapprocher des clients. »
Il s’interroge : « Le fonds américain agit-il ainsi pour donner un nouveau départ à la banque ou pour la revendre plus cher d’ici peu de temps ? »
Tout le secteur est menacé
Une inquiétude partagée par la CFTC : « Ils ont licencié avant de tenter d’autres choses, proteste Karine Herbemont, salariée du groupe depuis 2000. On nous parlait d’investissements, d’élargissement de la gamme de produits proposés, on n’a rien vu de tout ça. »
De son côté, la direction de CCF persiste et signe : cette saignée est censée permettre de « retrouver le chemin d’une croissance durable » et d’« apporter une qualité de service unique aux clients de la banque en accentuant la rapidité, la proximité et l’expertise des équipes ».
Les négociations autour des conditions de départ ont débuté à la mi-décembre et aucune date butoir n’a été fixée pour l’instant. Pour la CFTC, « il y a deux urgences : accompagner financièrement et personnellement ceux qui partent et préserver ceux qui restent » : « Il y aura une charge de travail supplémentaire pour tous ceux qui restent et on veut obtenir de la direction des garanties sur leurs conditions de travail. » De son côté, Force ouvrière assure continuer de négocier dans l’objectif de « maintenir des emplois ». « Le périmètre précis des fermetures d’agences reste à négocier », déclare le syndicat.
Ce plan de licenciements d’ampleur est à replacer dans un contexte plus global. La France connaît actuellement une nouvelle vague de licenciements. Et si le symbole des usines vouées à disparaître est régulièrement mis en avant, le secteur bancaire n’est pas non plus épargné. En juin 2023, Orange, dont l’État détient 23 % du capital, a décidé de fermer sa filiale bancaire, laissant sur le carreau 650 salarié·es. Après des mois de négociations et plusieurs journées de grève, les syndicats ont signé un accord en janvier 2024.
Un mois plus tard, la Société générale annonçait elle aussi une coupe dans ses effectifs, en supprimant 947 emplois dans ses services centraux au siège, dans les fonctions de support et dans la banque d’investissement. L’accord de rupture conventionnelle collective a été signé par le SNB et la CFDT, la CGT s’y est refusée.
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