Le monde avec Trump ne sera pas le monde selon Trump. Par VP.

Le monde avec Trump ne sera pas le monde selon Trump. Par VP.

Par aplutsoc le 1 décembre 2024
Présentation

Cet article a été rédigé à la demande des rédacteurs de la revue Démocratie & Socialisme pour son prochain numéro. Il permet à l’auteur de réaliser une synthèse du moment présent.

L’élection de Trump.

Le 5 novembre a été un choc, bien qu’attendu, mais pas vraiment anticipé, le remplacement tardif de Biden par Harris ayant fait naître de faux espoirs. Par contrecoup, il arrive que l’on surestime la « vague Trump », qui doit être mieux comprise.

En 2016 Trump a eu près de 63 millions de voix (contre près de 67 à Clinton, mais il a gagné par la répartition des grands électeurs entre États), 74,2 en 2020 contre 81,2 à Biden, près de 77 millions contre 74,4 à Harris en 2024. Il n’y a donc pas de subite déferlante Trump, mais deux phénomènes clefs.

Le premier est qu’un président battu et ayant suscité un début de coup d’État [6 janvier 2021] ne soit ni en prison, ni jugé, ni discrédité, mais qu’il ait repris et confirmé son contrôle du Parti républicain et surtout que son électorat ne l’ait jamais lâché et se soit radicalisé. Électorat qui, dans sa masse, est ce que l’on appellerait en France un électorat « populaire ».

Le second fait, qui a permis la victoire de Trump, est le recul démocrate. Ce n’est évidemment pas un hasard s’il a lieu au terme de quatre années de présidence démocrate, durant lesquelles le niveau des salaires réels a baissé.

De plus, en 2020, une vague de manifestations avait dressé la jeunesse et les afro-américains contre Trump, et avait porté la poussée démocrate, sans adhésion ni grandes illusions. Ceci ne s’est pas reproduit en 2024. Au contraire, les courants donnant son orientation dominante à la mobilisation pro-palestinienne des campus, de l’ultra-gauche aux franges démocrates, ont vu d’un bon œil la punition électorale de Genocide Joe, alors qu’ils n’ont jamais dénoncé – et toujours pas à ce jour ! – Genocide Donald !

Harris était bien sûr une candidate capitaliste, qui n’a motivé les foules que sur le droit à l’avortement. Mais tout signe égal avec Trump est une erreur gravissime, et aussi bien la gauche « libérale » au sens américain, que l’extrême-gauche, n’ont pas saisi l’enjeu et ont donc participé activement à ce qui est une défaite de notre camp social et une défaite de la cause des femmes.

Trump n°2 : ce qui se prépare aux États-Unis.

Beaucoup découvrent maintenant, dans la douleur, que Trump n°2 n’est pas Trump n°1. En 2016 il ne s’était lui-même pas attendu à gagner. En 2024, des secteurs du grand capital décidés à l’affrontement se sont alignés derrière lui. Ils inspirent le programme « Project 2025 » de la Heritage Foundation, qui prévoit notamment l’intégration des syndicats aux entreprises et, dans le secteur public, leur élimination. Elon Musk est un personnage décisif de ce ralliement – y compris ses délires sont ceux des grands détenteurs de « capital-risque », combinant spéculation financière, high tech et industrie du divertissement.

Ils ont un programme, qui commence aux États-Unis par l’emploi de l’armée pour « déporter » – c’est leur terme – jusqu’à 20 millions d’immigrés latinos (souvent amérindiens). Les nominations gouvernementales annoncées rapidement par Trump ont donné le ton. Plusieurs d’entre elles semblent inacceptables, selon les observateurs, au Sénat qui doit en principe les valider. L’un des pires, Matt Gaetz, délinquant sexuel et mafieux, a jeté l’éponge (remplacé à la justice par les propres avocats de Trump), mais on a, par exemple, Pete Hedseth à l’armée, connu pour ses tatouages suprématistes blancs, et, venue de la « gauche », Tulsie Gabarth, poutinienne notoire … au renseignement. Et Trump a instauré une structure spéciale pour purger l’état-major.

Ils ont un programme à la fois national et international : comme l’a écrit l’historien polonais Timothy Snider, Musk et Trump en ont évidemment largement discuté avec Poutine.

Au plan national, le 20 janvier 2025 pourrait être le début d’un double coup d’État. Celui de l’armée contre les migrants, et le coup constitutionnel qui consisterait soit à intimider le Sénat, soit à ce qu’il ne soit pas réuni pour valider les membres du cabinet. La constitution américaine, qui date de 1789, serait alors infléchie et déformée de manière décisive. Depuis le 6 janvier 2021, l’intimidation physique est au cœur des moyens employés et cela va s’aggraver. Si Trump, Musk et leur bande franchissent ce cap, la suite sera l’affrontement social contre les syndicats en général et les plus combatifs en particulier.

L’UAW – United Auto Workers – avec sa nouvelle direction combative, vient justement de mener deux grandes batailles. Celle, victorieuse, des grèves de masse pour les salaires fin 2023. Et celle, battue, pour empêcher l’élection de Trump par le vote Harris. L’UAW vient de lancer un appel au regroupement de la working class, appel qui s’adresse aussi aux salariés ayant voté Trump, en prévision d’affrontements sociaux portant sur les salaires et les droits syndicaux.

Mais le rapport de force qui permettra à Trump et Musk de tenter et de réussir ou non leur double coup d’État à compter du 20 janvier prochain, va aussi se jouer au plan international car là aussi, là surtout, les grandes manœuvres ont commencé sans attendre.

Ligne générale.

La ligne générale de Trump ne lui est pas propre. Il s’agit pour l’impérialisme américain de tenter de rétablir sa puissance, mais en acceptant et en s’adaptant à ce que l’on appelle la « multipolarité », en jouant notamment l’alliance russe et l’alliance indienne, contre la Chine et contre l’Iran. Les Ukrainiens seraient livrés à Poutine, les Palestiniens à Netanyahou, et l’Europe vouée à l’affaiblissement (intégrant une pression russe accrue).

Des tarifs commerciaux protectionnistes, entérinant l’évolution bien engagée de la « mondialisation » vers la fragmentation, avec comme victime n°1 la Chine et n°2 les puissances européennes, sont annoncés pour les lendemains du 20 janvier.

Sur le dos de l’Ukraine.

Mais en fait, l’ébranlement international a été immédiat. Trump et Musk, téléphonant à Zelensky, sont intervenus tout de suite sur l’Ukraine, pour laquelle ils annoncent « la paix en un jour ».

Du coup, Biden jette aussi ses derniers feux, les contradictions internes aux hautes sphères étatiques US s’aggravant donc à toute allure. Il a levé les interdictions faites à l’Ukraine concernant la portée des missiles ATACMS (environ 300 km), puis a autorisé la livraison de mines anti-personnelles pour freiner la progression physique des soldats russes dans le Donbass (ceci a suscité une indignation humanitaire et pacifiste que l’on peut comprendre, bien qu’elle ait tendance à oublier que de telles mines sont massivement déjà présentes en Ukraine puisque l’armée russe s’en sert depuis des années).

Ces deux mesures militaires ne changent toutefois rien du tout au fait capital que pour Biden, il faut éviter aussi bien une défaite russe qu’une défaite ukrainienne. Trump et son administration préparent, eux, une victoire russe, avec des négociations discrètes dont l’essentiel n’a pas à se dérouler, pour eux, entre Ukraine et Russie – ce sera la façade -, mais entre États-Unis et Russie, et porteront sur les relations entre la Russie et la Chine, ainsi que sur la place du « joker » dangereux qu’est la Corée du Nord dans le dispositif poutinien.

La présence militaire nord-coréenne contre l’Ukraine et le rapprochement annoncé entre Washington et Moscou sont en train de susciter des incertitudes à Beijing où prévaut, pour l’heure, la ligne donnée depuis deux ans par Xi Jinping de bloc eurasiatique avec la Russie et l’Iran (malgré le caractère autonome de l’axe Moscou-Pyongyang envers Beijing, qui gêne ce dernier). Il se pourrait donc que Washington soit dupe de la politique trumpiste de rapprochement avec Poutine, celui-ci ne pouvant et ne voulant pas se détacher de la Chine.

L’intervention nord-coréenne contre l’Ukraine et l’agressivité chinoise conduisent aussi à des incertitudes en Corée du Sud et au Japon, avec la vague tentation d’aider l’Ukraine, ce qui serait alors avant tout un geste de mécontentement envers … les États-Unis, leur signifiant que la stratégie « trumpiste » sera perdante !

Le 29 novembre, la situation militaire dans le Donbass et la pression de Trump, déjà engagée et qui ira grandissant, ont conduit Zelensky à accepter ouvertement des concessions territoriales, en principes provisoires, c’est-à-dire la pérennisation de l’occupation du Donbass et du Sud de l’Ukraine ainsi que de l’annexion de la Crimée. Zelensky assortit ce recul à la demande d’une protection directe de l’Ukraine par l’OTAN.

Ceci est en principe inacceptable par Moscou qui ne veut pas, et qui, en tant qu’empire militarisé, ne peut pas, se contenter de l’occupation : l’existence même de l’Ukraine est impossible pour l’impérialisme russe qui, de ce fait, sera conduit à poursuivre son expansion vers l’Europe centrale et vers la Baltique. Mais que sera l’OTAN avec Trump ?

Sur le dos des Palestiniens.

Second acte diplomatico-militaire majeur de Biden en fin de mandat : la pression exercée sur Israël et, indirectement, sur le Hezbollah, pour imposer un cessez-le-feu précaire au Liban, lequel peut aussi s’interpréter comme une simple trêve courant justement jusqu’à l’investiture de Trump.

Biden et les secteurs dirigeants qu’il représente espèrent encore, en évitant toute opposition frontale avec le pouvoir israélien, dernier vrai allié des États-Unis dans cette région, apaiser les choses petit à petit, alors que Netanyahou et l’extrême-droite israélienne sont dans une impasse dont la seule sortie, pour eux, serait l’élimination génocidaire des Gazaouis et l’épuration ethnique de la Cisjordanie, ce en quoi ils ont les encouragements de Trump – Genocide Donald !

Alep !

Le cessez-le-feu au Liban a été signé le jeudi 28, les déclarations enclines à des concessions de Zelensky ont été faites le vendredi 29. Or, dans la nuit du 28 au 29, Alep était libérée !

Je ne reviens pas ici sur le détail des évènements majeurs qui viennent d’éclater en
Syrie. L’erreur totale serait de croire à quelque chose d’organisé par en haut, par telle ou telle puissance, ou de fantasmer une vague djihadiste, comme le racontent les médias. L’armée de Bachar était une éponge vermoulue et la volonté de liberté du peuple syrien est intacte. Le retour de la révolution syrienne est un encouragement aux Palestiniens et une menace à la fois pour Poutine, pour Trump, pour Netanyahou et pour Khamenei.

C’est aussi la plus grande aide réelle, bien plus que toute aide « occidentale », que le peuple ukrainien ait reçu depuis le 24 février 2022. Elle s’ajoute au début de ce qui semble être un « Maïdan » en Géorgie, et survient le jour même où Zelensky a amorcé sa reculade !

La soif de liberté, la volonté populaire et les sentiments nationaux ne se cadenassent pas comme ça. La résistance ukrainienne, qui a empêché Poutine de prendre K’yiv en 3 jours, reste en ligne de fond de la situation. Et c’est en 2 jours qu’Alep a été libérée …

En conclusion : la question européenne.

L’ensemble des contradictions mondiales que je viens très rapidement de parcourir (et il faudrait y intégrer l’Afrique, l’Amérique du Sud et le sous-continent indien) confère une grande importance à l’Europe et aux crises politiques qui s’y accumulent, dont celle de la France.

Trump ne dissoudra pas l’OTAN ni ne la quittera – Marco Rubio, qu’il annonce à la politique étrangère, est à l’origine de la loi transpartisane votée fin 2023 qui, pratiquement, l’en empêcherait s’il essayait. Mais il n’y tient pas, car l’OTAN est un instrument de domination sur l’Europe et doit pour lui s’y réduire : une domination à partager avec la Russie …

L’Allemagne est au centre de l’équation et la crise politique qui la traverse est liée aux choix à faire, que ses milieux dirigeants aimeraient bien ne pas avoir à faire, au plan diplomatico-militaire : alliance américaine avant tout, alliance germano-russe de fait (et là les Polonais, les baltes, les Finlandais, ont des souvenirs …), ou puissance européenne comme Macron, dont les propres bases sont sapées par la crise qu’il a ouverte en France, le lui suggère.

Quelle union européenne, quelle libre association des peuples d’Europe, de Lisbonne et Dublin à Donetsk, pourra à la fois battre l’État poutinien – et aider les Russes à s’en défaire – et s’affirmer indépendamment des États-Unis ?

Cette question, qui est aussi, il ne faut pas se le cacher, une question militaire, va se poser inévitablement. De même que la lutte contre l’extrême-droite ne peut pas ignorer que Trump et Poutine en sont les parrains planétaires, de même la réflexion à gauche doit partir de la réalité et ne pas prendre le monde pour ce qu’il était (soi-disant) il y a 20, 50 ou 70 ans.

Enfin : un affrontement social en France contre le gouvernement Barnier, nommé par Macron, parrainé par Le Pen, pourrait donc être lui-même une contribution positive au rapport de force social global avant le 20 janvier prochain !

Vincent Présumey, le 1° décembre 2024.

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