Macron et Barnier se tirent un 49-3 dans le pied

Parlement Reportage

Michel Barnier choisit le 49-3 et la chute de son gouvernement

En engageant la responsabilité de son gouvernement sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le premier ministre s’expose à une motion de censure. Elle sera votée, mercredi, malgré ses dernières compromissions avec l’extrême droite.

Pauline Graulle et Youmni Kezzouf

Les multiples concessions du gouvernement de Michel Barnier n’auront pas suffi. Lundi 2 décembre, jour du vote solennel du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), le premier ministre avait pourtant, in extremis, presque tout lâché à Marine Le Pen. Dans un communiqué publié un peu avant midi, Matignon a annoncé son intention de rétropédaler sur le déremboursement des médicaments en 2025, cédant, une nouvelle fois, au marchandage de la cheffe du Rassemblement national (RN) « qui a[vait] rappelé [cette demande] ce matin au premier ministre », soulignait le texte, dans un clin d’œil appuyé à l’extrême droite.

En vain. À 15 h 35, Michel Barnier est apparu à la tribune de l’Assemblée nationale, le visage blême. Après quelques secondes pour contempler l’hémicycle, sans doute pour la dernière fois, le premier ministre, se sachant condamné, s’est lancé dans une explication défaitiste, deux mois seulement après son conquérant discours de politique générale. « Je vous avais exposé ma méthode, faite d’écoute, de respect, de dialogue, vis-à-vis de tous les groupes, je dis bien tous les groupes », a-t-il déclaré, sous les moqueries des Insoumis·es et de l’extrême droite.

Avant d’annoncer avoir été « au bout du dialogue » « Ce texte est désormais là, il est temps d’agir pour le mettre en œuvre, nous sommes parvenus à un moment de vérité, je mets chacun devant ses responsabilités », a-t-il conclu sous les maigres applaudissements d’un « socle commun » composé de moins de la moitié des député·es Les Républicains (LR), et des bancs macronistes, là encore loin d’être au complet.

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Michel Barnier à l’Assemblée nationale, lundi 2 décembre 2024. © Photo Stéphane De Sakutin / AFP

Dès l’annonce de l’engagement de la responsabilité du gouvernement, le RN a dégainé son visuel, préparé à l’avance, pour prévenir qu’il censurerait Michel Barnier. Une position confirmée par la présidente du groupe, Marine Le Pen, lors d’un point presse.

« Nous déposons une motion de censure et nous voterons la censure du gouvernement », a-t-elle prévenu, avant de préciser que le RN votera la motion déposée lundi après-midi par les quatre groupes du Nouveau Front populaire (NFP).

Celle-ci fustige pourtant le gouvernement Barnier, qui « a cédé aux plus viles obsessions » de l’extrême droite en proposant une nouvelle loi immigration et une remise en cause de l’aide médicale d’État (AME). « Nous allons voter la censure parce que les Français en ont soupé d’être étrillés, a dénoncé la triple candidate à l’élection présidentielle. Ils en ont soupé d’être maltraités. Peut-être certains pensaient qu’avec Michel Barnier, les choses changeraient, mais c’est encore pire que ça ne l’était. »

Le RN dénonce le « mépris » de Michel Barnier

Après le dépôt de la motion de censure du RN, un cadre du groupe, non sans une certaine ingratitude, dénonçait devant les journalistes le « mépris » de Michel Barnier, coupable selon lui de n’avoir pas pris au sérieux les nombreuses demandes et lignes rouges de Marine Le Pen. « C’est pire que Gabriel Attal et Élisabeth Borne, car c’est hypocrite. C’est le même mépris, tout en disant : “Regardez, je les traite, je leur laisse des miettes.” » 

Le même assurait qu’il ne restait à Michel Barnier, après avoir cédé face au parti d’extrême droite sur la taxe sur l’électricité et sur le déremboursement des médicaments, qu’à accéder à une ultime demande du RN, sur la désindexation des retraites : « Jusqu’au bout, on lui a laissé une chance, il n’en a pas voulu. »

Dimanche, dans un entretien à La Tribune, Marine Le Pen avait pourtant explicitement déclaré que le gouvernement pourrait se sauver en lui accordant la victoire sur, au choix, l’une ou l’autre de ses lignes rouges : « Si le gouvernement nous donne quitus sur la désindexation des pensions ou sur le non-déremboursement des médicaments […], cela ne me poserait aucun problème. » 

On n’a pas à être à la botte de Marine Le Pen !

Yannick Neuder, député LR

Lundi après-midi, dans les couloirs du Palais Bourbon, les macronistes n’étaient pas en reste pour critiquer, plus ou moins ouvertement, la stratégie de leur premier ministre et l’énième et ultime « main tendue » au RN. « Il s’est mis à quatre pattes ! », vilipendait une figure du camp présidentiel. « Marine Le Pen, c’est elle qui a écrit le communiqué de presse ou quoi ?, tempêtait son collègue Jean-René Cazeneuve. Il ne faut pas croire qu’on peut négocier avec le RN car la stratégie de l’extrême droite, c’est le chaos pour prendre le pouvoir ! »

Même du côté de LR, Yannick Neuder, rapporteur général du PLFSS, tordait le nez : « Je ne suis pas favorable à courir derrière le RN, on n’a pas à être à la botte de Marine Le Pen », grinçait-il, déplorant que « cette surenchère permanente » donne « une image déplorable de la politique ».

Sur le fond, les députés de la coalition présidentielle ont continué à noircir le tableau. « En mars prochain, qui veut que les cartes Vitale cessent de fonctionner ? », a fait mine de croire Yannick Neuder, qui a estimé que « rejeter le budget de la Sécurité sociale, c’est institutionnaliser le chaos ».

En introduction de la séance du jour, le ministre du budget avait également déploré que « les Français seraient privés de droits nouveaux si le texte était rejeté »« L’intérêt supérieur de notre pays, c’est d’avoir un budget, pas de faire un saut dans l’inconnu, glissait aussi Jean-René Cazeneuve face aux médias, salle des Quatre Colonnes. C’est la première fois qu’on se retrouve sans PLFSS, ce n’est pas une bonne nouvelle pour les marchés financiers ni pour pour le moral des entreprises et des Français. »

Un saut dans l’inconnu

Sans surprise, le discours était plus rassurant du côté de la gauche. « Ça ne pose pas de problème que le PLFSS soit rejeté : les retraites continueront à être indexées sur l’inflation, il n’y aura pas de déremboursement des soins », a jugé le président de la commission des finances, l’Insoumis Éric Coquerel.

Sur le réseau social X, Jean-Luc Mélenchon s’est également invité dans les débats, publiant une vidéo où il affirme que « non, personne ne sera privé de quoi que ce soit si le budget est rejeté. Au contraire, en barrant la route à ce budget, ce seront de nouvelles privations qui vont être évitées, de nouveaux privilèges qui seront refusés, de nouvelles spoliations sur les retraites qui seront empêchées ».

Reste à savoir de quoi la suite sera faite. Et pour l’heure, tout le monde l’ignore. Mercredi, le probable vote de la censure du gouvernement marquera, pour la première fois depuis 1962, la chute du gouvernement, moins de trois mois après l’arrivée à Matignon de Michel Barnier. Mais la séquence budgétaire n’est pas encore achevée : le 18 décembre, c’est ainsi le projet de loi de finances (PLF) qui est censé, à son tour, arriver pour un vote solennel dans l’hémicycle.

À ce moment-là, « soit Emmanuel Macron a renommé un gouvernement qui devra amender le texte, et il peut retomber une deuxième fois », prévient Éric Coquerel. Soit le gouvernement, démissionnaire, reste en place, auquel cas une loi spéciale devra faire prolonger le budget de l’État de 2024.

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