Arguments pour la lutte sociale | Lire sur le blog ou le lecteur |
Photo : Daraa libérée, au moment même où cet article a été écrit, la ville où la révolution a commencé en 2011. Après la libération d’Alep, de Hama, et alors que celle de Homs, de Deraa, de Soueida, semble proche, quelques réflexions, car la lutte démocratique consiste en rapports de forces mondiaux : la chute d’Assad sonnerait comme un évènement de même importance, voire plus, mais en sens opposé, que l’élection de Trump. Il s’avère que la cause profonde du retournement de situation qui s’est produit en Syrie, est à rechercher à Idlib. Depuis des mois et des mois le monde avait oublié cette poche surpeuplée de réfugiés, dont on n’avait reparlé que lors du tremblement de terre, alors qu’elle subissait et subit encore des bombardements russes. Deux processus contradictoires et combinés se produisaient à Idlib. D’une part, l’organisation de services publics et militaires, en somme d’un appareil d’Etat tenant à peu près la route, alors même que l’Etat officiel d’Assad n’assurait plus rien. Il était devenu préférable, en terme de conditions matérielles et de sécurité, de vivre à Idlib qu’ailleurs en Syrie ! Signalons par exemple qu’il n’y avait plus d’électricité depuis des années pour l’immense majorité des habitants d’Alep, elle est revenue ces derniers jours ! D’autre part, Idlib était un lieu de contestations, de confrontations – bref, de la vie démocratique continuée issue de la révolution syrienne de 2011, cette vie et cette continuation à laquelle les têtes dures mais creuses des esprits forts bien pensants occidentaux de gauche ou de droite traditionnelles ne veulent jamais croire, et écartent d’un ricanement suffisant et épais. L’administration était cadrée par le HTS et d’autres organisations, en grande partie regroupée sous impulsion turque dans l’ANS. Mais les manifestations contre tout monopartisme et contre la sharia n’ont pas cessé. Entre le HTS, les autres groupes et les services turcs, les conflits n’ont pas cessé, à tous les niveaux et toutes les échelles, donnant des marges d’interventions aux organisations locales et à la population, souvent organisée en liens de solidarités entre réfugiés de même provenance. Socialement et politiquement ce chaudron bouillonnait, d’autant plus que la Turquie y refoulait des réfugiés. Socialement, humainement, politiquement, le HTS devait porter un coup sous peine d’en prendre lui-même de la part des masses entassées à Idlib. Le coup lancé juste après le cessez-le-feu au Liban n’a pas été ordonné par la Turquie mais a reçu son feu vert après le refus par Bachar du partage territorial cyniquement proposé par Erdogan. L’heure précise correspond bien sûr au cessez-le-feu qui évitait à ses auteurs d’être accusés de faire le jeu d’Israël tout en minimisant au maximum toute capacité de réaction du Hezbollah obligé de se centrer sur le maintien ou le rétablissement de son emprise sur le Liban. Il n’était prévu ni par la Turquie, ni par la direction du HTS, que la double dynamique de l’effondrement de l’armée d’Assad et de la volonté de retour des réfugiés allaient accélérer à ce point les évènements. Voila l’explication n°1. D’autres facteurs interviennent certes, mais il faut partir de cette explication n°1, celle d’Idlib, du mouvement d’en bas, de la révolution syrienne, si l’on veut y comprendre quelque chose. Deraa et Soueida se sont tout de suite joints à cet élan d’en bas. Ceci aide à comprendre que c’est un HTS qui aurait sans doute été confronté à une explosion à Idlib qui a ouvert ce processus dont il ne contrôle que la forme militaire rapide et apparente mais qui repose sur la réalité humaine et populaire la plus massive. Et donc que le HTS soit un lieu de transformations. Là aussi, les sceptiques pousseront les hauts cris : comment, al-Qaïda deviendrait démocratique ? Mais je n’ai pas dit cela, juste que l’issue est un combat et que la réalité est contradiction. Le scepticisme ne sert de rien, c’est la vigilance qui est nécessaire, et ce n’est pas la même chose. Les seuls vrais vigilants sont ceux qui soutiennent la révolution et la chute des Assad, pas ceux qui hurlent de peur devant elles. C’est un fait : à l’exception du Nord-Est d’Alep, où la politique pro-Assad des FDS-YPG, d’une part, et l’emprise turque sur les forces de l’ANS (et non de HTS ni de l’ALS proprement dite), risque de produire des confrontations arabo-kurdes voire turcomanes-kurdes meurtrières, le « communautarisme » que les Assad attisaient est le grand vaincu de ces derniers jours. Chrétiens d’Alep, kurdes de certains quartiers d’Alep, villes chrétiennes comme Mhardeh et al-Suqaylabiyya – à l’ouest de Homs et quelques dizaines de km de la côte -, ismaéliennes comme Salamiya (Sud-Est de Hama), s’entendent avec le HTS et son respectés. Le HTS en appelle aux alaouites et, dans le sud, les druzes se dressent en soutien à la chute d’Assad. Il y a même des chiites qui reviennent vivre dans des localités qu’occupait le Hezbollah qui soi-disant était « leur » parti, comme à Nobl et Zahraa (ou Neghaoulé), au Nord-Ouest d’Alep. L’enjeu des combats révolutionnaires est aussi leur explication immédiate. La lutte armée en Syrie est prolongée par le conflit des récits dominants et des interprétations, qui pèse dans le rapport de force, social, humain, et armé, lui-même. Le récit de l’émancipation n’est pas une promesse de succès assuré, c’est lui même un combat : il dit « Bien creusé, vieille taupe », bien creusé à Idlib, Deraa ou Soueida, et il s’oppose à ceux qui disent « toujours pareil, pas de lumière, djihadistes partout ! » agissant ainsi pour qu’aucune émancipation n’advienne. Oui, l’épopée du peuple syrien, abandonné, assassiné par tous les impérialismes, qui a connu 10 Gaza, contre qui les horreurs de Marioupol et de Gaza ont été préparées, s’inscrit dans l’Histoire. VP, le 06/12/24. HTS : Armée de Libération du Levant, issue d’al-Qaida, djihadiste puis islamiste syrianisée ; ASL, Armée Syrienne Libre ; ANS, Alliance Nationale Syrienne (en fait parrainée par la Turquie) ; YPG : Unité des Protection du Peuple du PYD, Parti de l’Union Démocratique, projection syrienne du PKK kurde de Turquie. |
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