I/ Quelles coalitions peuvent se former pour donner un gouvernement, et pour mener quelle politique ?
Les élections au Bundestag qui ont lieu dimanche prochain, 23 février, vont probablement permettre à ce qui serait l’équivalent en Allemagne des composantes du NFP d’obtenir une majorité relative : parti social-démocrate (SPD, 110 sièges), Verts (Grüne, 90 sièges) et La Gauche (Die Linke, 50 sièges) obtiendront sans doute ensemble de l’ordre de 250 sièges, contre environ 200 pour le parti chrétien-démocrate (CDU). Le parti d’extrême-droite qui affiche des slogans de l’époque nazi, l’AfD, gagnerait environ 140 sièges. Le parti rouge-brun de Sarah Wagenknecht (BSW), structuré façon LFI, s’il franchissait la barre des 5% nécessaires pour avoir des élus au parlement, obtiendrait autour de 40 sièges.
La démocratie allemande est néanmoins un régime parlementaire cherchant à former des coalitions à majorité la plus stable possible, et le parti social-démocrate s’inscrit depuis les débuts de la RFA dans une logique de collaboration de classe. La SPD a en effet formé à de nombreuses reprises des coalitions avec la CDU ou avec le FDP (le parti libéral, comparable en France à l’UDI / au Modem). Tous les sondages actuels indiquent néanmoins que le FDP n’entrera cette fois-ci pas au parlement, pour la première fois de son histoire. Mais même s’il parvenait contre toute attente à dépasser les 5%, le FDP restera en tout état de cause dans l’opposition : il ne serait pas une force d’appoint suffisante pour que la CDU puisse se passer du SPD, et le SPD refusera de se réinscrire dans une coalition avec le FDP, dans la mesure où c’est ce parti qui a fait voler en éclats la coalition menée par le SPD, et que c’est cette politique du FDP qui a entraîné le vote de défiance vis-à-vis d’Olaf Scholz et la convocation de nouvelles élections. C’est d’ailleurs parce que le FDP est tenu pour responsable du chaos politique actuel en Allemagne qu’il s’est effondré dans les sondages.
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Le plus probable est donc qu’au sortir des prochaines élections, une traditionnelle grande coalition soit formée (CDU-SPD), c’est d’ailleurs celle que les directions de ces partis, restées cordiales entre elles dans les débats de la campagne électorale, souhaitent explicitement.
Il n’est cependant pas sûr que la CDU et la SPD aient ensemble assez de députés pour avoir la majorité absolue : les sondages hésitent à ce niveau, la majorité serait courte. Les forces d’appoint qui entreraient en considération seraient donc : die Grünen, ou bien le BSW (Alliance Sarah Wagenknecht)*.
*A moins que la CDU cherche à former une coalition avec l’AfD, ce qui reste dans l’immédiat inenvisageable en Allemagne, et ce en dépit de la campagne extrême-droitière menée par la CDU ces dernières semaines, et malgré aussi le fait qu’une proposition de loi – visant au durcissement de la politique migratoire – portée par la CDU ait réuni une majorité de suffrages au parlement grâce aux voix de l’AfD, ce qui a été considéré en Allemagne comme un fait extrêmement grave qui a brisé un tabou, et déclenché des manifestations de protestation de plusieurs millions de personnes pendant plusieurs semaines. [note du rédacteur]
Malgré un début de campagne électorale marqué par la volonté affichée par la CSU (le petit frère bavarois de la CDU) de refuser toute coalition avec les Grünen, – la tête de turc (procès en « wokisme ») à la fois de la droite, de l’extrême-droite allemande et du parti rouge-brun de Wagenknecht -, la CDU/CSU affiche dans son programme l’objectif de décarbonation de l’Allemagne à l’horizon 2045, objectif partagé avec les Grünen. (Seule Die Linke se montre plus ambitieuse, en promettant une politique permettant de l’atteindre dès 2040).
Ces dernières années, les positions de la CDU, de la FDP et des Grünen étaient largement convergentes en ce qui concerne la livraison d’armes à l’Ukraine, notamment dans le débat sur la livraison des Taurus (l’équivalent des Scalps ou des Storm shadows, les Taurus allemands ayant néanmoins une portée deux fois plus grande que leurs homologues français et britanniques), la CDU, la FDP et les Grünen ayant vigoureusement prôné la livraison des Taurus, là où le chancelier Olaf Scholz et une majorité au sein du SPD s’y opposaient.
Même si les élections régionales en Thuringe (ex-RDA) ont vu la formation d’une coalition CDU-SPD-BSW, cette configuration inédite semble moins probable au niveau fédéral. Les Grünen ont en effet une plus longue expérience de coalition avec la CDU, comme par exemple en Bade-Wurtemberg. Au niveau fédéral, il a souvent été question dans la presse de l’éventualité (vue d’un bon œil par les directions des Grünen et de la CDU) de la formation d’une coalition CDU-Grünen en guise d’ersatz de l’attelage traditionnel CDU-SPD.
Néanmoins, la pression du contexte international pourrait, si la bourgeoisie allemande se montrait prête à accepter une logique de vassalisation vis-à-vis de Trump et de Poutine pour préserver au moins mal ses intérêts, donner lieu à la formation d’une coalition CDU-SPD-BSW au niveau fédéral (le BSW étant pro-poutinien).
II/ Die Linke, le Phénix renaît de ses cendre : bâton merdeux ou arme dont peut se saisir la classe ouvrière allemande ?
Un autre fait marquant de cette campagne électorale, mais qui concerne cette fois-ci la composition et la nature de l’opposition parlementaire, est la remontada du parti Die Linke. Rappelons brièvement que ce parti est issu de la fusion entre l’aile gauche du SPD opposée aux réformes néolibérales de Schröder (le WASG, dirigé par Oskar Lafontaine) et les restes du parti « d’union » socialiste est-allemand, l’ancien parti stalinien de RDA qui s’est renommé PDS (Partei des Demokratischen Sozialismus ) après la chute du Mur. Il s’est donné une fondation baptisée au nom de Rosa Luxemburg pour afficher sa prise de distance vis-à-vis du stalinisme et assurer son rayonnement international. Die Linke a été confrontée à une crise majeure avant les dernières élections européennes, lors desquelles le parti a implosé, la moitié de ses députés au Bundestag ayant rejoint le BSW, sous l’égide de Sarah Wagenknecht, épouse d’Oskar Lafontaine. Le BSW a drainé l’essentiel de l’arrière-garde stalinienne restée au chaud dans Die Linke après la réunification.
Menacée de ne plus avoir de représentant au Bundestag, Die Linke a mené une campagne réaxée sur le social (les militants trotskistes proches de l’ex-SU, organisés en son sein – et influents – multipliant les papiers appelant à adopter une orientation « lutte des classes »). Elle est apparue comme le principal rempart contre la dérive extrême-droitière dans le contexte de la course à l’échalote à qui affichera la politique migratoire la plus répressive, qui a vu la SPD se vanter d’avoir adopté et appliqué des lois et politiques plus restrictives que la CDU alors qu’elle était au gouvernement.
Le parti Die Linke a enregistré en l’espace de quelques semaines plus de 10 000 adhésions, majoritairement des trentenaires qui sont immédiatement entrés en campagne en participant aux porte-à-porte déployés à grande échelle par le parti. Die Linke est ainsi créditée de 7 à 8% des voix dans les derniers sondages. Auprès des classes moyennes, le parti apparaît également, du point de vue de l’ambition écologique, plus crédible que des Grünen qui n’ont fait qu’avaler des couleuvres et errer de compromission en compromission dans leur gouvernement de coalition avec le SPD et les libéraux du FDP, qui a toujours cherché à freiner leurs ardeurs, le chancelier Olaf Scholz ayant souvent arbitré en faveur du FDP, partenaire à qui il fallait donner plus de gages pour que la coalition n’éclate pas. Les renonciations et les reniements n’auront cependant pas suffi. Et le FDP est sommé par Scholz de quitter la coalition sur fond de blocage sur l’adoption du budget par le FDP. Celui-ci avait prévu de rompre de manière imminente selon son propre timing mais a été surpris de se faire évincer par un chancelier qui avait senti le coup venir et pris les devants en fin politicien.
Malgré le départ en masse des staliniens pour rejoindre les horizons qu’ils croyaient plus porteurs du BSW (cependant certains bureaucrates ayant senti le vent tourner font désormais le trajet en sens inverse), les positions de Die Linke en matière de politique internationale demeurent vacillantes, dans un numéro d’équilibrisme entre la tradition pacifiste allemande qui se fait l’allié objectif (l’idiot utile) du campisme pro-Poutine, et la conscience dans certaines fractions de Die Linke ( dont une partie, mais une partie seulement, des représentants de la branche allemande de l’ex-SU, elle-même traversée par cette contradiction) de l’enjeu démocratique majeur que représente le soutien à la résistance ukrainienne.
RV, le 21/02/2025.
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