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Le gendarme chargé de l’enquête contre l’ancien directeur de Notre-Dame-de-Bétharram a révélé l’intervention de François Bayrou dans la procédure judiciaire. Si l’actuel premier ministre dénonce des « fantasmes », le juge de l’époque estime la version de ce militaire « parfaitement crédible » auprès de Mediapart. L’avocat d’une des victimes a saisi la justice sur une possible « entrave ».
Après le juge, le gendarme. Le militaire chargé de l’enquête criminelle sur des viols commis par le directeur de Notre-Dame-de-Bétharram a lourdement mis en cause le premier ministre François Bayrou dans le déroulé de cette enquête conduite à partir de 1998 au tribunal de Pau. Aujourd’hui à la retraite, Alain Hontangs a raconté avec détails dans l’émission « Sept à huit », diffusée dimanche 16 février sur TF1, que l’élu béarnais était non seulement informé de cette procédure, contrairement à ses déclarations répétées devant l’Assemblée nationale, mais aussi qu’il se serait immiscé dans les investigations.
D’après les explications du gendarme, François Bayrou – qui présidait alors le département des Pyrénées-Atlantiques, et dont les enfants étaient scolarisés à Bétharram, où son épouse était également catéchèse – aurait appelé la plus haute hiérarchie judiciaire de Pau pour s’enquérir de l’état de ce dossier. Selon ce témoignage, cette intervention aurait eu lieu après l’audition du directeur mis en cause, le père Carricart, avant son placement en détention provisoire.
Alors qu’il accompagne le mis en cause, « le juge d’instruction Christophe Mirande me dit qu’il y a un problème, que la présentation va être retardée, que le procureur général demande à voir le dossier et que M. Bayrou est intervenu auprès du procureur général qui demande à voir le dossier », affirme le gendarme.
Sollicités par Mediapart, les services de Matignon nous ont renvoyés vers la réaction de François Bayrou auprès de Sud-Ouest. Dans les colonnes du quotidien local, le premier ministre et maire de Pau a dénoncé des « fantasmes purs et simples », expliquant qu’il « n’y a jamais eu d’intervention de ma part auprès de quiconque ni sur cette affaire ni sur aucune autre ».
Également interrogé par Mediapart, le juge d’instruction Christophe Mirande estime pourtant le témoignage de ce militaire « parfaitement crédible ». « Si je ne m’en souviens plus, ces déclarations me paraissent tout à fait plausibles, d’autant que c’est un enquêteur très fiable, explique le magistrat. À l’époque, j’avais toute confiance en lui. Je ne peux pas mettre en doute sa parole. »
Le juge d’instruction est également revenu sur un autre épisode de l’affaire : la visite effectuée par François Bayrou pendant l’enquête. Après avoir contesté la réalité de cette rencontre, le maire de Pau a fini par admettre la tenue de cet échange, qu’il cherche désormais à banaliser. Samedi 15 février, en conférence de presse, le premier ministre a affirmé qu’il avait croisé fortuitement le juge Mirande en « voisin » (les deux hommes habitent le même village du Béarn) et aurait évoqué l’affaire au détour d’une phrase alors que le père Carricart était déjà libéré. « Nous nous sommes croisés sur le chemin », avance-t-il maintenant.
« François Bayrou a de nouveau menti ce samedi », accuse le magistrat à la retraite, agacé par les multiples versions du maire de Pau. « Désormais, il dit qu’on s’est rencontrés fortuitement dans la rue. C’est faux. Il est venu chez moi me parler de cette affaire », maintient-il. Lors de cette même conférence de presse, François Bayrou a aussi affirmé ne pas connaître le père Carricart. Et ce, alors qu’il dirigeait l’école de ses enfants, que sa femme enseignait le catéchisme à ses côtés et qu’elle s’était même rendue à ses obsèques. « Cela semble un peu gros d’affirmer ne pas le connaître », commente l’ex-juge d’instruction.
Une demande d’enquête pour « entrave à la justice »
Les récentes déclarations du gendarme ont poussé l’avocat palois Jean-François Blanco, avocat de l’élève ayant fait condamner un surveillant de Bétharram en 1996, à saisir le procureur général près la cour d’appel de Pau, lundi 17 février. Sa demande, révélée par l’Agence France-Presse (AFP), vise à obtenir l’ouverture d’une enquête pénale et administrative sur une possible entrave à la justice menée par François Bayrou.
L’avocat rappelle en effet qu’à la suite du placement en détention du père Carricart, après sa mise en examen le 26 mai 1998 pour des viols commis sur un élève entre 1987 et 1988, le religieux avait été rapidement remis en liberté deux semaines plus tard, sur décision de la chambre d’accusation de Pau, le 9 juin.
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D’après les archives consultées par Mediapart, la justice avait estimé que les risques de fuite étaient très limités, le père s’étant spontanément présenté au juge d’instruction lors de sa mise en examen, et les risques possibles de pression ou d’intervention auprès des témoins à entendre pouvant être évités par la mise en place d’un contrôle judiciaire.
« À les supposer établis, les faits reprochés à la personne mise en examen ne paraissent pas avoir causé à l’ordre public un trouble exceptionnel et persistant en raison de leur date et de ce qu’ils ont été commis sur une seule victime », mentionne aussi l’arrêt cité dans la presse. Lors de l’audience, le représentant du parquet général avait rejoint la position de l’avocat du père Carricart en faveur de la sortie de détention du religieux. « Des réquisitions de remise en liberté favorables à un violeur présumé, c’est assez incroyable », relève Me Blanco auprès de Mediapart, qui souhaite également que soit élucidée la manière dont a ensuite été organisé le départ de la France du père Carricart.
Le mis en cause a en effet rapidement rejoint Rome, où il officiait en tant que « conseiller général » de sa congrégation et où il a fini par mettre fin à ses jours, en janvier 2000, après avoir reçu une nouvelle convocation du juge Christophe Mirande pour s’expliquer sur la plainte d’un second élève de Bétharram. Tout au long de la procédure, le père Carricart a été invariablement soutenu par un réseau de notables de la région. L’épouse de François Bayrou, Élisabeth Bayrou, a participé à ses obsèques.
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