Affaire Louise : quand des médias d’extrême droite dévoilent le nom complet d’un suspect finalement mis hors de cause

CheckNews

Après la découverte du corps d’une fille de 11 ans en Essonne, de nombreux journalistes d’extrême droite ont révélé l’identité, l’âge et l’origine d’un suspect, lequel a ensuite été relâché sans poursuite. L’un d’eux s’en est pris à une femme identifiée comme la sœur de la victime.

A Epinay-sur-Orge samedi 8 février, après la découverte du corps de Louise, 11 ans. (Julien de Rosa/AFP)
publié le 10 février 202
https://www.liberation.fr/
Dans la nuit du 7 au 8 février, le corps d’une fille de 11 ans, Louise, est découvert dans le bois des Templiers, à Epinay-sur-Orge (Essonne). Elle était portée disparue depuis la veille dans l’après-midi, alors qu’elle sortait de son collège. L’enquête, ouverte par le parquet d’Evry pour «meurtre sur une mineure de moins de 15 ans», a été confiée à la direction de la criminalité organisée et spécialisée des Yvelines. D’ores et déjà, l’autopsie a révélé de «très nombreuses plaies commises avec un objet tranchant dans des zones vitales». Un crime sordide qui a occasionné, durant le week-end, une récupération politique intense de la part des médias d’extrême droite.

Dès le début de l’enquête, deux personnes sont placées en garde à vue. Une information qui fuite très rapidement auprès de la presse identitaire. Samedi, en fin de matinée, le journaliste et rédacteur en chef de Valeurs actuelles, Amaury Brelet, diffuse ainsi sur X plusieurs éléments. Il indique que «deux suspects ont été interpellés par la BAC pour enlèvement et séquestration à leur domicile d’Epinay-sur-Orge à 00h45 cette nuit et placés en garde à vue». Et de préciser que l’homme est âgé «de 23 ans», de «type “nord-africain”, six mentions au TAJ [fichier de traitement d’antécédents judiciaires, ndlr]» et la «femme de 20 ans, type “européen”, inconnue au TAJ». Dans un second tweet, le journaliste divulgue les prénoms et les initiales des noms des deux suspects, citant toujours «une source policière à Valeurs actuelles».

Sur X et sur Bluesky

Une demi-heure plus tard, Geoffroy Antoine, journaliste au JDD, ne s’en tient pas à ces précautions. Sur X, il écrit le nom entier du jeune homme, assorti de son année de naissance. A noter que la première version de l’article du JDD, publié samedi à la mi-journée, ne comporte pas les noms complets des suspects, mais les prénoms et initiales du nom.

Dans la foulée, le média Frontières reprend les éléments du JDD et cite dans son article le nom complet du jeune homme. Celui de la jeune femme, en revanche, n’est pas mentionné. Le groupuscule d’extrême droite Némésis embraye sur Instagram, partageant lui aussi le nom de l’homme en garde à vue. Sur X principalement, et dans une moindre mesure sur Bluesky, le nom du jeune homme et sa date de naissance sont largement partagés, sans davantage de précautions, dans le cadre de publications ouvertement xénophobes.

Une dizaine de publications dévoilant son identité

Dans l’après-midi du samedi, ces deux suspects sont finalement mis hors de cause. Le parquet confirmera par la suite que ces deux personnes ont été «libérées [samedi] soir à 20h45». Les médias concernés procèdent alors pour la plupart à une mise à jour de leur article. C’est le cas du JDD, qui relate leur libération «après des vérifications les mettant hors de cause»Frontières, qui, dans un premier temps, a effectué des mises à jour laissant apparaître le nom complet du suspect, a finalement modifié son article lundi en fin de journée, pour ne laisser que son prénom et l’initiale de son nom. Le directeur de Frontières, Erik Tegner, met en cause auprès de CheckNews une relecture partielle durant le week-end et fait savoir que sa rédaction a désormais supprimé tous les tweets comportant le nom complet.

Mais même après les dernières évolutions de l’enquête, certaines publications n’ont pas jugé bon d’enlever le nom de celui qui fut un temps suspect. Le collectif Nemesis a également fait apparaître une mise à jour sur son post Instagram sans enlever l’identité du jeune homme. «Boulevard Voltaire», de son côté, a rédigé une série de mises à jour comportant le nom entier du suspect. Quant à Valeurs actuelles, qui a publié un article sur le sujet dimanche 9 février – donc après les clarifications apportées par le parquet –, le média fait toujours apparaître les initiales des suspects sans préciser qu’ils ont été libérés. A l’heure actuelle, une recherche à partir du nom du jeune homme, désormais hors de cause, dans les moteurs de recherche fait apparaître une dizaine de publications dévoilant son identité, associée au meurtre de la jeune fille.

Geoffroy Antoine, du JDD, a supprimé le tweet où figurait le nom entier du suspect mis hors de cause. Sollicité par CheckNews, il précise «avoir d’abord ajouté à [son] tweet initial l’info selon laquelle les deux suspects seraient potentiellement hors de cause. Une fois que l’information était confirmée, je l’ai supprimé». Il justifie ainsi : «Dans de nombreux dossiers criminels, les noms complets sont dévoilés, le tout est d’être rigoureux sur la sémantique, et de ne pas confondre suspect avec coupable.» Interrogé sur le fait d’avoir rendu public le nom de l’homme, décrit comme «nord-africain» et non celui de la jeune femme, présentée comme étant de «type européen», il répond : «Je n’ai pas dévoilé le nom de la jeune femme d’abord parce que je ne le connaissais pas. Mais jusqu’à preuve du contraire, c’est bien lui qui faisait l’objet de suspicions après analyses des images de vidéosurveillance, et non pas sa compagne. Je ne m’intéresse pas au type ou à l’ethnie. Qu’il se soit appelé Ludovic ou Rayane importe peu et mon travail en atteste.»

Message «indigne et indécent»

D’autres journalistes d’extrême droite ne se sont pas arrêtés là. Jordan Florentin, qui travaille pour Frontières, s’est fendu samedi d’une publication sur X dans laquelle il exhumait les publications hostiles au Rassemblement national d’une internaute présentée comme la sœur de Louise. Il écrivait alors : «Plusieurs tweets de Marianne, la sœur de la petite Louise victime d’un ignoble francocide, refont surface. La militante d’extrême gauche y partage les positions de LFI, et des propos anti-RN. Sa petite sœur vient d’être tuée dans un bois par un homme de type nord-africain.» Jordan Florentin a depuis présenté ses excuses pour un message «indigne et indécent».

Par voie de communiqué le samedi en fin de journée, le procureur d’Evry, Grégoire Dulin, a indiqué «regretter la diffusion d’informations inexactes et non vérifiées et des identités complètes des personnes placées en garde à vue, ce qui porte gravement atteinte au principe de la présomption d’innocence et nuit à la conduite de l’enquête». Sollicité par CheckNews, il n’a pas indiqué si une plainte avait été déposée par l’homme qui avait été placé en garde à vue, ou si une enquête pour violation de l’enquête était ouverte. Grégoire Dulin précise que «les suites données à cette procédure lui appartiennent».

En fin d’après-midi ce lundi, il a indiqué à la presse que deux nouvelles gardes à vue étaient en cours pour «meurtre sur mineure» et «non dénonciation de crime», concernant respectivement un homme de 23 ans et d’une femme de 55 ans. Il invite à prendre toutes précautions sur la présomption d’innocence.

clarification
Edit lundi 10 février 20h50 : ajout de la réaction d’Erik Tegner et des modifications effectuées par Frontières
Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*