Askolovitch, « Madame Gardin » et moi

Donc, on ne lâchera jamais Blanche Gardin. Dans Télérama, l’humoriste, mélancolique et un peu dépressive, racontait voici quelques semaines comment l’épisode de son fameux sketch visant les abus de l’accusation d’antisémitisme (voir cette Obsession) avait « éteint son clown ». En passant, elle décochait une nouvelle flèche contre sa collègue Sophia Aram, qui « a choisi son camp, celui du pouvoir ». Ladite Sophia Aram répondait dix jours plus tard, dans une longue « lettre ouverte » aux deux journalistes de Télérama, autrices de l’entretien.

Tout a-t-il été dit ? Non. Ce week-end, sur Instagram, dans un texte aux accents douloureux, c’est au tour de Claude Askolovitch, titulaire de la revue de presse de France Inter, de prendre la défense d’Aram, sa camarade de la Matinale. « Relisant une interview de Mme Blanche Gardin dans Télérama… » commence-t-il. Tout est dit dès la seconde ligne. Blanche Gardin est « Mme Blanche Gardin ». Quoique personnalité publique au même titre que Askolovitch, dès cet instant elle est exclue du monde enchanté des beautiful people.

Si Blanche a suscité la douleur de Claude, c’est pour un passage de son interview à Télérama « Moi je suis du côté (…) de tous les Juifs qui refusent de se laisser embastiller dans le projet sioniste ».  C’est la phrase qui ne passe pas. Et Claude, sur Instagram, d’entamer pour la cancresse un cours d’Histoire du projet sioniste, qui fut « une émancipation, une libération, une tentative de rompre la vieille malédiction des juifs ». Comme si c’était la question de 2025. Comme si David n’était pas aujourd’hui devenu Goliath.

Certes, Askolovitch se veut nuancé, nuance qui s’exprime à grand renfort de doubles négations. « Nul ne prétend que l’histoire du sionisme, et plus encore l’histoire d’Israël, est sans échec et sans honte (…) Mais je n’ai pas envie ici de montrer patte blanche en exprimant ce que je pense de gouvernants israéliens ». « Nul n’est assez fou ici pour ne pas trembler en pensant aux milliers d’enfants de Gaza morts sous les bombes ». Il faut comprendre qu’Askolovitch critique Netanyahu et tremble pour les enfants de Gaza, mais qu’il ne le dira pas. Il ne montrera pas « patte blanche » –à qui, d’ailleurs ?

Ce qui « attriste » Askolovitch, c’est que Gardin « exclut -semble- exclure- de sa peine ma famille israélienne, et tous ceux qui ne renient pas un pays dont on pourrait, alors, on peut, tuer des vieillards, des bambins, sans que le ciel se voile ». Relisez bien : Gardin est présumée coupable d’apologie en creux du terrorisme. Ou tout au moins, de non-compassion pour ses victimes.

Quel coquin de sort me prend, ce dimanche matin ? Peut-être tout simplement ce Mme Gardin. A ce texte public, je poste un court commentaire sur le « Mme Gardin ». Et vlan, j’y balance à Askolovitch que toutes ces affèteries, toute cette tristesse ostensible, masquent une vérité implacable : pour le grand Manitou de la revue de presse de France Inter,  ce texte n’est rien d’autre qu’une « patte blanche » montrée…au camp pro-israélien. Eût-il osé exprimer l’inverse, soutenir Blanche Gardin dans sa dénonciation des abus de l’imputation d’antisémitisme, Askolovitch risquait la mise à l’écart de France Inter dans la semaine. C’est ainsi. Cela s’appelle le double standard de l’audiovisuel français.

Dans les cinq minutes, mon smartphone affiche un SMS de mon estimé confrère. Je suis un « crétin aigri, insidieux et complotiste ». Il « m’emmerde ». Il « se fout de (m)on opinion ». Etc etc. L’échange s’étire sur une partie de la matinée. Mais attention, avertit-il ensuite: « ceci est une correspondance privée ». Pas question de le citer. Si je me l’autorise tout de même, c’est parce que cette vulgarité révèle deux Askolovitch. Celui, au micro, qui entortille ses phrases avec des sanglots à rallonge, et celui qui se lâche en texto. Sans doute le second éclaire-t-il un peu le premier. Combien de « je t’emmerde ! » refoulés derrière les élégants « Madame Gardin » ?

Claude Askolovitch a livré dans le domaine public plusieurs aspects de sa biographie. Il a publié un livre avec sa mère,  rescapée de Bergen-Belsen. Sa soeur vit en Israël. C’est ainsi auto-situé qu’il compose ses revues de presse, et étale sa « tristesse » sur Instagram devant les interviews de Blanche Gardin. Au moins, dira-t-on, on sait d’où il parle, il dévoile honnêtement ses attaches, ses affects. C’est vrai. Tout au moins, le savent ceux qui s’intéressent à sa personne, et qui ne constituent peut-être pas l’ensemble des auditeurs de la matinale la plus écoutée de France.  Quant à savoir si cette transparence personnelle est louable, ou si cette situation familiale devrait amener un journaliste de la radio publique à faire preuve sur le sujet Proche-Orient d’un redoublement du « penser contre soi-même », je n’ai pas la réponse. Mon propos est ailleurs : dans la mise en évidence du double standard, encore et toujours (désolé pour l’obsession). Si Claude Askolovitch avait une soeur sous les bombardements israéliens à Gaza, s’il appelait à la compassion pour un enfant palestinien autant qu’il appelle à la compassion, encore sur Instagram, pour le petit bébé-otage israélien Kfir Bibas, dont le corps a été rendu ce week-end aux Israéliens après une insoutenable attente, serait-il encore jugé légitime de présenter la revue de presse de France Inter ?

Kfir Bibas

Kfir Bibas

Visuel du CRIF pour le premier anniversaire de l’enfant-otage

"N'ont pas atteint leur premier anniversaire"

« N’ont pas atteint leur premier anniversaire »

Extrait de la liste des nouveau-nés palestiniens victimes des bombardements israéliens

 Je concède un point à Askolovitch : qu’il pense sincèrement ce qu’il écrit. Qu’il est un agent sincère de la fabrique du consentement français à la colonisation israélienne. Comme par exemple une Delphine Horvilleur, il parle au nom d’un « Israël humain et raisonnable » aujourd’hui imaginaire, d’un Israël qui « avertit avant de bombarder » d’un Israël qui ne serait pas sorti du droit international en 1967. Il parle au nom d’un « camp de la paix » assassiné en 1995 avec Yitzhac Rabin. Comme tous ceux qui font semblant de croire que « la solution à deux Etats » est encore possible, aveugles au fait que non seulement Netanyahu, mais l’écrasante majorité des Israéliens n’en veulent pas, pour ne pas parler des Palestiniens. Quant aux égarés comme Blanche Gardin, il ne leur en veut pas. Il aimerait tellement les ramener dans le droit chemin. Les prendre par la main et les emmener rencontrer tous ces formidables israéliens de gauche de sa famille, qui condamnent Netanyahou.

Au terme de notre échange dominical d’amabilités, Claude Askolovitch m’a envoyé le lien de sa revue de presse du 11 février, consacrée à l’interview de Gardin dans Télérama, sans doute pour me convaincre de son absence de griefs personnels contre Blanche Gardin. Merci Claude, elle m’avait échappé (je n’écoute  plus France inter). Après y avoir rappelé la « polémique très laide » suscitée par le sketch fatal (sans préciser si c’était le sketch lui-même, ou ses critiques, qu’il jugeait « très laides »), il conclut à propos de Blanche Gardin : « Elle fut, gamine, une fugueuse près de punks à chien. Peut-être finalement loin des paillettes, se retrouvant, elle ira bien ». Autrement dit retourne donc, gamine, près des punks à chien, où t’attend ta place douillette, que tu n’aurais jamais dû quitter. Tu n’es définitivement pas digne de nos palais.

Suite à la publication de cette chronique, le 24 février, nous avons reçu le droit de réponse suivant, de la part de Claude Askolovitch : 

« Dans le billet que me consacre Daniel Schneidermann, une chose est vraie. Dimanche, je lui ai signifié en quelques SMS que je le tiens pour un crétin aigri, insidieux et complotiste, que j’emmerde et dont je me fous de l’opinion. Il m’importait de le lui dire: je retenais cela depuis longtemps. Nous avons notre histoire. Il a décidé de rendre publiques ces épithètes privées, masquant, par pudeur j’imagine, sa part de notre échange (plus doucereuse, pas plus aimable, que je ne dévoilerai pas ici, chacun ses méthodes). Voilà donc mes insultes vivantes. Seront-elles sur nos fiches Wikipedia? Je les trouve encore modérées à la lecture de son texte, qui fait de moi « un agent sincère de la fabrique du consentement français à la colonisation israélienne », et suggère que mon maintien à la revue de presse de France Inter est lié à mon absence de compassion pour les enfants palestiniens qu’Israël a tués à Gaza.

Monsieur Schneiderman m’incite à une crapulerie. Pour le réfuter, je devrais, ici, exhiber les enfants de Palestine, morts et martyrs, dont j’ai évoqué les destins dans cette revue de presse qu’il n’écoute pas. Ses petits jeux ne valent pas cette profanation. Une fillette qui meurt dans un hôpital gazaoui n’a pas été volée à sa vie pour attester la bonne foi d’un vieux journaliste français. Quiconque doute peut à volonté explorer le site de France Inter. Dans ma première revue de presse après le 7 octobre 2023, je citais l’éditorial du journal israélien Haaretz, mettant en garde contre la volonté de vengeance exprimée par Benjamin Netanyahu et le risque de crimes de guerre à Gaza. J’écrivais, disais aussi cela: « On cherche encore dans nos journaux les articles qui donneront figure humaine, semblable, identifiable, aux Palestiniens qui à leur tour meurent dans les bombardements de Gaza. Le Figaro parle à un habitant de Gaza qui s’est enfermé dans son immeuble dépourvu de cave et d’abri avec sa famille, les explosions font trembler les murs; mais entre deux explosions dit-il, tout est calme, on entend même les oiseaux mais l’air sent le feu et la poussière… » C’était à l’orée de la guerre.

Je n’ai pas attendu Monsieur Schneidermann pour redouter la distorsion des représentations au détriment des Palestiniens. Je ne l’ai pas attendu non plus pour me faire l’écho des violences israéliennes, et me faire l’écho aussi des accusations que ces violences provoquent. J’ai raconté cela comme j’ai raconté -à travers des articles de presse- les traumatismes du 7 octobre. Faut-il le préciser: jamais France Inter ne m’a demandé de passer sous silence ce qu’endurent les Palestiniens. L’idée même d’une telle pression est absurde.

C’est mon métier de lire et de transmettre les journaux. Je ne prétends pas penser contre moi-même. Cette expression n’a aucun sens. Je travaille. Et quand la presse charrie des tragédies, je lis et je transmets encore. Ce n’est pas un jeu.

Je reproche précisément cela à Monsieur Schneidermann. Il joue. Il pose. Il ne travaille pas, au sens où nous, journalistes, devons travailler. Il ne vérifie pas. Il suppute et suggère, il insinue, et construit ses fantaisies indépendamment des faits. Qu’il prétende juger le travail des autres et savoir leurs raisons, sans les lire ni les écouter, en tripotant leurs mots, en rognant leurs citations, en inversant leurs convictions, est une imposture. Cela ne date pas d’aujourd’hui.

Je pourrais ici reprendre ligne à ligne le texte de Monsieur Schneidermann, et pointer chacun de ses arrangements. Serait-ce fastidieux! C’est l’autre piège que me tend Monsieur Schneidermann: celui du plaidoyer maniaque, que nul ne pourra entendre sans sourire. J’ai rarement autant éprouvé la force du mensonge que face à cet expert en omissions. Comment rétablir la vérité ?

Un seul exemple, si l’on veut bien. Le 12 février dernier, dans ma revue de presse, j’évoquais un portrait de Blanche Gardin sur le site de Télérama, qui constatait son évolution personnelle, du rire au militantisme.

J’écrivais -disais ceci: « Télérama retrouve chez elle des airs de Adèle Haenel, ce passage qui soulage de la scène, des écrans, aux manifestations. Gardin vient de l’engagement, des sans-papiers de l’église Saint-Bernard, elle fut gamine fugueuse près de punks à chiens, peut-être finalement, loin des paillettes, se retrouvant, elle ira bien… » Monsieur Schneidermann, supprimant le début de ce texte, ne gardant que les punks à chien, fait de ma chronique un geste de mépris. Il ne rappelle pas non plus que dans cette même revue de presse, je défendais l’humoriste Merwan Benlazar, et relayais aussi un article de Street press sur un militant antifa menacé d’expulsion vers la Hongrie.

Monsieur Schneidermann aura beau jeu de dire qu’il est libre de ses mots, de ses choix, de ses coupes. Sans aucun doute. Je ne peux que constater ceci: ses choix créent une vérité alternative; ils dessinent -de moi, de mon travail- un portrait mensonger. Le sait-il? Ou bien est-il convaincu d’avoir affaire à un représentant servile d’un media sous influence réactionnaire?

Croit-il vraiment, comme il l’écrit dans sa chronique, que j’ai écrit sur Instagram et Facebook un texte sur les ,juifs et le sionisme -réagissant à une phrase de Mme Gardin, dans une interview que Télérama a publiée après son premier portrait- pour prendre la défense de Sophia Aram, chroniqueuse hebdomadaire à France Inter ? Croit-il vraiment -c’est ainsi que dimanche, il commentait mon texte sur les réseaux sociaux- que ce texte m’était dicté par le voisinage de Sophia, chaque lundi, dans le studio de la matinale? Pense-t-il vraiment -il le pense, manifestement- que Sophia serait notre référent idéologique, l’incarnation de nos censures, une puissance redoutable et redoutée? Monsieur Schneidermann a baptisé sa chronique: « Obsessions ». Cela, en tout cas, n’est pas un mensonge. Sophia Aram l’obsède, plus encore que moi -peut-être. Le nom de Sophia n’apparaît même pas dans mon texte! Elle se défend bien elle-même, et, elle ne m’en voudra pas, elle n’est pas mon sujet.

J’en termine. Le drame de la Palestine et d’Israël me tient à coeur; je le traite, à sa place, dans une rédaction, dans une radio profondément honnête; au-delà, parfois, parce qu’une réflexion ou une émotion me viennent, que je ne vais pas imposer à l’antenne, je m’exprime sur un réseau social. Cette distinction n’est pas factice. Je revendique aussi bien mon travail que mes textes plus intimes. Ils sont l’expression même de ma liberté.

Sans doute est-ce pour cela que j’ai réagi, dimanche, au petit fiel laissé en commentaire par Monsieur Schneidermann sur ma page Instagram. Le sionisme (avec le socialisme) ont été la grande affaire de ma famille, des vivants et des morts, et ce qu’il devient est une douleur, que je m’autorise parfois à partager: le philosophe Yeshayahou Leibowitz, il y a des années, avait pointé sans pitié ce que l’occupation de la Palestine faisait à Israël. Je vis avec sa prophétie en tête. Je m’en arrange, plus ou moins bien, comme je m’arrange de mes échecs, de mes manques, de la mort qui nous entoure. Je ne prétends à rien d’autre. J’admets être le dépositaire d’un monde qui s’effrite. Je ne fuis pas cette contradiction. Mais qu’un homme, que je tiens pour un imposteur, me prête des raisons déshonorantes m’a fait sortir de mes gonds. Crétinerie insidieuse et complotiste, sans doute. Tout ceci est salissant. »

Claude Askolovitch

Donc, on ne lâchera jamais Blanche Gardin. Dans Télérama, l’humoriste, mélancolique et un peu dépressive, racontait voici quelques semaines comment l’épisode de son fameux sketch visant les abus de l’accusation d’antisémitisme (voir cette Obsession) avait « éteint son clown ». En passant, elle décochait une nouvelle flèche contre sa collègue Sophia Aram, qui « a choisi son camp, celui du pouvoir ». Ladite Sophia Aram répondait dix jours plus tard, dans une longue « lettre ouverte » aux deux journalistes de Télérama, autrices de l’entretien.

Tout a-t-il été dit ? Non. Ce week-end, sur Instagram, dans un texte aux accents douloureux, c’est au tour de Claude Askolovitch, titulaire de la revue de presse de France Inter, de prendre la défense d’Aram, sa camarade de la Matinale. « Relisant une interview de Mme Blanche Gardin dans Télérama… » commence-t-il. Tout est dit dès la seconde ligne. Blanche Gardin est « Mme Blanche Gardin ». Quoique personnalité publique au même titre que Askolovitch, dès cet instant elle est exclue du monde enchanté des beautiful people.

Si Blanche a suscité la douleur de Claude, c’est pour un passage de son interview à Télérama « Moi je suis du côté (…) de tous les Juifs qui refusent de se laisser embastiller dans le projet sioniste ».  C’est la phrase qui ne passe pas. Et Claude, sur Instagram, d’entamer pour la cancresse un cours d’Histoire du projet sioniste, qui fut « une émancipation, une libération, une tentative de rompre la vieille malédiction des juifs ». Comme si c’était la question de 2025. Comme si David n’était pas aujourd’hui devenu Goliath.

Certes, Askolovitch se veut nuancé, nuance qui s’exprime à grand renfort de doubles négations. « Nul ne prétend que l’histoire du sionisme, et plus encore l’histoire d’Israël, est sans échec et sans honte (…) Mais je n’ai pas envie ici de montrer patte blanche en exprimant ce que je pense de gouvernants israéliens ». « Nul n’est assez fou ici pour ne pas trembler en pensant aux milliers d’enfants de Gaza morts sous les bombes ». Il faut comprendre qu’Askolovitch critique Netanyahu et tremble pour les enfants de Gaza, mais qu’il ne le dira pas. Il ne montrera pas « patte blanche » –à qui, d’ailleurs ?

Ce qui « attriste » Askolovitch, c’est que Gardin « exclut -semble- exclure- de sa peine ma famille israélienne, et tous ceux qui ne renient pas un pays dont on pourrait, alors, on peut, tuer des vieillards, des bambins, sans que le ciel se voile ». Relisez bien : Gardin est présumée coupable d’apologie en creux du terrorisme. Ou tout au moins, de non-compassion pour ses victimes.

Quel coquin de sort me prend, ce dimanche matin ? Peut-être tout simplement ce Mme Gardin. A ce texte public, je poste un court commentaire sur le « Mme Gardin ». Et vlan, j’y balance à Askolovitch que toutes ces affèteries, toute cette tristesse ostensible, masquent une vérité implacable : pour le grand Manitou de la revue de presse de France Inter,  ce texte n’est rien d’autre qu’une « patte blanche » montrée…au camp pro-israélien. Eût-il osé exprimer l’inverse, soutenir Blanche Gardin dans sa dénonciation des abus de l’imputation d’antisémitisme, Askolovitch risquait la mise à l’écart de France Inter dans la semaine. C’est ainsi. Cela s’appelle le double standard de l’audiovisuel français.

Dans les cinq minutes, mon smartphone affiche un SMS de mon estimé confrère. Je suis un « crétin aigri, insidieux et complotiste ». Il « m’emmerde ». Il « se fout de (m)on opinion ». Etc etc. L’échange s’étire sur une partie de la matinée. Mais attention, avertit-il ensuite: « ceci est une correspondance privée ». Pas question de le citer. Si je me l’autorise tout de même, c’est parce que cette vulgarité révèle deux Askolovitch. Celui, au micro, qui entortille ses phrases avec des sanglots à rallonge, et celui qui se lâche en texto. Sans doute le second éclaire-t-il un peu le premier. Combien de « je t’emmerde ! » refoulés derrière les élégants « Madame Gardin » ?

Claude Askolovitch a livré dans le domaine public plusieurs aspects de sa biographie. Il a publié un livre avec sa mère,  rescapée de Bergen-Belsen. Sa soeur vit en Israël. C’est ainsi auto-situé qu’il compose ses revues de presse, et étale sa « tristesse » sur Instagram devant les interviews de Blanche Gardin. Au moins, dira-t-on, on sait d’où il parle, il dévoile honnêtement ses attaches, ses affects. C’est vrai. Tout au moins, le savent ceux qui s’intéressent à sa personne, et qui ne constituent peut-être pas l’ensemble des auditeurs de la matinale la plus écoutée de France.  Quant à savoir si cette transparence personnelle est louable, ou si cette situation familiale devrait amener un journaliste de la radio publique à faire preuve sur le sujet Proche-Orient d’un redoublement du « penser contre soi-même », je n’ai pas la réponse. Mon propos est ailleurs : dans la mise en évidence du double standard, encore et toujours (désolé pour l’obsession). Si Claude Askolovitch avait une soeur sous les bombardements israéliens à Gaza, s’il appelait à la compassion pour un enfant palestinien autant qu’il appelle à la compassion, encore sur Instagram, pour le petit bébé-otage israélien Kfir Bibas, dont le corps a été rendu ce week-end aux Israéliens après une insoutenable attente, serait-il encore jugé légitime de présenter la revue de presse de France Inter ?

Kfir Bibas

Kfir Bibas

Visuel du CRIF pour le premier anniversaire de l’enfant-otage

"N'ont pas atteint leur premier anniversaire"

« N’ont pas atteint leur premier anniversaire »

Extrait de la liste des nouveau-nés palestiniens victimes des bombardements israéliens

 Je concède un point à Askolovitch : qu’il pense sincèrement ce qu’il écrit. Qu’il est un agent sincère de la fabrique du consentement français à la colonisation israélienne. Comme par exemple une Delphine Horvilleur, il parle au nom d’un « Israël humain et raisonnable » aujourd’hui imaginaire, d’un Israël qui « avertit avant de bombarder » d’un Israël qui ne serait pas sorti du droit international en 1967. Il parle au nom d’un « camp de la paix » assassiné en 1995 avec Yitzhac Rabin. Comme tous ceux qui font semblant de croire que « la solution à deux Etats » est encore possible, aveugles au fait que non seulement Netanyahu, mais l’écrasante majorité des Israéliens n’en veulent pas, pour ne pas parler des Palestiniens. Quant aux égarés comme Blanche Gardin, il ne leur en veut pas. Il aimerait tellement les ramener dans le droit chemin. Les prendre par la main et les emmener rencontrer tous ces formidables israéliens de gauche de sa famille, qui condamnent Netanyahou.

Au terme de notre échange dominical d’amabilités, Claude Askolovitch m’a envoyé le lien de sa revue de presse du 11 février, consacrée à l’interview de Gardin dans Télérama, sans doute pour me convaincre de son absence de griefs personnels contre Blanche Gardin. Merci Claude, elle m’avait échappé (je n’écoute  plus France inter). Après y avoir rappelé la « polémique très laide » suscitée par le sketch fatal (sans préciser si c’était le sketch lui-même, ou ses critiques, qu’il jugeait « très laides »), il conclut à propos de Blanche Gardin : « Elle fut, gamine, une fugueuse près de punks à chien. Peut-être finalement loin des paillettes, se retrouvant, elle ira bien ». Autrement dit retourne donc, gamine, près des punks à chien, où t’attend ta place douillette, que tu n’aurais jamais dû quitter. Tu n’es définitivement pas digne de nos palais.

Suite à la publication de cette chronique, le 24 février, nous avons reçu le droit de réponse suivant, de la part de Claude Askolovitch : 

« Dans le billet que me consacre Daniel Schneidermann, une chose est vraie. Dimanche, je lui ai signifié en quelques SMS que je le tiens pour un crétin aigri, insidieux et complotiste, que j’emmerde et dont je me fous de l’opinion. Il m’importait de le lui dire: je retenais cela depuis longtemps. Nous avons notre histoire. Il a décidé de rendre publiques ces épithètes privées, masquant, par pudeur j’imagine, sa part de notre échange (plus doucereuse, pas plus aimable, que je ne dévoilerai pas ici, chacun ses méthodes). Voilà donc mes insultes vivantes. Seront-elles sur nos fiches Wikipedia? Je les trouve encore modérées à la lecture de son texte, qui fait de moi « un agent sincère de la fabrique du consentement français à la colonisation israélienne », et suggère que mon maintien à la revue de presse de France Inter est lié à mon absence de compassion pour les enfants palestiniens qu’Israël a tués à Gaza.

Monsieur Schneiderman m’incite à une crapulerie. Pour le réfuter, je devrais, ici, exhiber les enfants de Palestine, morts et martyrs, dont j’ai évoqué les destins dans cette revue de presse qu’il n’écoute pas. Ses petits jeux ne valent pas cette profanation. Une fillette qui meurt dans un hôpital gazaoui n’a pas été volée à sa vie pour attester la bonne foi d’un vieux journaliste français. Quiconque doute peut à volonté explorer le site de France Inter. Dans ma première revue de presse après le 7 octobre 2023, je citais l’éditorial du journal israélien Haaretz, mettant en garde contre la volonté de vengeance exprimée par Benjamin Netanyahu et le risque de crimes de guerre à Gaza. J’écrivais, disais aussi cela: « On cherche encore dans nos journaux les articles qui donneront figure humaine, semblable, identifiable, aux Palestiniens qui à leur tour meurent dans les bombardements de Gaza. Le Figaro parle à un habitant de Gaza qui s’est enfermé dans son immeuble dépourvu de cave et d’abri avec sa famille, les explosions font trembler les murs; mais entre deux explosions dit-il, tout est calme, on entend même les oiseaux mais l’air sent le feu et la poussière… » C’était à l’orée de la guerre.

Je n’ai pas attendu Monsieur Schneidermann pour redouter la distorsion des représentations au détriment des Palestiniens. Je ne l’ai pas attendu non plus pour me faire l’écho des violences israéliennes, et me faire l’écho aussi des accusations que ces violences provoquent. J’ai raconté cela comme j’ai raconté -à travers des articles de presse- les traumatismes du 7 octobre. Faut-il le préciser: jamais France Inter ne m’a demandé de passer sous silence ce qu’endurent les Palestiniens. L’idée même d’une telle pression est absurde.

C’est mon métier de lire et de transmettre les journaux. Je ne prétends pas penser contre moi-même. Cette expression n’a aucun sens. Je travaille. Et quand la presse charrie des tragédies, je lis et je transmets encore. Ce n’est pas un jeu.

Je reproche précisément cela à Monsieur Schneidermann. Il joue. Il pose. Il ne travaille pas, au sens où nous, journalistes, devons travailler. Il ne vérifie pas. Il suppute et suggère, il insinue, et construit ses fantaisies indépendamment des faits. Qu’il prétende juger le travail des autres et savoir leurs raisons, sans les lire ni les écouter, en tripotant leurs mots, en rognant leurs citations, en inversant leurs convictions, est une imposture. Cela ne date pas d’aujourd’hui.

Je pourrais ici reprendre ligne à ligne le texte de Monsieur Schneidermann, et pointer chacun de ses arrangements. Serait-ce fastidieux! C’est l’autre piège que me tend Monsieur Schneidermann: celui du plaidoyer maniaque, que nul ne pourra entendre sans sourire. J’ai rarement autant éprouvé la force du mensonge que face à cet expert en omissions. Comment rétablir la vérité ?

Un seul exemple, si l’on veut bien. Le 12 février dernier, dans ma revue de presse, j’évoquais un portrait de Blanche Gardin sur le site de Télérama, qui constatait son évolution personnelle, du rire au militantisme.

J’écrivais -disais ceci: « Télérama retrouve chez elle des airs de Adèle Haenel, ce passage qui soulage de la scène, des écrans, aux manifestations. Gardin vient de l’engagement, des sans-papiers de l’église Saint-Bernard, elle fut gamine fugueuse près de punks à chiens, peut-être finalement, loin des paillettes, se retrouvant, elle ira bien… » Monsieur Schneidermann, supprimant le début de ce texte, ne gardant que les punks à chien, fait de ma chronique un geste de mépris. Il ne rappelle pas non plus que dans cette même revue de presse, je défendais l’humoriste Merwan Benlazar, et relayais aussi un article de Street press sur un militant antifa menacé d’expulsion vers la Hongrie.

Monsieur Schneidermann aura beau jeu de dire qu’il est libre de ses mots, de ses choix, de ses coupes. Sans aucun doute. Je ne peux que constater ceci: ses choix créent une vérité alternative; ils dessinent -de moi, de mon travail- un portrait mensonger. Le sait-il? Ou bien est-il convaincu d’avoir affaire à un représentant servile d’un media sous influence réactionnaire?

Croit-il vraiment, comme il l’écrit dans sa chronique, que j’ai écrit sur Instagram et Facebook un texte sur les ,juifs et le sionisme -réagissant à une phrase de Mme Gardin, dans une interview que Télérama a publiée après son premier portrait- pour prendre la défense de Sophia Aram, chroniqueuse hebdomadaire à France Inter ? Croit-il vraiment -c’est ainsi que dimanche, il commentait mon texte sur les réseaux sociaux- que ce texte m’était dicté par le voisinage de Sophia, chaque lundi, dans le studio de la matinale? Pense-t-il vraiment -il le pense, manifestement- que Sophia serait notre référent idéologique, l’incarnation de nos censures, une puissance redoutable et redoutée? Monsieur Schneidermann a baptisé sa chronique: « Obsessions ». Cela, en tout cas, n’est pas un mensonge. Sophia Aram l’obsède, plus encore que moi -peut-être. Le nom de Sophia n’apparaît même pas dans mon texte! Elle se défend bien elle-même, et, elle ne m’en voudra pas, elle n’est pas mon sujet.

J’en termine. Le drame de la Palestine et d’Israël me tient à coeur; je le traite, à sa place, dans une rédaction, dans une radio profondément honnête; au-delà, parfois, parce qu’une réflexion ou une émotion me viennent, que je ne vais pas imposer à l’antenne, je m’exprime sur un réseau social. Cette distinction n’est pas factice. Je revendique aussi bien mon travail que mes textes plus intimes. Ils sont l’expression même de ma liberté.

Sans doute est-ce pour cela que j’ai réagi, dimanche, au petit fiel laissé en commentaire par Monsieur Schneidermann sur ma page Instagram. Le sionisme (avec le socialisme) ont été la grande affaire de ma famille, des vivants et des morts, et ce qu’il devient est une douleur, que je m’autorise parfois à partager: le philosophe Yeshayahou Leibowitz, il y a des années, avait pointé sans pitié ce que l’occupation de la Palestine faisait à Israël. Je vis avec sa prophétie en tête. Je m’en arrange, plus ou moins bien, comme je m’arrange de mes échecs, de mes manques, de la mort qui nous entoure. Je ne prétends à rien d’autre. J’admets être le dépositaire d’un monde qui s’effrite. Je ne fuis pas cette contradiction. Mais qu’un homme, que je tiens pour un imposteur, me prête des raisons déshonorantes m’a fait sortir de mes gonds. Crétinerie insidieuse et complotiste, sans doute. Tout ceci est salissant. »

Claude Askolovitch

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