Haro sur le langage : Trump interdit les mots « LGBT », « femme », « climat »…

20 février 2025

Baptisé l’abrogation woke, ce memorandum de Trump oscille entre dystopie totalitaire à la 1984 et obscurantisme moyenâgeux. Il consiste à évacuer tous les mots liés aux questions d’inclusion, de genre et d’environnement des publications scientifiques et des sites gouvernementaux.

Al.Guilhem

Professeur d’histoire-géographie. Auteur du ebook Comment les classes dominantes ont détourné le suffrage universel

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Des mots associés aux questions de genre et à l’inclusion, de « LGBT » à « femme » ont été gommés des sites de l’administration fédérale. Il en est de même pour les mots associés à l’étude du dérèglement climatique comme « émissions de gaz à effet de serre », « justice environnementale » ou simplement « climat ». Des pages web entières ont été remplacées par « Error 404 ».

De plus, toute publication scientifique comportant ces mots est menacée de voir ses financements coupés et/ou non publiée dans les grandes revues.

Cette censure ne devrait pas tarder à s’étendre au monde des médias. D. Trump a déjà privé d’accès à la Maison Blanche l’agence de presse AP pour avoir continué à employer l’appellation « golfe du Mexique » au lieu de « golfe d’Amérique » souhaitée par le Président américain. La toponymie est un outil de domination territoriale comme la langue est un outil de domination politique et sociale… .

En effet, ces décisions reflètent une volonté totalitaire d’invisibiliser les questions environnementales et sociales et de les soustraire au débat public. Quoi de mieux pour empêcher les minorités de revendiquer l’égalité des droits que d’empêcher les sociologues et économistes de diagnostiquer les inégalités ? Non seulement les minorités n’ont pas les mêmes droits, mais elles n’existent même plus pour l’administration Trump. Non seulement on ne lutte pas pour limiter le réchauffement climatique, mais toute étude qui démontre ce réchauffement subit un autodafé 2.0 en étant ghostée des sites gouvernementaux et en perdant toute subvention.

« Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde » affirmait le philosophe Wittgenstein. Si une chose ne peut être dite, elle ne peut être pensée faute de renforcement par le dialogue et faute ici de recherche scientifique sur ces sujets.

Ainsi, la langue est un véritable outil de domination aux mains d’un pouvoir fasciste. En effet, le philologue Victor Klemperer montrait dans son ouvrage LTI (La langue du IIIe Reich) que les nazis avaient généré leur propre langage. Pour exacerber leurs obsessions, ils qualifiaient leurs conquêtes coloniales et impérialistes de défense de « l’espace vital ». Pour dramatiser leurs angoisses, ils englobaient pêle-mêle les socialistes et communistes sous le terme de « judéo-bolchéviks ». Pour oephémiser leurs exactions, ils appelaient pudiquement l’extermination des juifs la « Solution finale ».

G.Orwell, dans la société dystopique de 1984, présentait une société dans laquelle la « novlangue » était imposée par l’État. Cette simplification lexicale et syntaxique de la langue était destinée à rendre impossible l’expression des idées potentiellement subversives et à éviter toute formulation de critique de l’État. L’objectif ultime étant d’aller jusqu’à empêcher I’idée même de cette critique. Comment voir renaître l’espoir de liberté quand le mot même n’existe plus ?

La novlangue des néolibéraux était déjà dénoncée comme un biais manipulatoire. Elle consiste à changer la connotation du signifiant en substituant au vocabulaire existant une périphrase pour exprimer différemment le même signifié : « charges sociales » pour donner une connotation négative et pesante aux cotisations sociales, « plan social » puis carrément « plan de sauvegarde de l’emploi » pour donner une connotation positive et sympathique aux licenciements de masse…

Mais les attaques de Trump sont inédites pour deux raisons. D’une part, elles sont imposées par le pouvoir coercitif de l’Etat et non plus simplement par le jeu subtil d’accaparement de l’information par les milliardaires, ce en quoi le capitalisme est en train de reprendre la forme du fascisme. D’autre part, il ne s’agit plus de remplacer le signifiant (le mot) pour donner une nouvelle connotation au signifié (le réel : l’objet ou le phénomène auquel renvoie le mot). Il s’agit purement et simplement de soustraire ces phénomènes et ces objets au langage sans proposer de lexique alternatif. De les extraire du champ de la science et de la politique.

Trump veut aligner la science sur sa vision erronée de la réalité, où les questions de genre et le réchauffement climatique n’existent pas. Il nous propose une science tronquée, une science amputée.

Cette censure du monde scientifique a des ramifications très concrètes et fait système avec la politique du nouveau Président américain. Des barbouzes de Trump et Musk ont forcé l’entrée de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), une référence scientifique mondiale des études climatiques et océaniques, pour provoquer un blackout informatique. Peu après, le personnel s’est vu demander d’obtenir une approbation de la direction pour « tous les engagements internationaux à venir » afin de les restreindre considérablement, ce qui isole l’institution de la communauté scientifique internationale. De plus, Elon Musk, qui dispose d’un poste à temps plein pour organiser le désossage de la fonction publique, projette la suppression de 50% des emplois de la NOAA. Et ce n’est pas un exemple isolé. Tous les instituts concernés par les questions de genre et d’environnement sont concernés.

Ce ne sont pas « que des mots » qui sont évacués, ce sont des objets scientifiques et des sujets humains.

Comme l’Église imposait à Galilée en 1633 d’abjurer de ses conclusions scientifiques sur l’héliocentrisme pour préserver la vision religieuse géocentrée, l’administration Trump interdit d’étudier le climat pour préserver les intérêts du système capitaliste reposant sur les énergies fossiles.

« Et pourtant notre planète tourne » aurait marmonné Galilée à la sortie de son procès. Et pourtant notre planète se réchauffe…

Alexandre Guilhem

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